L\\\'Enfant qui venait du futur

Charlotte, Jeudi 30/06/2011 (la latence suite)

 

 

Charlotte, Jeudi 30/06/2011  (la latence suite)

 

 

 

J'ai finalement réussi à faire de mon corps, une loche dont on pique certaines terminaisons nerveuses pour lui procurer les sensations que l'on désire qu'il ressente.

 

 

Mon corps et mon esprit existent pourtant. On leur a donné un prénom : « Charlotte », prénom que l'on a prononcé tout à l'heure dans le bureau de vote, avec mon nom  de famille. Un « nom » pour une abstraction serait plus réel. Il représenterait quelque chose. Mon nom à moi ne me dit rien ! Rien du tout.

 

 

Il faut bien que je vive maintenant avec cette pluralité de sensations dans des vies simultanées tombant dans le vide. Je SUIS les autres. Je LIS leurs pensées.

 

 

Ou je le crois, ce qui revient au même. Il n'y a plus de barrière entre leur esprit et le mien. Chaque cellule de ce vague tout, réagit différemment, parce qu'il faut appliquer à chacune, son échelle de valeur. Avant de tomber dans le vide?

 

 

Les yeux douloureusement fermés, je prends conscience d'un fait nouveau.  Un bruit d'eau continu, se déverse dans la pièce jouxtant la mienne. Je suis toujours assise sur le couvercle dur. Les mains, paumes en l'air, sont posées sur mes genoux.

 

 

J'ai d'abord eu très chaud. Puis petit à petit, l'air devient plus frais. Il circule librement autour de   ma tête. Les quatre murs de la cabine deviennent visibles et réels. J'ai, pour la première fois de ma vie, la sensation d'être seule.

 

 

Telle une myope qui chausse des lunettes, je vois s'évanouir l'irréel d'un rideau de brume.

 

 

Quelqu'un d'omniprésent vient de me quitter. Il était là. Puis, sans crier gare,  il est sorti. L'idée étouffante de la puissante chape posée sur mes épaules par un « Etre » de l'au-delà, penché sur chacune de ses créatures, s'évanouissait. Loin de ce regard immense, je deviens alors la négation de ce « RIEN », que j'étais déjà.

 

 

Délestée de ce fardeau, qui en partant évapore le peu de contact surnaturel qui aurait pu me toucher encore, je suis sortie de mon refuge hygiénique.

 

 

L’imposante dame du vestiaire me regarde avec une curiosité méfiante et insistante.

Serais-je restée trop longtemps dans les toilettes? Croit-elle que je me drogue? Aussitôt je me    vois en droguée, les bras couverts de méchantes piqûres, les pupilles rétractées.

 

                                              

Non. Elle regarde ma robe très courte. Je lâche une piécette dans la soucoupe et je me     vois en poupée frivole, qui se pomponne et se re-pomponne, pendant que les classes laborieuses travaillent. Je sens le mépris de « LA » classe ouvrière. En remontant l'escalier je me redresse avec un déhanchement fier, pour ne pas m'écrouler. 

 

 

Un dernier regard en arrière, me montre qu'elle me prend pour une prostituée. Alors, je    me vois en pute. Et j'en deviens une, avec toutes les misères multiples que j'imagine.

 

 

Je prends place à une table située dans le fond du café. Face à moi, deux femmes très manucurées glapissent en parlant de leur mari. Aussitôt, je réalise que je suis en retard pour retrouver le mien, Mathieu.

 

 

Il m'a donné rendez-vous chez sa sœur, et j’ai totalement oublié de les rejoindre.

 

 

Je ressens immédiatement une angoisse. Son emprise pèse sur mon statut de femme mariée. Je pense à lui. Je me vois : « AUTRE »...  Ou plutôt, je me vois :  « UNE ». Celle qu'il voit en me regardant. Sa femme, la sienne, comblée par lui, adulée, dont il est fier, bien que la trouvant si souvent comme il le dit, « agaçante ».

 

                                                                      

ENFIN, je pense à mes enfants. Deux merveilleux bambins...

 

 

Mais je me « VOIS » en mère. Oh non ! Pas cette pensée! Là maintenant, il n'y a pas d'illusion ? Je « SUIS » leur mère ? Pitié ! Il n'y a pas d'illusion sur la maternité, tout de même !    Il n'y a que la réalité, la si belle réalité. Je ne peux pas me voir « EN » mère ! Je suis mère.

« JE SUIS LA MERE »… leur mère.

 

 

HELAS ! JE ME VOIS EN MERE.

 

 

Alors désormais, pourquoi me révolter? C'est inutile. Lorsque je pense à mes enfants, je   me vois par eux. Pour eux, je « SUIS » la mère. Mais pour eux seulement.

 

                       

Pour ce garçon qui me regarde assis à la table voisine, je suis une femme ordinaire, sage ou toquée, ennuyeuse ou frivole. Il me regarde et me cligne de l' oeil. Si je ne sais pas ce qu'il pense, son sourire me le dit crûment. Son regard me déshabille. Une habitude de révolte me fait sursauter. Mais pourquoi? Au fond, tout ne se passe que dans mon imagination… et la sienne? Je n'ai qu'à inventer autre chose, ou à me moquer de cette présence importune. Si je pense que cet homme n'existe pas, il cessera d'exister. Pour moi, du moins. N'est-ce pas l'essentiel?

 

 

Tout ce qui existe en dehors de moi, existe-t-il seulement ? Il ne resterait finalement…    que ma pensée ? Mais je ne vais pas donner une vie propre et un pouvoir sur moi, à ma pensée !

 

L'homme me regarde toujours. Son regard glisse le long de mon cou, de mes épaules jusqu'à ma poitrine, se colle à mon visage, sans que je puisse m'en détacher. Je vois ce qu'il imagine. J'imagine ce qu'il pense.

 

 

Je baisse les yeux pour regarder la table. Ce que je crois lire en lui me couvre de honte, mais moins encore que ma réaction passive.

 

 

Dans la glace du fond, une image pâle me représente, comme une photo usée venant du fond des temps. Je me demande si l'enfant que j'ai été, a existé au moins une fois. Tout ce que je suis, fait partie d'un jeu truqué. Je joue une comédie qui travestit la réalité.

 

 

La vérité est que je n'ai pas de vie propre… une vie telle que la société veut me le faire croire….    Je m'efface devant ma propre apparence. J'ai envie de m'évanouir, une bonne fois pour toutes et bien définitivement.  MAIS C'EST DEJA FAIT de L'INTERIEUR.

 

 

L’horreur est donc totale. Je n’ai plus rien d’autre à craindre. Sauf peut-être… pire… un dédoublement ?   UN  DEDOUBLEMENT ? Est-ce possible ?

 

 

Et bien oui. Je vais connaître, en ce Samedi le pire de ce que je peux imaginer. A vingt      et une heures je suis allée me coucher dans ma chambre habituelle. J’ai pris pour prétexte une migraine. Pourtant, j’ai beau fermer les yeux, je n’arrive pas à dormir. Toutes sortes de bruits s’insinuent dans mon oreille. Je rêve que je vais dormir.

           

 

Mais des rats courent partout sous les combles, en piétinements secrètement discrets. Deux des plus gros se sont terrés contre le paravent d'andrinople à fleurs mauves, lui donnant par leurs soubresauts, une vie précaire et hachée. On peut en deviner deux autres dans la pénombre, se disputant âprement, à coups de dents, une immondice.

 

 

Près de la porte, une nappe épaisse de toiles d'araignées descend du plafond, suaire sali, drapé en svastika maléfique. Les rats rampent sur le sol, sur les meubles, tombant le long des murs, tels des mouches mortes par une nuit de grand froid.

 

 

Je cherche mon prénom ? Charlotte, c’est ça ! Je tourne mon visage vers la glace piquée au reflet terni. Tout est brouillé…

 

 

Je sens le long de mon dos, sur mon cou, glisser les muridès, mulots, ondatras, rates musquées, campagnols, ragondins, musaranéas…. Les rideaux noirs pendent de chaque côté du miroir, comme un « devant de scène » macabre avec une tête de mort dessinée dans un coin.

 

 

Je penche ma tête, pour essayer de voir dans l'air verdâtre mon reflet sombre. Mes cheveux longs, gris sales, se collent en épaisses mèches grasses. Je reconnais avec peine, des joues hâves dans un visage allongé, et des yeux exorbités au dessus de poches vineuses.

 

 

Je passe une main tremblante sur ma gorge. La douleur qui mord mon pied me fait pleurer. Mais je n'arrive pas à tourner la tête pour voir d'où elle provient. Mon poignet dérape contre la porcelaine glacée du lavabo fendu.

           

                                                                                                                                          

Il me semble qu'une mâchoire de fer broie ma cheville. Je me traîne près de la porte     vitrée de la bibliothèque et ne réussis à voir qu'un morceau de bois blanc, en forme de piège à   loup refermé autour de mon mollet.

 

 

--  J'aurais voulu m'asseoir. M'asseoir et fermer les paupières. Je suis si lasse.

 

 

Des larmes coulent de mes yeux vides et morts. Pendant que je pleure, des hamsters poussent des cris plaintifs et je m'aperçois que je me suis installée par hasard dans un fauteuil défoncé, ma tête reposant sur un des accoudoirs.

 

 

Tout à coup le silence s’installe.

           

                                                                                                                       

--  Merci mon Dieu, vous avez eu pitié de moi. Je soupire. Contre la vitre sombre, une main écrit à la hâte quelques mots avec la craie blanche du tableau noir :

 

                                                                                                                                      

IL FAUT CONTINUER.

 

                                                                                                                                            

--  Non ! Je ne continuerai pas, sanglote cette pauvre fille qui s’appelle Charlotte et qui malheureusement est toujours moi quelque part…. Je suis trop fatiguée.

 

 

Alors finalement, je vois des ombres rouges qui passent en chantant du pied  de l'échelle jusqu'au bidet de faïence, pour disparaître  par la fente du mur. Et les rats fous, déchaînés font une sarabande effrénée autour d'un morceau de chair qui tombe du plafond. Je renifle en touchant mon visage glacé. Il m’aurait fallu absolument…  un mouchoir ?

 

 

--  Où pourrais-je trouver un mouchoir ?



30/06/2011
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