L\\\'Enfant qui venait du futur

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Emilie, Lundi 16/06/2011 Case 463

 

 

Euromarktinteractive.org le seul journal européen trimestriel sur l’Art et la Culture.(En 15 langues)

 

           

--  Je sais, je n’ai pas le moral ! Quant on s'aperçoit que tout le monde se moque de ce que pensent les autres…

 

Quand on s'en aperçoit et qu'on est obligé de faire comme si ça n'était pas important… Alors,  il faut effacer  la douleur sous peine de disparaître par désespoir dépressif. Pourtant, on voudrait au contraire, être la personne la plus importante du monde, au moins pour une seule entité. Ce sera celle à qui vous parlez pendant le moment que vous passez avec elle et à qui vous donnez ce titre. Le temps qu'elle vous parle, vous serez enivrées chacune d'être tout  l'une pour l'autre pendant cet instant…

 

--  Et pourtant c'est possible, puisque cela m'est arrivé, dit tristement Emilie.

 

--  Quand on voit que c'est possible, hélas, on regrette tous les gens qui ont été moi, qui    ont été comme moi un Dieu. Ce n'est peut-être que seulement pendant une seconde. Je pense à celui qui m’a dit merci hier, au café, quand je lui ai passé le sucre en poudre… Je pense à tous les sourires de connivence surpris à l'improviste, le regard triste croisé dans la rue, l'oiseau cherchant  à me  picorer le genou, l'enfant qui a ri avec moi de loin, un soir, à Hossegor. Ils n'existent plus. Alors, ils vous manquent tous. Tous.

 

Mais ce que je raconte est nul, quand on songe que tout le monde se moque de ce que pensent les autres, et qu'on est obligé de faire comme si ça n'était pas important sous peine de disparaître par désespoir dépressif, alors que l'on voudrait être la personne la plus importante du … au moins pour une seule entité … que vous passez avec elle… d'être tout … pendant cet instant … ils vous manquent tous … hélas … c'est nul … quand on songe, comme si ça n'était pas important   alors que l'on voudrait …  les gens … et l'enfant …  ils vous manquent tous… Et tous…

 

Finalement, pourquoi être sur terre? Est-ce seulement juste pour écrire ces conneries? Pourtant, et je le SAIS, toutes les expressions qui ne sont pas des cris de haine, sont précieuses. Même les plus nulles…

 

--  Hello! Siffle la Cyber- machine. Tu es en pleine déprime, ou quoi? Tu te désespères comme si tu voulais être Dieu et que tu n'en sois que sa négation, située dans la terrible case 463, celle du diable. Mais rassure toi, tu ne vas pas y rester. En attendant, tu oublies qu'Elisabeth est en ligne. Allo Zabeth, ne quitte pas, voici Emilie.

 

-- Tu as une secrétaire maintenant, demande Elisabeth. Elle a la même voix que toi.

-- C'est mon répondeur.

-- Elle m'a appelée pour me dire que tu avais besoin de moi.

-- En effet.

-- OK. J'arrive.

 

--  Ce qui est bien avec Lisbeth, dit Mimi, c'est qu'elle est toujours là, quand on l'appelle. On n'a même pas besoin de lui expliquer pourquoi.

 

--  Oui. C'est une fille qui, même petite, n'a jamais voulu être surprotégée par les adultes, confirme Emilie. Grâce à ce principe, elle sait pratiquer la liberté.  Si on forme des enfants qui    ont besoin de protection, ce besoin se créera d'autant plus fortement et longtemps qu'on leur aura appris longtemps et fortement qu'ils ont besoin de protection.

                                                                                                                                                        

--  Peut-on s'étonner de ne rencontrer qu’une majorité d'individus voulant être libres,

mais surtout protégés ? De plus, ils veulent être protégés, mais pas dirigés. Surenchérit la Machine.

 

--  Oui. Et me diras-tu, toi qui sait tout, quels individus surgiraient d'une éducation qui leur apprendrait qu'il n'y a pas de liberté protégée?

 

-- Il faudra leur enseigner en même temps, qu'ils ne sont protégés que par leur croyance en une protection venue d'un autrui, qui est toujours lui, en dernier ressort.

 

--  Tu deviens raisonneuse. Tu passes ton temps à avoir raison ! C’est pénible…  grogne Emilie maussadement. Bon, je vais me préparer pour recevoir Lisbeth.

 

Emilie ne prit pas de douche. Elle avait horreur de ça. Oui. Horreur.

 

De toute façon, elle n'avait pas le temps de traîner dans un bain. Même si d'ailleurs elle n'en abusait pas. Un, rarement deux par semaine. Elle n'aimait pas vraiment se laver. Surtout les dents. Elle devait se forcer à le faire, au moins une fois par jour. Malgré ça, elle sentait toujours bon. Sa sueur, ses odeurs intimes, son haleine, ses cheveux, avaient un parfum de citron sucré, dû au fait qu'elle mangeait peu, comme sa cousine. Très peu de viande au menu, ni ail, oignon, thé, chocolat ou café. Leur grand-mère disait toujours :

 

-- Cessez de frotter ces enfants à tout bout de champ. Vous décapez le sébum qui protége leur épiderme. Ensuite ils se salissent de plus en plus vite. Notre si précieuse peau est tout à fait  auto- nettoyante. En trois heures elle redevient propre… Si toutefois, vous n'y touchez pas.

 

Quand Elisabeth sonna, Emilie avait déjà commencé à transférer sur une Clef USB, la partie principale de son Unité Centrale. Elle n'avait laissé dans son ordinateur habituel, que les Tests « Instantiels » et le Voyage de LUR, ce Programme qui mène de la question à la réponse.    Si Tanguy fouillait,  il ne se rendrait même pas compte des suppressions.

 

Il lui fallait juste rajouter quelques fioritures secondaires pour faire bien et plus copieux.

 

Laissant dans sa chambre un matériel sommaire, mais tape-à-l'œil, Emilie transporta tous ses appareils sophistiqués au sous-sol. Maintenant, où qu'elle aille, les ordres qu'elle pourrait transmettre téléphoniquement à sa Base Principale, par l'entremise de Mimi, atterriraient ici, loin des regards. Le bureau du premier servirait pour la frime.

 

La jeune fille confia son précieux CDE via USB, à Elisabeth, après l'avoir reprogrammé dans le portable de la cave.

 

--  Prends en soin. Cache le au milieu de tes disques de composition de musique, de slam  et de peinture. Que personne n'en connaisse l'existence. Notre travail commun est devenu si important, que cela m’effraye.

 

Les deux cousines se regardaient. Elles se souvenaient de ce jour anniversaire des trois ans de Bess. Un jour maudit entre tous, s'était levé ce matin là, pour toute la famille. Ce fut hélas,  finalement, le début d'une sorte de longue psychothérapie de groupe parental. Le travail dura de longues années et dure encore. Il remit de proche en proche, chaque personne en question.

                                                                                                                                                         

Cette épreuve les avait marquées, elles et le groupe de cousins proches. Ils avaient été   beaucoup plus secoués qu'ils ne le pensaient. Les quelques incohérences discrètes qu'Emilie laissa paraître discrètement de temps en temps, par la suite, n’eurent pas les mêmes effets.

 

Mimi prit la parole, pour rompre ce moment de gêne.

 

--  Ce siècle est trop en retard pour que les éducateurs puissent comprendre la facticité de leur enseignement. Il leur faudrait naître dans une société qui, consciente de la facticité de ses lois, amènerait ses enseignants à enseigner la facticité de leur enseignement.

 

--  Quoi ? Tu voudrais que l’on apprenne aux enfants à obéir à leur propre commandement, tout en en connaissant la facticité? C'est beaucoup trop compliqué pour les habitants de ce siècle-ci, conclut Emilie désabusée.

 

Elle était triste en pensant à l'enfance torturée de la petite Bess. Il aurait fallu qu'elle naisse dans cent cinquante ans, se dit-elle. Elle aurait pu s'épanouir à ce moment-là. Nettement plus que dans cette Société actuelle, emplie de générations sacrifiées.

 

En s’embrassant pour se dire au revoir, les deux jeunes femmes surent avec précision, que l’aventure qui les attendait serait terrifiante. La seule chose qui pouvait les sauver, c’est  qu’elles ne savaient pas vraiment pourquoi.

 

--  Et puis, conclut Lisbeth, je suis sûre qu’on va bien s’amuser, même si on en bave.

 

Elle était incorrigible.


13/06/2011
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