L\\\'Enfant qui venait du futur

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Bess. Noël. Samedi 24/09/2011

 

 

 

 

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            Un léger crachin s’était mis à tomber, juste pour couper la chique au Mistral qui soufflait depuis le matin sur les bastides. Il illustrait le dicton  :  « Petite pluie abat grand vent ». Le maigre souffle aigre qui avait remplacé le célèbre vent, avait rendu le climat tout à fait désagréable, comme cela arrive souvent par ici. En finale, y faisait un froid de gueux.

 

            C’est devant la profonde cheminée de la grande salle que Granie s’était installée pour ce dixième soir de conte. On entendait dans le lointain couiner la girouette tiraillée, non plus par le fun d’été de la veille, cette brise chaude agaçante qui remonte d’Afrique en passant dessus la mer  pour rendre les gens fadolis, mais par la tramontane porteuse d’ondée gelée. Les invités transis se serraient autours du feu crépitant, qui gratinait les pommes de terre en robe de chambre et les marrons blottis dans les braises.

 

            Les derniers arrivants se massaient dans les coins, assis jusque dans la véranda frappée par les gouttes de pluie et le bruit des fruits mûrs que les azeroliers balançaient sur la verrière. Des potins avaient couru dans l’après midi, disant que la soirée allait être exceptionnelle en manifestation magique et rappels illustrés du passé. L’esprit préparé par la rumeur chacun croyait  déjà se voir Elodie la « Chimère de Lumière » accompagnée de la Fée Poupinette spécifique Esprit méridional, habillée toute en costume du midi, avé le bonnet dentelé, les jupons de coton à fleurs provençales, le tablier à grande poche sur le devant et les sabots pleins de paille. En effet, toutes  deux elles se préparaient déjà à faire défiler comme par magie télévisuelle, sur la vitrerie de la serre, les événement qui se sont passés cette nuit là.

 

             Après que l’on eu distribué à l’assemblée une grande fourre de haricots mange-tout à éplucher, Granie se mit à parler.

 

            -- Un soir d’hiver, il y a si longtemps que ça remonte aux ères de lune, on vit arriver sur le coup de presque  minuit, ventre à terre, au Bourg de Chante Merle, c’est à dire au dessus de ces bastides-ci, le petit berger le Loule ou Lilou, ou encore Louis dit le Pitchoun. Affolé, esploumassé,  ce qui veut  dire le poil en bataille, le Pichoto débarque en ce lieu dit, sis dessus le Fort Rouge et même encore plus haut que le Fort Saint Antoine, assez au dessus de là où je vous parle en ce moment même. C’est un village que maintenant il existe plus que dans la mémoire. A l’époque  c’était le plus beau, le plus riche et le plus animé de toute la région. Vaï ! Ca se savait tellement que l’on venait s’y réconforter de loin.

                                                                                                                                                        

            En déboulant sur la Place des Fénières, là où l’on range les bottes d’herbe sèche et les brins de lavande, il crie pour annoncer la nouvelle qu’un bébé venait de naître là haut sur le haut,  dans la grotte des Clapas. Et c’était pas n’importe quel  nistoun, parce qu’il avait été averti par une comète de grande taille. Aussitôt les fenêtres s’ouvrent et chacun en débraillo, le bonnet de nuit sur la tête, de s’enquérir du racontar pas croyable. Et le Garri d’insister :

 

            --  Qué di ! Que j’étais sur le Plan de Besagne à garder les troupeaux avé le vieux chef des berger, le Baïle Eusébio, alorsque j’ai vu passer au dessus du Baü dé Quatre Ouro une énorme étoile brillante qui lampait de partout. Elle faisait des éclairs et camboulait sur moi. Brouffe ! C’était pas l’Estello Marine qu’on y dit l’Etoile Polaire, ni le Garri di Amo, la Grande Ourse, ni aucune connue. Je me quillais sur un roucas pour la lorgner, tout empégué de sa lumière. Mais rien à faire ! Je lui trouve pas le nom. C’était pas le Bouvié dou Cieu ou Acturus. Non plus lou Pichoto Ourso. C’était une INCONNUE ! 

 

            Et pourtant le pitchoun, avé l’Eusébio comme professeur des astres, les étoiles, il les connaissait toutes. Irrésistiblement, l’assemblée rassemblée par Granie, totalement fascinée par son récit, tourna la tête vers les carreaux vitrés. Et qué diable d’entourloupe, derrière le halo de la lune embrumée, brillait à contre sens, une étoile grosse comme un ananas ! 

 

            --  Brusquement, continue le petit, elle s’est arrêtée au dessus de la Mourre, sur la cime du Faron, l’endroit le plus haut que les bateaux aperçoivent du bout de l’horizon et qu’y lorgnent pour s’en servir de phare, pour ça qu’on l’y appelle le Faron.. Alorsse, à ce moment là, sortis de la Nèble Noire ou brume de la nuit, trois cavaliers ont déboulé couverts de poussière.

 

            Le premier, oh narri que je croyais que je rêvais, il avait une figure toute noire, comme si  ça  pouvait exister. Le second jaune comme un citron qui aurait pas mûri et le troisième avèque le visage de cuivre rouge. Y me barjaquèrent qu’y précédaient d’un jour, en avant coureurs, trois grands rois, Melchior, Gaspard et Balthazar. Ils la poursuivaient l’Etoile depuis plus d’un an. Juste la date de la conception astrale du gosse en question. Et c’est pas que ça ! Y z’étaient accompagnés d’une foule de baladins de toutes sortes. C’était pas la religion qui voulait ça. Parce qu’en plus des musulmans, des athés, des orthodoxes, des boudhistes, il y avait des gens venus, juste pour faire la fête de naissance. Quand on sait qu’y en a une, c’est un truc qui se rate pas, oh que non.

 

            En même temps, ils me chantaient la ballade des mages en question  : « Dé boun matin, j’ai vu passer le train dé trois grands rés qui partaient en voya – a - ge,  dé boun matin j’ai vu passer lou train des trois grands rois qui passaient devant moi ». Et escoute mi, pépiait le Bergettou ! C’est pas tout. A ce que j’ai compris, les trois milliardaires z’endiamentés qui sont à un jour de marche d’ici, juchés sur des éléphants couverts de plumes d’autruches, y z’amènent des cadeaux mirifiques. L’un porte l’or, l’autre l’encens et le dernier la myrrhe. Les troubadours et les gens qui  rappliquent de toutes parts, y veulent pas être de reste et chacun y va de sa somptuosité.

 

            Je viens surtout vous dire qu’il faut qu’on se Méfie ! Parce qu’ils vont  pas tarder tous à se rappliquer pour nous faire le sainfoin, les intéréssés. Et pire que j’ai appris, même ceux qui savent pas pourquoi y viennent, ils ont les bras chargés. Té, juste pour la Fête !

 

             Boudiou le Pitchoun, il était tout gonfiate de la nouvelle, aussi rouge qu’une crévisse. Té,  rien que l’image qu’il en faisait du défilé, ça venait plus beau que Byzance en robe de mariée. Ah,  fan dé chichourle ! Alors là les villageois ils ont commencé à se faire un brave de mauvais sang ! C’est qu’ils pouvaient pas le croire !

                                                                                                                                                         

            Sitôt que le petit pâtre eut fini de pétéguer, le garde-champêtre que l’on appele lou Tambourinaïro, y fait tout de suite, sans perdre de temps, la Grande Annonce en tapant sur sa caisse afin que chacun y prépare les belles offrandes. C’est vrai ! On  n’allait tout de même pas  être en reste de tous ces estrangersses ?

 

            Tout de suite qué maëlstroum ! Là, dans tout le village, les dormeurs s’esbaudissent de ce réveil en fanfare ! Le monde se bouscule, débarque qui l’un avé les plus beaux habits, qui l’autre avé les bras chargés de victuailles. De temps en temps, pendant qu’aujourd’hui la conteuse déploie son histoire, la foule de ses auditeurs en jetant un œil vers l’extérieur, s’imagine voir passer les villageois d’autrefois pressés de se préparer.

 

            Il y avait Roumestan le Boulanger en plein travail qui sortait du four la cade chaude ou crêpe de farine de pois chiches, plus une fougasse brûlante.Y les met dans le panier en rajoutant    le boudin blanc, lou Pan Bagnia avé l’ail sans le germe pour pas que ça lui reproche au petit. Et surtout les croissants chauds Friands, ceux qui se font qu’une fois l’an pour la Saint Eloi. Ah ! Vaï, que c’est rien de le dire, çà sent si tant bon que le monde renifle à trois lieux à la ronde.

 

            Sa femme Elosine la patissière qui s’était pas encore couchée, elle dispose dans la grande  charrette enrubannée, la bûche de Noël et, sur le papier d’argent, les raïoles à l’abricot, le chocolat  blanchi, le nougat nègre, sans oublier la belle Poire au Four que d’habitude elle propose à six heures du matin en criant :

 

            --  Bounes, sount touteis caoudos, sount brulantos, brulount ! Ce qui veut dire que le fruit  il a plein de la sauce sucrée autour, chaude et coulant fondante dans la bouche que ça t’excite les papilles et t’embaument tout le palais.

 

            Ah ! C’est que ça s’agite dans les chaumières ! Phonse le Pescadou est vite parti pêcher le poisson sans épine, celui qui est le plus beau cadeau du pêcheur. Nine la petite Répétiéro prépare  illico les treize mendiants qui sont les desserts de fruits secs, raisins, amandes, noix, noisettes miélées, abricots craquelés, jarre d’oranges confites, figue fourrée et tout ça avé le toutim de papillotes. Polite le Chasse Murasso, celui que l’on dit en bouan françois «Ramasseur des fruits   de l’automne » est allé cueillir les champignons de dernière saison à lamelles bariolées et une grande fourre de châtaignes.

 

            Naïs la Lavandière a préparé pour se l’offrir à la jeune mère, les langes, les pédas  brodés, les draps blancs à dentelles, les ganses, les rubans, les vêtements de bébé, tous les ravans  nécessaires au premier habillage… La Joséphine qu’on l’appelle mignotement la Fine aux Herbes,  a préparé un petit panier de plantes médicinales pour purger le petit s’il le faut. Elle y glisse aussi alors, la farigoulette, le fenouil, le thym, lou roumarin, le basilic, la sauge, la cèbe ou cébette sorte  de petit oignon vert et frais. Elle y joint un potin de broussette et la boün cailla.

 

            Ange le Vigneron, y sort la gargoulette de vin vieux et la fiasque d’aïgardin, l’eau brûlante de vie. Mais oh méfi ! On redoute qu’il pratique un peu trop la taste en chemin, comme y sait si bien y faire. Baste ! Il est pas le seul à chimer ! Alors on lui pardonne d’avance. Il n’y a pas que sur lui qu’on peut dire : « Jamaï rescontrares, un homé à rougeo trougno, senso qué vous digés aquéou es un ibrougno qui brouncho en caminant, tendé pas lou  jarret, ven  pas dé prégar diou. Souarté  dou cabaret ! Ce qui signifie :  Jamais on ne rencontre un homme à rouge trogne, sans que vous  vous disiez « Mon Dieu c’est un ivrogne qui titube en  marchant. C’est pas la jambe raide qui vient de trop  prier Dieu ! Y sort du cabaret !

                                                                                                                                                        

            Tout le village s’agite.  Alors merveille ! Vite les paquets d’étrennes de toutes sortes s’entassent sur la Place. On a éclairé les fenêtres. Cela promet une belle farandole.

 

            Hélas ! Il tombe une ombre sur ce tableau vivant que les auditeurs de Granie voient passer derrière les vitraux de la véranda ! Le vieux Barberin, le plus riche propriétaire du païsse est allé chercher malgré son avarice un louis d’or dans son coffre, pour en faire présent au nouveau-né. Mais en passant dans le corridor, le Raspi, il aperçoit que la chambre de sa fille Fioretta est vide.   Il cherche, en finaud, faisant tourner doucement la porte du dehors autour des palamelles. Et mais qu’est-ce qu’y voit ? La fillette faisant le frotadou dans le jardin, avèque le Jeantou, le jeune tâcheron agricole, beau et il faut le dire, tellement qu’il est beau que les filles lui courent.

 

            Oh  malheur ! Le père y fait trois pans de brigue et y flanque un pastisson à la mignotte. Le novi pour la défendre, y donne au beau-père le coup de pied de l’âne que le pétaréou de Barbarin il en voit trente six chandelles. Le vieillard part à la renverse en arrière se taper la tête sur la tomette  et le Jeantou effrayé, y va se jeter dans le puit pour se suicider.

 

            Barbarin ensuqué y git sur le malon à faire en accroire qu’il est mort. Le palpitant marchant  à la recule, la cervelle tourneboulée, les villageois y criaillent de toutes parts. Mais avant de se faire un estampéou le soir de la première Noël, on songe au Maire Bessaï, fils de Bessaï et Bessaï. Vaï,  Moussou lou Mare est bien le seul homme de sa position capable de sauver une pareille situation.

 

            Tout de suite sans plus attendre, on passe à la Mairie. On lui raconte l’histoire. En dix petites minutes et il a tout compris. On l’exhorte à se mettre l’écharpe. On le traîne sur la Place.  On y montre le Puit et c’est à qui l’encourage à descendre au fond tel le Curaïré, ce pauvre forçat chargé de se curer pour trois sous, les pierres sales des puisards. Six mètres plus bas, au mitant, on aperçoit le Jeantou, ce maladroit impulsif, accroché au seau. Impossible malgré les suppliques de le faire sortir de ce chou-là.

 

            Pour commencer, Moussou lou Maire Bessaï implore le fadoli de remonter sans plus d’histoire. Mais le jeune désespéré a trop la pétoche de Barberin. Y veut pas bouger et comme l’affaire reste stationnaire, le pauvre Maire sous les hourras de la foule se décide à l’aller chercher. Y commence à se désembrailler. D’abord y se lève la montre et quitte les lunettes. Après c’est l’écharpe tricolore, puis les quatre gilets. Viennent les dix chemises. Il y a entre autres la camisa brodée, le chemison gansé du mariage, la petite flanelle, le maillot de Julot, la camise de sieste, puis celle de nuitée. Eh, c’est le soir de Noël, un soir où il fait froid !

                                                                                                                                                

            Enfin, il s’attaque aux neuf pantalons : le velours, le jean, le fendu, le léger brodé, la grosse estrasse de travail, les braies à farvalles... La  foule l’acclame lorsqu’il en arrive au chapeau du Dimanche, puis le capéoü avé la plume, le serre-tête, la casquette de chasse, enfin les gants, les guêtres, les chausses, les caoussettes. Cela dure un bon trois quart d’heure, que tous y piétinent et se rongent les sangs. Surtout la Fiorette, toute estrancinée.

 

            Finalement, vêtu seulement d’un petit lange flottant, le pauvre homme se décide à enjamber  la margelle. Malheureux ! Heureusement, à ce moment crucial pour la vie d’un maire, le vieux Barberin revient à lui avec une bêbe sur l’occiput, plus grosse qu’une figue. Il voit le drame qu’il a incité. Peuchère que ce serait malheur d’avoir un suicidé sur les bras alors que le monde z’entier se décide à arriver. Avec en plusse peut-être même la mort du Maire par dessus le marché. Alorsse il accepte in essetrémis et bousculé par la foule, de pardonner au garçon pour pas passer pour un marquemal.

                                                                                                                                                        

            Mais l’affaire elle est pas finite. Voilà – t – y  pas que ce coquinasse de Jeantou pour accepter de regrimper, y demande que le Barberin lui donne la main de sa fille ! On parlemente. Y s’entête. Qu’est-ce qu’on doit pas faire pour rester charitable ? Barberin y se brûle une fière  colère. Mais la petite sanglote et parle de mourir avec son amoureux.

 

            Moussou lou Mare s’impatiente en grelottant. Barberin a promis de faire ce qu’il faut pour que le Jeantou y remonte ? Il est obligé d’assepter. Donner, c’est donner, reprendre c’est voler. Et enfin tout le monde crie z’hourra et se prépare à se mettre en route à la queue leu-leu vers la grotte avé les corbeilles z’entassées sur les cambales à deux roues.

 

            Mais qu’est-ce à dire ? On s’aperçoit que les deux Ravis sont plantés les bras en l’air, chacun à sa fénestroün, les yeux fixés sur l’Etoile, figés, pégués, tels des santi belli. Maille ! Que c’est un travail impossible que de décoller de force les deux toupins. Alors on les laisse là, à se ravier pour des centaines d’années ?

 

            --  Tant pire ! Nous on y va ! Qu’ils clament tous, en chantant « Douce Nuit, oh Douce  Nuit ». Et je vous conseille, conclut Granie d’en faire autant que dans la chanson.

 

Egosillez-vous donc, en attendant que par cette nuit presque polaire, Taï mon copain Inuit vous raconte une histoire de son pays où le temps est si froid que même la glace transformée en igloo peut faire une maison protectrice. C’est là même le pays, où la  Reine des Glaces reçoit Hans et sa petite copine Gretel dans son palais glacé.

 

            Je vous donne rendez-vous à demain, pour la dernière veillée de la saison. Il est demandé de venir avec les déguisements pour habiller adultes et enfants en bastidans des neiges d’antan.

 

            Des invités de tous les continents arrivent déjà pour participer à la Grande Fête du Mont Faron, cette fameuse estubade qu’elle est célèbre de partout. 


24/09/2011
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