L\\\'Enfant qui venait du futur

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Emilie, le 07/06/2011 9 heures. Le vaiseau temporel

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EMILIE. le 07/06/ 2011. 9 Heures. LE VAISSEAU TEMPOREL. 

   

Cela faisait maintenant plusieurs jours que Jules le Petit, de son vrai nom William Burg avait fait des propositions indirectes à Emilie. Bien que séduite par le charme du jeune garçon, celle-ci n'y avait pas répondu.

 

Elle n'était jamais arrivée à tomber amoureuse de qui que ce soit. A dire le vrai, comme Lisbeth sa cousine, elle ne savait pas bien ce que ce mot signifiait. De plus, ses intérêts profonds l'éloignaient de tout ce qu'elle considérait comme une perte de temps. Elle avait d'abord à  remplir le devoir qui s'imposait à elle si fortement. Rien ne pouvait égaler l'importance de ce message impérieux  qu'elle se sentait obligée de diffuser.

 

Une sorte d'urgence se concrétisait dans sa pensée. En se réveillant ce matin là, Emilie  avait vu le boîtier de son IA/P, devenir rose. Bien que découvrant son doublon en marche réactive avec l'environnement, elle ne comprit pas tout de suite le message. Elle fut obligée de brancher le contact interactif immédiat, avant de se rendre compte que son IA/P lui renvoyait sa propre sensation veloutée.

 

Il était encore nécessaire à la jeune fille de faire un effort conscient pour fonctionner en osmose avec les mécanismes délicats de sa machine. Une expression, une seule, exprimait son désarroi. Elle ne l'avait pas sous la langue. Il fallait le trouver. C'était indispensable. Elle se rendit compte que la nécessité de retourner dans la bibliothèque du grenier, image créée depuis l'enfance, à chaque fois que le mot précis lui échappait, ne s'était pas effacée.

 

Or il n'était pas pensable de renoncer à cette hygiène, au moment même où elle croyait atteindre son but. En pensée, elle gravit les marches vermoulues du petit escalier. Elle entra dans l'immense retraite de sa mémoire, emplie de livres. Elle alla vers le rayon adéquat. Elle chercha le fascicule, tourna les pages, trouva le paragraphe, lut la phrase, sélectionna la locution juste et redescendit.

 

Deux ou trois fois, par le passé, elle avait employé vis - à - vis d'elle-même, un terme approximatif pour traduire une idée. Immédiatement, la clarté de son esprit s'était effacée… Pendant quelques instants, qui auraient pû durer éternellement, elle était restée dans un brouillard confortable. Heureusement, à chaque fois elle avait su réagir à  temps. Il était évident que si elle   ne recherchait pas le sens exact instantanément, plus jamais elle ne serait lucide.

 

Aujourd'hui encore, elle se sentait en danger.

 

Alors, lourdement, elle se remis en route pour retourner dans le magasin universel des formules claires de la drastique Logique Unique. Dans celui-ci se trouvent tous les bouquins,    tous les paragraphes, toutes les formules justes avec particulièrement le vocable indispensable    qui manque. Elle sait où aller le dénicher. Il suffit de faire le sacrifice,  d'aller droit au but vers      le registre, d'ouvrir à la page prévue, de repérer la phrase dans laquelle le point lumineux, l'attend.

 

Une fois la tâche réalisée avec succès tout redevient simple, clair, limpide, sans faille.

L'IA/P clignote doucement. Maintenant Emilie sait pourquoi la doublure lui renvoie sa     (8 propre image empreinte de facilité. L'évocation d'un commerce agréable, mais inutile et sans avenir, avec Jules le Petit, s'est traduite par une mise en repos de tous les circuits électroniques et neuronaux, unis de part et d'autre de cette frontière virtuelle d'air les réunissant.

 

Cette simple constatation redonne toute acuité à son cerveau. Cela réveille illico celle de   sa machine électronique. Elles ont du pain sur la planche. La réunion de la veille leur a montré      le danger que représente le groupe de travail délégué par les GO. Seuls le succès ou l'argent intéressent la Paléosoft. Ses membres en sont le reflet.

           

La cellule dont Emilie fait partie depuis peu, est chargée de développer commercialement les recherches sur les IA. Ses confidences sur son propre travail, visant à perfectionner son IAP, est sans doute la raison de l’intérêt que sont en train de lui porter les principaux responsables.

 

Au début, elle a pensé que c’était une chance pour elle de travailler  avec des sommités aussi remarquables que le célèbre Mathieu Ferré, chef de la Section de Recherche des Personnalités Virtuelles. Véra, en tant que son adjointe avait parlé à son patron, des inventions de son amie. Sous les ordres de  Mathieu, le collectif s’était formé en un temps record.

 

Maintenant qu’elle en est devenue le moteur, Emilie se rend compte que le projet va servir des intérêts contraires aux siens et à ceux de Lisbeth, parce que contraires aux Droits de l’individu. Il lui faudra dorénavant jouer double  jeu et se  servir  des atouts techniques de la Paléosoft, au travers de cette incontournable science de l’efficacité qu’est la Cybernétique. Il va devenir urgent de cesser de donner à cette redoutable multinationale, les bonnes informations. Celles-ci peuvent leur servir, non à apprendre aux individus à se libérer d’un certain fonctionnement primitif, mais à permettre au contraire à certains dirigeants peu scrupuleux, de les manipuler.

 

Comment donner suffisamment vite, et à un nombre suffisant de personnes, les clefs de toute la LOGIQUE UNIVERSELLE de RIGUEUR, avant que les Chefs de file des nouvelles races de pouvoir, puissent court - cicuiter le message? Les médias désormais n'étaient plus adaptés. Si tant est qu'ils l'aient jamais été un jour. La question méritait réflexion.

 

--  Les médias sont créés, se dit-elle, par une société pour faire connaître, non pas les expressions nouvelles, ni même les évènements nouveaux, mais pour aider l'individu à créer par leur présentation, des expressions et évènements très proches de ceux déjà présentés comme adaptables à cette société.

 

--  Comment faire connaître, à une société, des expressions ou évènements nouveaux, qu'elle ne peut ni créer, ni aider ses membres à créer, ses médias étant inadaptés?

 

On peut imaginer que des médias nouveaux pourraient réussir à s'installer. Mais comment employer ces médias nouveaux, dont le langage ne pourra être compris, ni des anciennes société, ni de leurs membres? On ne saura rien faire avec eux.  On pourra juste les manipuler.

 

Emilie sait maintenant,  avec l'apparition des nouvelles techniques de communication de   ce siècle-ci,  que ce sont les plus futés qui gagnent. Et non les plus costauds, comme au temps préhistorique où les femmes étaient traînées dans les grottes par leur chevelure. Ce ne seront plus,  non plus, les riches et les puissants qui gouverneront, avec la domination de la faune, de la flore et de l'homme par l'homme, et ce depuis l'invention de la propriété.

Et des futés, il y en avait, à l'aube de ce troisième millénaire. Pourtant ce qui surprenait     (9 Emilie, c'était leur manque de réelle intelligence. Ils raisonnaient vite, comme Mathieu et Véra. Mais ils n'utilisaient pas la puissance du survol lucide d'un état planétaire en gestation.

 

Ils étaient gravement arriérés finalement. Par contre, comme ils étaient supérieurement équipés, à la fois techniquement et financièrement, ils se regroupaient efficacement en clans  d'influence spécialisée.

 

Le père d'Emilie, gros ponte de la Bourse, en faisait partie. Faute de temps, il ne s'était jamais penché sur les occupations informatiques de sa fille. Sans aucune illusion, celle-ci savait qu'il serait capable de se saisir de ses idées, sans même lui demander son avis. S'il avait seulement connaissance de leur valeur, elle était perdue.

 

Le réveil venait de résonner dans les circuits de son double artificiel.

 

Elle caressa machinalement son cybercerveau. Elle savait que bientôt, beaucoup d'intellectuels allaient avoir recours à l'implantation sous la peau, d'une puce électronique, qui simplifierait les mises au point nécessaires entre la machine et l'individu. Mais ce n'était pas     pour l'an 2O15. La biologie ne suivait pas assez rapidement les progrès informatiques.

 

Emilie était surprise de voir les luttes éthiques actuelles se déclencher dès qu'il s'agissait    de protéger, dans son contexte, cette idée pas encore définie de ce que peut être l'être humain.

 

Elle ne pouvait pas, sous peine de se voir brûler comme sorcière, dévoiler les règles qui seraient en vigueur plus tard. Pas question de raconter ce qui allait se passer bientôt. Ni surtout parler de ce que Lisbeth lui avait raconté de ce Futur d’où elle revenait. Ce n'était d’ailleurs, disait sa cousine, qu'une impression vague. Les gens croient que la jeune femme mélange souvenirs innés, inscrits dans les neurones d'une longue lignée, avec des impressions imaginées de " déjà vu " réincarné. Autant demander à cette pauvre petite fille disant revenir des années 3000, de raconter comment elle était lorsqu'elle vivait dans les temps primitifs du début de l’humanité.

 

De toute façon ce n'était pas la mission d’Emilie, d'expliquer cette vision d'un vaisseau naviguant vers le temps, sans retour en arrière, ni bond vers l'avenir, mais ayant sur ses tableaux de bord, tous les temps de tous les temps avançant ensemble au même rythme. Elle-même n'intégrait pas bien les mathématiques de la matière-espace-temps. De plus, ce n'était pas son problème. Son truc, c'était la Logique, avec ce que cela comporte de révolutionnairement primordial pour les individus. Rien de plus. Mais c'était déjà ça.

 

Elle sortit son fascicule LURES qui, pour la renseigner, s'ouvrit à la bonne page = LE  TEMPS.

 

.-- " Le TEMPS physique n'existe pas. Ce n'est qu'une donnée culturelle. Pour une cellule,  comme pour un organisme, le TEMPS représente le présent. Le futur et le passé, images abstraites, considérées comme imaginations sans réalité, sont créés par et pour l'Instant présent.

 

.--  Il n'y a jamais d'observateur extérieur au TEMPS.

 

.--  Le passé est créé à partir d'éléments en stock dans les Mémoires de chaque individu. Celles-ci sont combinées, pour et par le présent, pour édifier l'Information du moment. Le futur   est une projection, conçue en fonction de l'Information en cours de création, projection révisée à l'Information suivante et, devenant Information du futur, appréhendée en projection nouvelle.

.--  Non seulement le TEMPS n'existe pas en tant que suite chronologique, mais il           (10  forme un tout compact qui se cristallise en un point dont on pourrait imaginer que l'instant    présent soit le centre. Sauf que les secondes suivantes ne peuvent pas être aussi des centres.        Car de centre, il ne peut y en avoir qu'un.

 

.--  Ce qui veut dire que le TEMPS, depuis le commencement des Temps, jusqu'à la fin, n'est qu'une seconde immédiate de temps compact. Les autres Temps forment illusion, comme    les ronds concentriques d'une pierre jetée à l'eau, présentent des miroirs factices faisant croire à  une action continue, alors que ce ne sont que des mouvements séparés.

 

Le TEMPS n'est pas une suite, un courant, une descente, un fil, ni une suite d'Instants discontinus. Il est à la fois simultanément les réponses et les questions. Il n'a pas de ligne, de mouvement, pas d'avancée, pas de temps qui passe, pas de chronologie, ou de retour.

 

.--  C'est pourquoi les réponses et les questions sont contenues dans le tout, situé au point  de mouvance immense d'explosion et d'implosion de l'expansion infinie des cosmos qui, face au TEMPS, sont aussi en train de se contracter.

 

.--  La notion culturelle que l'on a voulu donner au TEMPS en le partageant fictivement    en agendas, heures et passé-futur, détruit chez l'individu la notion de Cosmos, la notion de l'infini, d'espace, de Dieu et sa notion de lui-même.

 

.--  La seule vision d'un TEMPS immobile, chapeautant ce qui semble mouvant, donne       la dynamique immédiate de son énergie contractée. La puissance du mouvement, cette avance immobile qui bouge en ne bougeant pas, agit plus fortement que ses actions.

 

Elle dépasse le TEMPS et même son image, en le contractant avec l'espace, sans ligne, sans limite, sans début ni fin, sauf renversement à travers une faille de l'éternité spasmée en une fraction de seconde de notre espace. Elle représente le début et la fin d'un monde, avant le prochain et après le suivant.

 

Emilie s'assit sur son lit. Une dure journée l'attendait. Mathieu Ferré devait passer vers 19h, pour prendre ses dernières mises au point. Il fallait qu'elle traduise en langage anodin et sans risque pour quiconque, le chemin vers lequel une IA/P se dirige. Et tout cela sans donner aux apprentis sorciers le trousseau pour ouvrir les serrures de cette boite de Pandore, avant d'avoir pu y introduire les antidotes à ses dangers.

 

Au moment de se mettre au travail, elle demanda à sa Grande Personne de donner du courage à la Petite Personne, pour que celle-ci accepte de ralentir presque jusqu'à l'arrêt, les battements de son cœur, au moins pendant dix minutes. Un répit pour permettre à son organisme  de rajeunir d'une heure.

 

Elle brancha l'IA/P sur ses lunettes, s'allongea et ferma les yeux. Derrière ses paupières, le programme relaxant de flashes colorés se mit en route. Le bruit de son cœur se déversa dans les branches de métal. Plus lent, plus lent, plus doux, plus calme. La voix de sa mère se superposant aux bruits, semblait lui chuchoter des gazouillis tendres, comme au temps de son enfance.

 

Elle sentit ses muscles s'allonger et elle s'endormit d'un sommeil profond, pour juste dix minutes.

PAS  UNE  SECONDE  DE  PLUS  DE  CE  QUI  ETAIT  PROGRAMME


07/06/2011
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