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Fred. 2 Janvier 2010. 11 heures
Euromarktinteractive.org, le seul journal trimestriel européen sur l'Art et la Culture (en 15 langue).
Fred. 2 Janvier 2010. 11 heures.
Finalement, j'ai décidé de quitter Paris pour Bucarest, mardi comme convenu. A l'annonce de mon départ, Bess n'a pas eu l'air de chercher à me retenir.
Pourtant, je sais qu'elle a envie que je reste. Je ne comprends pas pourquoi elle ne me le dit pas.
Elle est en train de travailler sur son blog depuis ce matin, pendant que je lis son journal sur la banquette. Vers onze heures, elle m'a appelé pour me dire, qu'elle vient de trouver un mail d'un certain Delpierre qui a envie de la rencontrer.
Depuis un an, c'est la première personne qui lui laisse un message. Alors qu'elle a déjà eu, dans le même laps de temps, plus de douze mille visiteurs. Ce long silence est bizarre…
Ce nom de Delpierre me dit quelque chose… J'en ai connu un qui faisait le même métier que moi. Je l'avais rencontré sur un reportage en Belgique. Je ne sais pourquoi, j'ai un mauvais pressentiment. Non j'exagère. Une petite inquiétude seulement. Je sais que le reporter en question est toujours sur de gros coups. Que peut-il vouloir faire avec le Blog de Bess ?
Finalement, je ne vais pas abandonner ma copine chérie, avant d'avoir tiré les choses au clair. Ce que j'ai toujours pris comme une rigolade de fillette imaginative, me laisse un petit goût âcre dans la bouche. Je sens que ses propos me dépassent. C'est dit. Je reste. On va voir ce que veut ce Delpierre… Et je saurai peut-être mieux, de quoi il retourne…
Un peu avant midi, Bessie a émergé de son Blog. Faisant tourner son fauteuil vers moi, elle a enfin quitté son écran, pour m'interpeller :
-- Fred, je voudrais te poser une question. Est-ce que toi aussi, tu me trouves bizarre ?
Elle avait l'air très troublée. Il faut vite que je fasse quelque chose… Jamais je ne l'avais vue aussi inquiète. Je répliquais, en la regardant avec amour.
-- Pas du tout. Tu es parfaite… pour moi, du moins. Tu te souviens ? Quand on était petits, tu nous racontais toutes sortes de choses incroyables. Cela ne nous effrayait pas. C'était comme un jeu.
-- Oui mais plus tard, après… en grandissant… quand je te parlais des gens de la Ville Bulle, de leur façon d'être… leur clonage… tu n'as jamais eu peur ? De 'avoir raconté tout ça, ça me gène. Pourtant les clonés sont des gens comme nous.
Ils mangent les mêmes choses, en imitation chimique, mais eux aussi, ils vont aux toilettes, ils ont des hobbies…
-- D'accord, Lisbeth, mais ce qui me gène, c'est que tu penses que cela me fait peur. C'est tout. Ton histoire est tellement simple et belle. Le seul problème auquel je n'avais pas pensé, c'est qu'une fois que le choix du clonage aura démarré, l'humanité sera figée, une fois pour toutes…. Là, c'est embêtant.
-- Figée en quoi ? D'une part, elle aura des milliers de cellules à utiliser… qui donneront des millions de gens, tous différents. Ce n'est pas suffisant pour toi ? D'autre part, chaque clone aura son propre bagage, différent de celui de sa cellule souche, et qui ne lui apporte pas que de l'inné.
Lorsque l'on sait que c'est l'éducation qui fait tout, pactisant avec ce qu'elle a sous la main… les gènes et la mémoire des antécédents, cela nous donne une grande marge de manœuvre !
Et allons plus loin. Prenons Thomas, par exemple. Il a une cellule-mère que l'on va appeler « X ». Avant de s'en servir pour cloner un premier bébé, celle-ci a été modifiée. On lui a ôté, toutes ses tares génétiques, trop handicapantes pour pouvoir mener une vie normale. Puis on lui a greffé le gène de la photosynthèse, afin que l'enfant puisse se nourrir, comme les plantes, grâce à la lumière.
Mais quand on l'a mise en route pour fabriquer un enfant, cette cellule « X », avait non seulement une base d'inné, mais aussi le souvenir de toutes les existences de ses ancêtres. Cela veut dire que chaque fois qu'un bébé, ancêtre de « X » naissait, il avait génétiquement, dans sa mémoire, les souvenirs de sa mère et de son père… de leur naissance, à sa propre conception.
Rajoutons quelques bribes de sensations physiques… télépathiques, ou autres, entre la mère et l'enfant dans l'utérus… plus les souvenirs des ancêtres légués de la même manière, à chaque enfant… et qui s'ajoutent…en remontant à Adam et Eve, ou à leurs géniteurs Bonobos, australopithèques, et autres… Tu te retrouves alors, dans une immensité de diversités.
-- Tu veux dire que chaque être cloné, a le même inné et le même gène de la mémoire que sa cellule maman-papa ? Et rien d'autre ? Tous ceux issus de la même cellule « X », sont tous pareils ?
-- Pas du tout ! Comme il est plus facile de cloner le premier clone, que sa cellule souche, on peut choisir ensuite de cloner un des clones suivants. Le travail a déjà été fait, le nettoyage génétique, plus l'apport du gène de la photosynthèse… Ce qui évite toutes sortes d'erreurs possibles.
Et puis le deuxième clone pourra bénéficier de la mémoire de son clone précédent…. De sa naissance, au prélèvement de cellule, à sa mort, ou bien avant si on veut. Cela donne une richesse de diversification supplémentaire.
-- On a ainsi, une accumulation de diversité, d'accord. Mais c'est quand même limité !
-- Parce que l'idée que le hasard ne puisse pas jouer en bien ou en mal, te perturbe ? A quoi cela peut-il servir, de vouloir posséder une offre illimitée de variété de reproduction hasardeuse, alors que l'on a déjà une infinité de propositions limitées que l'on ne pourra jamais toutes utiliser ? C'est nul, comme raisonnement…
-- On est obligé d'en tenir compte ! Par le langage, on est obligé de tout expliquer. Comme disait Esope, la langue est la meilleure et la pire des choses. On voit sur Internet, toutes sortes d'horreurs qui expliquent que c'est très bien de frôler le pire. Les mots les plus dangereux sont : Religion, famille, patrie, travail, argent, inceste, pédophilie, secte, guerre et naturellement « clone ».
Prononcer ce terme fait se dresser immédiatement le spectre de l'eugénisme, Hitler, la Shoah, les dictatures de toutes sortes, les persécutions et bien plus.
Toutes ces immondices se retrouvent sur le Web, sans frontière, ni barrière. Oui, tu nous le disais bien autrefois… où se trouvent le bien et le mal ? Dans nos têtes ?
-- Tu sais Fred… en réalité, les bien-pensants crient haro sur le baudet. Mais moi, je dis qu'Internet est génial. C'est l'avenir. Il est comme la langue, la meilleure et la pire des choses, car il représente la gestion de l'humanité, réalisée en temps réel par la totalité de ses membres. Pour l'instant, dans nos sociétés pourries, le web c'est n'importe quoi, un grand fatras de pourritures… Mais plus tard…
Rappelle-toi du petit organizer que nous avions fabriqué tous ensemble, avec l'aide d'Emilie ? Imagine un petit objet qui serait toujours avec toi, dans ta poche, ton sac, sur le poignet, pas plus encombrant qu'une boîte d'allumette…
Imagine que cet objet, tu l'aies apprivoisé grâce à la méthode des « tests de personnalité » de notre enfance, de telle sorte qu'il réponde à toutes tes questions, quel que soit le sujet, santé, famille, profession, affection, finance, etc.
Il te donne une réponse « claire et précise », chaque fois que tu en ressens le besoin. Tu peux l'interroger n'importe où, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. Pas besoin de prendre rendez-vous avec une aide extérieure, il est toujours disponible et ne te coûte rien.
En un mot, cet objet serait pour toi un conseiller, un ami fidèle, toujours à tes côtés. Il te guiderait dans tes choix, te protégerait, t'aiderait à prendre les bonnes décisions. Tu pourrais l'utiliser pour des centaines de choses… ta santé, ton avenir, tes occupations présentes….
Et tu pourrais, grâce à lui, converser, comme aujourd'hui avec les portables, avec la terre entière… Mais surtout pas pour dire n'importe quoi…des horreurs…
Ce serait notre Internet actuel, mais en bénéfique.
Le moyen, on l'a, avec l'invention de la « Toile », dite la « Pieuvre », il n'y a plus qu'à instaurer la façon de s'en servir dans le sens du bien-être de chacun, géré par tous, avec l'aide de chacun et de tous. Le clonage n'est qu'un outil pour faciliter la gestion d'une Ville qui veut respecter le vivant.
-- Mais Bessie, ce qui m'énerve, c'est que le seul mot de « clone » semble sale à tout le monde. Du coup, cela rejaillit sur moi. C'est ça qui me gêne.
-- C'est ton problème. Tu veux qu'on en parle ? Ce qui te pose un problème, c'est que tu te limites, toi-même dans l'orgueil de vouloir posséder l'illimité. Contente-toi de l'humilité de savoir que les possibilités sont si infinies déjà, qu'elles échappent à tes calculs.
Tu oublies surtout l'esprit, le cerveau, ses choix mutants au cours d'une vie hasardeuse. De plus, d'où vient-il celui-là, que l'on nomme âme, pensée spirituelle, lobes frontaux, masse spongieuse ? Ne parlons pas de réincarnation, ni de télépathies incessantes ou même d'expressions spatio-temporelles. Posons seulement la question :
D'où vient Thomas ? D'où vient son cerveau, les vapeurs subtiles de son âme ? Pourquoi ne va-t-il pas raisonner, réagir comme son voisin, situé dans la même position ? Ou même pourquoi va-t-il agir lui-même, deux fois de suite différemment, dans la même situation ?
Et si, avec « le » Thomas dont je m'amuse à imaginer les pensées et les actions, on jouait le jeu de la réincarnation ? Le souvenir de sa vie passée, semble être son esprit de petit garçon, réinjecté dans le corps de la petite Bess. Il vient l'habiter mille ans après, ou mille ans avant… de 3012 à 1980, ou l'inverse… si tu calcule en chiffres terriens.
Et en continuant, je te propose de faire le pari contraire : Imaginons que la réincarnation n'existe pas. Un enfant conçu normalement va naître avec un corps et un cerveau situé dans le haut de son crâne.
La masse spongieuse va se mettre par miracle, à raisonner… OK. Les religions vont dire qu'il possède une âme. Les autres, les athées se posent des questions.
Cet esprit « pensant », arrive dans le corps du bébé à sa conception… qu'il soit cloné, ou non. Et à sa mort, il va partir voyager, ou disparaître, peu importe.
Dans la Ville Bulle, les nouveaux - nés clonés ont le même cerveau que nous. Sinon, qu'on m'explique pourquoi ?
Qu'elle soit spirituelle ou non, cette intelligence va fonctionner de façon relativement satisfaisante. La réincarnation n'a rien à voir là-dedans. Alors que l'on me dise où se trouve le blâme. Clone ou pas, c'est idem pour la pratique.
Oublions aussi l'astrologie, la numérologie et autres parapsychologies du même ordre, qui « influent » peut-être sur la personnalité, mais qui ne « déterminent » pas. En tous cas, moi cela me hérisse, comme la science des rêves, la psychanalyse, tout ce qui veut faire appel à autre chose que la prise en main de ma vie, dans la seconde présente.
Ne gardons donc que le principal…. Il repose sur deux questions vitales, l'une dépendant de l'autre :
1) Veut-on élargir notre système de raisonnement par l'étude de formes de pensées « complémentaires à ce que nous pratiquons déjà » ? D'où la pratique de systèmes ouverts dépassant le dualisme, ou doublant le binaire… entre autres.
2) Veut-on asservir le vivant ?
On ne peut hélas, pas trouver de réponse à cette deuxième interrogation, si on n'a pas de forme réflexive, autre que fermée. Car la question est très vaste. Il faut déjà la comprendre.
Quand à la réponse que je donne, en parlant de la Ville Bulle et du clonage de ses habitants, rien ne dit que ce soit la seule solution… en admettant que cela en soit une. Il y en a peut-être de bien meilleures !
C'est aussi pour cette raison que j'ai créé ce Blog. J'espérais que j'aurais des réponses m'apportant des propositions multiples… Mais si ça se trouve, cela n'intéresse personne. Les gens veulent sauver la Planète ? Mais pour pouvoir continuer à la piller, en attendant d'aller en piller une autre.
Ils disent qu'ils veulent sauver l'humanité ? Mais qu'entendent-ils par là ?
En nageant dans le ridicule, gardons quelques cellules humaines et refaisons, quand ce sera nécessaire, les enfants clonés ou non, qui nous feraient défaut. Cela risque d'être plus urgent que prévu, si on attend que les hommes se soient tous entretués par génocides, pollution, radioactivité, sécheresse, et basta…
Plus ridicule encore ? Continuons à proliférer, jusqu'à plus soif… comme disait le roi Louis XV : Après moi le déluge ! Et en disant cela, je me fais à moi-même, du mal… Mais Fred, qu'est-ce qui se passe ? Tu n'es pas bien ?
-- Excuse-moi Lisbeth, j'ai mal à la tête. Je vais me chercher deux aspirines.
J'avais en face de moi, une jeune femme, souriante, affichant une décontraction que je n'arrivais pas à comprendre. Elle restait simple et à l'aise, malgré son affirmation de trouble en pensant aux années 3000.
Et pourtant, à cause ou malgré son calme apparent, je me sentais vraiment mal à l'aise. Elle continuait.
-- Prends une double dose d'aspirine, car je n'ai pas fini. Je t'ai gardé le meilleur pour la fin. Enfin pour la fin de ce premier bouquin que Frank et Michel sont en train d'écrire sur ces temps futurs et qu'ils veulent le terminer pour Avril 2010.
S'il doit y avoir d'autres brochures, il est prévu que la prochaine et les suivantes se dérouleront dans les années 2011 et 2012. Pas après, car c'est à partir de cette date fatidique que je ne me souviens plus de rien. Elle correspond à la vie des habitants du Futur, soit 3012.
Pour le 12 Décembre 3012, je vois une immense lueur qui enveloppe la Bulle et ses habitants. Ils sont tous toujours vivants, mais dispatchés dans l'espace et le temps.
Alors que sont devenus les trois enfants, Thomas, Léa et Milo ? Je m'attends à tout. A les voir débarquer chez moi s'ils reviennent en 2010… puisqu'ils ont mon adresse…
Si Thomas et moi nous sommes la même personne, cela voudrait dire que nous avons le même esprit dans deux corps. Sous l'angle de la réincarnation, il y a chronologie. Il a vécu avant moi, dans l'enveloppe d'un petit garçon, et moi après lui. Ce qui fait que je me souviens de sa vie et lui ne sait rien de la mienne.
Sous l'angle des lois du continuum espace/temps, on admet que la possibilité de mon retour en arrière, existe. Ou même que nous soyons en train de vivre en même temps, sur la même terre, en deux endroits différents, avec mille ans d'écart, donc pas à la même époque.
Et si l'on dit qu'il revient de 3012 pour frapper à ma porte, cela te paraît impossible ? Mais concluons : L'esprit de Thomas est arrivé dans son corps, au moment où sa création clonée lui a donné la vie. Il venait d'ailleurs. D'où ? Qui était-il avant d'être lui ?
Certaines personnes disent qu'elles peuvent retrouver la filière de leurs existences passées. Un grand couturier parisien se souvient de sa dernière vie en tant qu'hétaïre égyptienne. Et moi je me souviens de la Ville Bulle.
Dans les archives de la Cité du Futur, chaque habitant peut retrouver les descriptions de son corps créés par les gènes de ses cellules souches, ou de ses clones antécédents. Le corps est le même, mais son esprit lui, d'où vient-il ?
Cet esprit qui vient se glisser dans ses enveloppes clonées successives, n'est pas le même. On a donc d'une part : « Un esprit, toujours le même qui vient habiter des corps différents », et d'autre part, un corps qui, pour les « clones » est toujours le même, et pour les « non-clones » dont je fais partie, différent.
Mais il faut ajouter un simple détail : « L'histoire de la mémoire et de son gène ».
Je me souviens de Thomas, d'accord et encore pas tout le temps. Mais je me souviens aussi paraît-il, de toutes les vies de mes ancêtres, de leur naissance à ma naissance seulement… puisqu'en naissant, j'ai quitté leur héritage mémorisé. Et cela, en remontant jusqu'à Adam et Eve.
Ainsi, mon capital « mémoire-génétique », va s'enrichir de mes expériences, devenues spécifiques, à cause de mon corps spécifique. Je n'enregistrerai pas les mêmes informations, lorsque je serai dans un corps d'homme, à telle époque, avec tels incidents, que lorsque je serai dans une autre enveloppe, par exemple féminine, avec d'autres vécus.
Mon esprit et celui de Thomas sont donc déjà très différents, même si je possède ses informations. Si le gène de la mémoire n'est pas un leurre, j'ai dans ma tête les souvenirs de mon père, de ma mère, de ma grand-mère, etc. Et Thomas ceux de ses clones…
Cela voudrait dire, que l'esprit d'un être, souvent considéré comme unique, peut en se réincarnant, se diviser en deux… peut-être plus ? Ou alors, il y en a qui disent que le corps d'un individu peut se téléporter ? Ou encore faire voyager son corps astral, l'envoyer sur une autre planète, où personne ne pourra le voir, mais lui il peut visionner tout ce qui s'y passe…
C'est le même, mais avec un ajout. Si la scissiparité va exister dans ce cas, pourquoi se résumerait-elle à deux seules séparations ? Pourquoi pas à dix, vingt.
Ces esprits, flottant dans le cosmos, en attente de poids charnel, se divisent peut-être en permanence…
Je pourrais donc être dans deux corps à la fois, en même temps… avec pourtant le souvenir de deux vies bien distinctes, et en plus des souvenirs différents issus de nos deux lignes physiques, corporelles, cérébrales d'ancêtres étrangers entre eux. Et deux acquis dissemblables Thomas aura sa lignée ancestrale de clones plus ou moins nombreux. Moi, j'aurai la mienne. Et nos deux esprits auront été séparés par scissiparité, comme nos cellules au début de nos vies. Chaque être, unique et multiple à la fois, puise à son gré, dans ce magma de nuages formés d'esprits en mouvance, pour se créer sa propre identité.
Un esprit peut se réincarner dans le corps de son clone, s'il le désire. Ils ne seront pas identiques. Car, dès la naissance, le deuxième clone va avoir des expériences nouvelles qui vont le façonner… jusqu'à dix-huit ans, et même après…
Je passe sous silence la possibilité de vivre éternellement ! J'ai lu la semaine dernière que la méduse « Nutricula de Turritopsis » était immortelle. Elle est capable de remonter le temps, une fois qu'elle a dépassé une certaine phase de vie.
Elle passe alors d'une phase de vie avancée à une phase de vie plus jeune. Il n'y a donc aucune limite à sa durée de vie, puisqu'elle peut revenir à l'état de polype, son premier état.
Elle passe par le phénomène de « transe-différenciation », dans lequel un type de cellules se transforme en un autre type. La Salamandre, par exemple, fait repousser sa queue, si celle-ci est arrachée.
Pour la « Nutricula », c'est tout le corps qui se régénère. A tel point que la bête se multiplie mondialement et non plus seulement dans les eaux des Caraïbe, puisqu'elle ne meurt jamais.
Alors, tu comprends que tous ces systèmes peuvent faire rêver. J'ai hâte d'être en 3012, et de rencontrer Thomas. Je n'ai pas du tout la sensation qu'il est « moi ». Je pense qu'il sait ce qui va se passer… pour lui et pour moi. Il est allé voir la suite de notre histoire, en « Salles d'Archives ». Je trouve cela géant. Quand à ces histoires de clones, j'en ai par dessus la tête ! D'autant plus que cela ne m'intéresse pas du tout, toutes ces aventures scientifiques et autres...
En entendant Lisbeth raconter cette fable, moi Fred, j'ai posé ma tête sur sa main et je me suis mis à pleurer, comme lorsque j'étais enfant et que ma mère me laissait tout seul le soir.. Je vois trouble. Je suis perdu. Alors Lisbeth me prend dans ses bras. En m'embrassant, elle me murmure :
-- Ne pleure pas, chou, s'il te plait. Je suis là. Tu vas voir comme on va bien s'amuser…
Je me retrouve si proche de sa bouche, que je pose la mienne sur le coin de ses lèvres. Il se passe là un petit moment divin. Je l'embrasse. Elle ne me repousse pas.. Je vois nos deux silhouettes se refléter dans la grande glace du fond. Cela dure une éternité.
Mais tout à coup, elle se met à rire.
-- Tu me chatouilles. Si on doit jouer à ça, il faut le faire bien. Tu me prends le poignet et tu me demandes qu'est-ce que cela me fait. Et après on verra. Si cela ne me fait rien, on pourra changer. Mais dans l'ensemble, je ne trouve pas que ce soit très drôle, si on ne cherche pas à faire quelque chose de surprenant… et surtout qui me fasse rire.
J'ai retrouvé là, ce que j'avais toujours compris. J'essayais de le lui dire.
-- Finalement, on peut dire que tu as, ce que nous appelions, Copain Antoine et moi : une « sexualité puérile ». C'est vraiment un nouveau concept. On pourrait peut-être, le placer à part, l'opposant à d'autres préférences sexuelles : hétérosexuelles, homosexuelles, métro sexuelles, ou même des déviations graves, etc. Hein ? Pourquoi pas ?
Ce serait, comme qui dirait, une attitude sexuelle enfantine. Finalement, je ne demande qu'à essayer ? Qu'est-ce que tu en penses ?
Mais, elle secoua la tête.
-- Non Fred…Ce n'est pas le moment. Tout de suite cela ne me dit rien. On verra plus tard ?
Elle n'a pas changé du tout, depuis qu'elle a quitté notre midi pour monter à Paris. Je me souviens de ses discours sur les sentiments. A part la tendresse, elle pense que toute émotion est dangereuse pour notre équilibre psychologique, et donc physiologique.
Elle affirme que le seul fait de dire : « Je t'aime… je suis fou de toi… »… va m'assujettir, m'asservir. Et qu'en même temps, je deviendrais un tyran pour la personne que j'adore. En me répondant, l'autre pourra avoir la même passion, ou au contraire des sentiments opposés.
Jamais Lisbeth n'évoquait la haine, ou la volonté de destruction. Pour elle, ces états, non seulement démolissent le moral de son inventeur, mais aussi son physique. Elle reconnaissait toutefois, qu'il est agréable de se sentir aimé, admiré, recherché pour telle ou telle raison.
Cette sensation délicieuse est alors augmentée du fait que l'on en est conscient. Il n'y a rien de dangereux à la rechercher, si on ne l'exige pas. C'est là que l'on voit, d'après Lisbeth, qu'il faut remplacer les sentiments, par les sensations.
J'aime le chocolat, je déteste les carottes, sont des constatations qui doivent être appliquées aussi aux individus. Ce n'est pas l'autre que l'on aime ou que l'on déteste, c'est la sensation qu'il vous procure.
Il n'est pas responsable du sentiment qu'il inspire, mais seulement de la sensation qu'il donne, et qui va être reçue par autrui, au coup par coup, « différente » à chaque instant…. c'est-à- dire nouvelle à chaque arrivée d'information.
Voilà ce que nous serinait la petite Bess de notre enfance. Mais à cette époque, nous jouions avec ces affirmations, comme si ce n'était que des provocations. En me voyant sérieux, Lisbeth me conseilla de lire les dernières pages de son Blog.
-- Pour m'aérer la tête, je viens d'écrire le conte du lapin. Tu sais, celui que Granie nous racontait à la fête des vendanges. L'histoire de Grandes Carrées en Forme de Touches à Piano, nous faisait tellement rire à l'époque. Et puis elle dit qu'il faut lâcher prise…
Elle me regardait en souriant. Je ne pouvais m'empêcher de la trouver géniale. Je le lui dis. Elle secouait la tête, et plus j'insistais, plus elle riait.
-- Mais si, tu es géniale. Tu as trouvé un truc et même plusieurs trucs… que personne ne connaît. Et même quand tu essayes de les expliquer, cela énerve tout le monde.
-- Oh pas du tout ! Je t'ai déjà dit que c'est parce que je suis tellement « con.com », que je ne peux pas comprendre ces choses que les autres acceptent tout de suite. Si j'étais intelligente, je ferai comme eux.
J'adopterai les règles, les lois, sans me casser la tête.
Mais je suis si bête que je m'entête à chercher à comprendre. Et quand je ne comprends pas les absurdités de ces systèmes dualistes limités, je refuse de les accepter.
On croit que je suis arrivée à « inventer » des formes de pensée élargies.
Mais l'invention ne vient pas de moi. J'ai pris deux bouts de ficelle, deux pensées qui existaient, et j'en ai fabriqué une troisième. J'ai pris un bout de bois, et face à rien, j'en ai fait autre chose.
Je n'arrive pas à expliquer ces façons de raisonner qui permettraient à l'humanité de songer à sa sauvegarde. Je dis que le « plus et le moins », sont des parties de réflexion. Mais le dualisme touche au manichéisme. Mêmes les athées ne veulent pas que l'on touche à la leur morale. Joindre le bien et le mal, ne peut pas donner un mélange de noir et de blanc, qui donnerait du gris. Alors ils préfèrent refuser mes « inventions ».
Les seules trouvailles, que j'ai l'impression de faire, sont des éclatements d'idées. J'en vois une, toute petite, noire comme une puce, et un jour, en parlant avec Michel au téléphone, elle se développe et devient un grand oiseau lumineux comme une étoile.
Voilà ce que sont ces fameuses inventions que les uns vomissent et que tu admires. Des leurres. Même les histoires de Ville Bulle, de réincarnations auxquelles ni je crois, ni je ne crois pas, me fatiguent…
Les merveilleux souvenirs venus de la Ville Bulle du Futur, dans laquelle Thomas et ses amis s'épanouissent, ce ne sont que des morceaux de laine effilochés que je tripote pour en faire des chaussettes de sept lieux…
-- D'accord ma Lisbeth. Mais d'abord, je veux savoir ce que te veut ce Delpierre.
-- Je le sais Fred. Je l'ai lu ce matin, dans les Archives de la Ville Bulle, lorsque Thomas est allé, sur les ordres de Lister, voir ce qui s'est passé en 2010, avec la fusée US.
Il y est dit que depuis 2009, la Ville Bulle et les clonages sont déjà en route.
Les Américains eux-aussi ont fabriqué leur fameuse fusée. Les nations bougent, parce que tout le monde se fout de la Planète. Ils veulent tous se tirer. Delpierre a découvert les deux projets : D'abord la Ville Bulle du Gabon, avec des humains clonés et enfin heureux. Et de l'autre côté la fusée US.
Prévoyant le départ vers une autre planète pour échapper à la destruction de la Planète.
Pourtant la Terre elle aussi, elle se fout de nous. Elle en a vu d'autres… les astéroïdes géants, les dinosaures et les plantes qui disparaissent. Nous ne sommes que des poux dans sa chevelure.
Viens avec moi dans le jardin, Fred. Il y a du soleil et j'ai envie de te montrer les tableaux que j'ai faits la semaine dernière. La suite de mon Blog, je te la dirai dans un mois, mais pour toi tout seul. Parce que j'ai pris une décision. Tout à l'heure, j'ai effacé tout mon travail sur Internet.
J'ai compris que c'est inutile de parler de la Cité Bulle du Futur. Personne n'y comprendra jamais rien… Même ceux qui sont en train de la fabriquer…
Même Frank, Michel, Alain, toi et aussi moi. Tant que nous vivrons ici, en 2010, on va patauger. Les gens qui, au travers de mon Blog, entendent parler de clones, rigolent, ou se choquent, j'en suis sûre.
Plus ils trouveront glauque mon histoire, plus elle aura de succès… tant les gens d'aujourd'hui aiment la bouillasse. S'ils comprennent ce que je veux dire, ils l'auront en horreur. C'est pourquoi, pour l'instant, on efface tout. On verra après.
Lorsque la Toile quittera son rôle de Pieuvre mangeuse de liberté et d'innocence, pour revêtir celui de distributeur d'échanges propres, ludiques, nécessaires, on pourra reparler de cette merveilleuse Ville Bulle du Futur…
Mais, pour l'instant, j'en ai marre. Viens jouer avec moi, comme autrefois dans les garrigues. J'ai envie de te montrer la cabane que j'ai construite avec des planches dans le vieux chêne. Elle est toute petite. Mais de là on voit dans le jardin de la voisine, sa pie apprivoisée taquiner le vieux chien boiteux. Regarde, il y a du soleil !
On est parti en courant. Il faisait beau. Je retrouve mon âme d'enfant. Voilà la véritable histoire de ma vie, en effet. Lisbeth a raison. Pourquoi chercher à comprendre ces choses incompréhensibles ?
Oui. Pourquoi ?
En posant mes mains sur le vieux tronc, j'ai senti une force sortir de mes doigts pour fuser le long de l'écorce. Mon regard s'est élevé au dessus de la cime. Il y avait un ciel bleu, uni, avec un seul petit nuage qui semblait me faire de l'oeil.
Elle m'a pris par la main. Je ne me suis plus posé de question. J'ai juste pensé à mon copain Antoine. C'est lui qui serait jaloux de savoir tout ce que je suis en train de vivre. Il me regarderait avec son air en dessous, et il dirait :
-- J'suis vert.
Et c'est tout à fait ce que j'avais envie de dire.
Fin du 1er tome
2eme tome prévu d'ici 8 jours