L\\\'Enfant qui venait du futur

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Lisbeth et Frank. Le cygne du Parc Monceau.

 

 

 

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            Comme la soirée était loin d’être finie, j’ai demandé à Frank de nous raconter une des frasques de ses dix huit ans. Cela empêcherait Flora de me questionner sur le fameux « Verre ».

Il accepta et nous raconta une rigolote histoire du temps que son fief était situé au Parc Monceau.

 

             Sa façon de nous expliquer comment sa bande de jeunes garçons terrorisait le gardien du dit square, ressemblait à un roman. Je le retranscris à peine changé.

 

            --  Attention ! Attention ! Crie Jim. Les six garçons s’agitent sur le bord du petit lac. Bien que situé en plein Paris, on se croirait à la campagne. Les buis, les arbres, le lierre cachent les immeubles environnants. La petite forêt touffue, traversée de sentiers champêtres, entoure une mare envahie de roseaux. Le petit groupe a l’habitude de se donner rendez-vous, là.

 

            -- Pourquoi hurles-tu ? Crie François. Attention, ne me pousse pas dans l’eau !

 

             Il y a une grande agitation autour de l’étang minuscule. Pap a parié qu’il pouvait le traverser d’un saut de puce. C’est le genre de gars qu’on entraîne au bout de l’enfer avec un pari. D’autant plus qu’en ce moment il est bourré, comme les autres, dès le matin, comme une cantine de campagne lointaine.

 

            En sortant du lycée, Pauline a pris l’habitude de venir tous les soirs avec sa copine Phoebée et Alex son cousin, les regarder faire les pires folies. Il faut dire que le spectacle en vaut la peine.

 

             --  Attention ! Reculez-vous !

 

             Pap a pris son élan. Tout aurait bien marché, si ce diable de maudit cygne n’avait fait un geste fatal en se plaçant sur le parcours, et entravant le saut du sportif. Cela s’agite dans le potage. Pap, tombé à l’eau, croit que le cygne l’attaque et le cygne vice-versa.

 

           Les vieilles anglaises de la pension de famille britannique d’à côté, accourent en agitant leurs parapluies protection des animaux, en criant des phrases anglaises avec un accent anglais, choqué de détresse anglaise. Perdues dans une France corrompue, elles frappent les garçons avec leurs cannes, leurs ombrelles, et des bâtons de secours pris dans la cabane du jardinier.

                                                                                                                                           

            Et le garde n’est pas là pour mettre de l’ordre. La vase gicle. Il fait chaud. L’odeur du marécage est nauséabonde. Pauline a pris la main d’Alex et la mord dans son excitation. Fasciné, il ne s’en aperçoit même pas, ou mal.

 

            Seul le spectacle de la main de Pap, accrochée au cou du cygne en guise de bouée, envahit les consciences.

 

             Finalement, le cygne perd la première manche par K.O. Et les suivantes aussi, parce qu’il est mort. Sa tête pend lamentablement, flottant au fil de l’eau, les yeux vitreux fixant son arrière train qui tangue.

 

             Triste spectacle…. Mais fort, très très fort. Pap est debout dans l’eau, remous au dessus des cuisses, dégueulasse, mais beau, très très beau. Une algue verte, avec des yeux bleus protubérants ondule sur son front. Un sacré spectacle, il faut le dire.

 

             Pauline n’en peut plus. Elle éclate en sanglots. Axel lui serre le bras gauche et cousine Phoébée le droit. Ils se regardent, abîmés dans un trouble de « mort de  cygne », qui fait battre leurs gorges sous les cognements sourds de bruits intérieurs.

 

              On paye toujours dans ces cas d’aventure extrême. Pap d’abord.

 

              Le garde n’était pas là, pour sauver par le gong l’animal- pugiliste, mais il arrive sur les rotules quand il n’y a plus besoin de lui.

 

             Maintenant, on dirait à l’entendre que la bête lui était plus chère que sa grand-mère, ou même une parente plus proche encore, si c’est possible… qu’elle la bête, le nourrissait au travers de l’Etat, lui et les douze enfants qu’il avait eu le malheur de procréer… et qu’en la tuant, Pap avait anéanti la deuxième merveille du monde, la première étant bien entendu, le garde lui-même.

 

             Les choses s’organisent sous la houlette de l’homme de loi. « Une-deux », ça c’est une sonorité propre qui fait marcher les foules au pas. L’assassin est amené au poste. C’est terriblement tendance un commissariat. Il y a un rite. Comme dans les églises et les concerts jeun’s. A dire le vrai, c’est assez ambiance séries B.

 

             Rentrée à la maison, tout en mettant le couvert, Pauline y repense encore.

 

             Avec bienveillance, sa mère surveille pour que tout soit en ordre, vaisselle étincelante, fleurs, orgie de petits rien inutiles, portes fourchettes, cartons, dessous de bouteilles, de verres et le reste.

 

           --  Il ne manque rien ? Pauline, pensant à son copain Pap coincé au commissariat, se sent gênée pour répondre.

 

            --  C’est assez triste à dire, mais tout est parfait.

  

            Après le dîner, toute la famille part pour la campagne, sauf elle. Aujourd’hui, ils est dit qu’ils l’abandonnent jusqu’au lendemain, à cause de sa leçon de mathématiques. Et ils n’est pas question qu’elle sorte. D’ailleurs la concierge bloque toutes les issues de l’immeuble. C’est assez sadique. Mais tout ne peut pas toujours être swing.

                                                                                                                                                      

              Finalement, ça l’arrange. Surtout que maintenant il est enfin minuit. Elle va pouvoir passer par le trou du grillage du parc qui jouxte la maison, pendant que la bignole est endormie.

 

             Axel est déjà dans la petite remise à outils qui est collée à la serre des plantes tropicales, avec cousine Phoébée qui le suit toujours partout. Ils gloussent un peu. La lune passe par l’œil de bœuf.

 

             Le but de l’opération de ce soir est de récupérer le cadavre du cygne que le garde a jeté là, ou là… dans une des poubelles, pour lui faire un enterrement décent. C’est la moindre des choses envers une bête aussi royale.  

 

             Le père de Pap va devoir payer une forte amende. Il est juste que le garçon puisse profiter avec ses copains d’une fête de funérailles nationales, dans le fond du Parc Monceau, près de la cage des bovins de petite taille. Et puis Pauline aime beaucoup Pap, malgré ses trop fréquents débordements alcooliques.

 

              Les clapotis de l’eau mettent une ambiance assez zaz. Les trois jeunes gens n’ont pas envie de rire, c’est presque trop mystique. Et là, dans le coin, enveloppé de journaux, le mort attendant le creusement de la tombe, qui dépasse du bec et des plumes, de la poubelle.

 

             Phoebée a pris la tête de l’animal, déjà un peu raide sur ses genoux. Elle a posé sur son cou, un papier avec la date du jour : 17 Juillet. Elle renifle. Elle a envie de crier. Axel lui met sa main sur la bouche. Il sent les lèvres qui tremblent. Un peu de salive coule dans sa paume. Il voit le cygne et puis la date, et puis la lune et puis les yeux de Pauline qui le regardent. Il sent qu’elle va crier, elle aussi. Ils sont tous les trois à genoux, les uns en face des autres, autour du cadavre. Ils tremblent beaucoup.

 

            Dans la tête de Pauline, il n’y a qu’une phrase : Le cygne est mort, le cygne  est mort. Elle se la répète avec délire et ces mots lui semblent les sons les plus incroyables qu’elle ait jamais entendus.

           

             Phoébée pleure à petits coups. Ils prennent sa main pour la consoler, mais très vite, ils retombent chacun, au plus profond de leur propre monde intérieur, ouaté de frémissements humides, de frissons et de stupeur.

 

             Tout à coup, une foule composée de six ombres, surgit. C’est Pap et sa bande venus se joindre à eux, avant même qu’ils aient pu s’en rendre compte.

 

            --  Chut ! Taisez-vous, taisez-vous. La maison du garde vient de s’éclairer.  La lune brille au dessus de la mare, avec un merveilleux reflet cisaillant la vase.

 

             Maintenant, il s’est passé plusieurs années. Mais à tous les anniversaires, Frank dit qu’ils  se retrouvent là bas, à la nuit. On croirait que les fantômes de tous ces cygnes reviennent pour les pousser dans le Parc inchangé, au moins une fois par an.

 

              Ce que Pauline se demande, pendant qu’elle attend cette fois encore, près du petit pont arrondi, c’est le sens de ce point de non retour. Est-ce le cygne qui les aliène une fois par an, pour un délire de déraison ? Ou, au contraire, ne les a-t-il pas privé de toute folie, tout au long de ces interminables jours de l’année passée, en ne leur offrant que cette liberté folle du 17 Juillet ?

                                                                                                                                                      

             La lune éclaire la serre de plantes tropicales. Les autres sont déjà là, Pap et Axel, avec les copains d’antan et même les vieilles anglaises brandissant leurs parapluies. Le vieux garde unijambiste soupçonneux, cherchant à entendre le moindre bruit de connivence douteuse, dans les saules du Parc Monceau, projette son ombre près du petit pont.

 

            Ils regardent tous le lac et ils voient la troupe rassemblée comme autrefois autour de la bête toujours vivante. Oui, ils sont tous là. Pap va sauter. Elle le voit avec tous les autres protagonistes de l’affaire. Oui, les anglaises aussi. Personne ne voudrait rater cette reconstitution imaginaire.

 

            Même ceux que l’on a perdu de vue depuis des lustres, se pointent en souvenir sacré.

Ils savent que lorsque la scène se diluera, ils ne retrouveront les absents et le cygne que l’année prochaine, en Juillet au jour 17, pour un souvenir devenu vivant, l’espace d’une nuit.

 

             Et ils y croient, puisqu’ils se rassemblent à l’impromptu, chaque fois, et encore une fois pendant une heure. C’est si facile d’y croire. Il suffit de le vouloir. Voilà ce que nous a raconté Frank avec poésie.

 

            Il suffit d’y croire. Comme j’aime le répéter : « N’est pas vrai ce qui est vrai, est vrai ce quel’on croit ».


14/10/2011
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