Page 11
Lisbeth, Mardi 14/06/2011 Grandes Dents Carrées.
Euromarktinteractive.org, le seul journal trimestriel européen sur l'Art et la Culture (en 15 langues).
En revenant de chez Emilie, j’ai retrouvé Fred et les Delpierre allongés sur des chaises longues dans le jardin. Il fait une chaleur du diable. Je leur ai décrit les craintes de la pauvre Milie, par rapport à notre IAP appelée Mimi par la cyber - boite elle-même, et l’idée qu’elle avait eu de me confier le double de son travail, sous forme d’une simple clef USB. Gérard Delpierre l’a prise aussitôt, et mise dans son coffre fort portatif qui, d’après lui était inviolable.
La conversation que le couple a eu ensuite avec Fred, m’a pris la tête. Ils ont parlé des grandes dents de la Paléosoft et de leur crainte vis à vis de nous. J’était si fatiguée que je crois que je me suis endormie. J’étais si bien sous le grand if, qui abrite la pelouse devant la maison. Cela me rappelait mon enfance et les contes de Granie. Je repensais à ce jour où notre chère grand mère nous a raconté l’histoire de Jeannot Lapin, dit Grandes Dents Carrées, immenses comme des touches à piano. Nous étions sous le figuier qui ombrage la porte de la cuisine située côté ouest.
Je m’en souviens comme si c’était hier. Au matin de ce fameux huitième jour de vacances, dans la grande maison familiale, au dessus de Toulon, Granie annonça calmement avec une petite lueur dans l’œil, une soirée « jus de fruits » pour le soir même. Cela voulait dire qu’elle invitait qui voulait, à éplucher convivialement pendant plus de deux heures, oranges, pommes, citrons, mandarines et même carottes et kiwis, mixés, ou plutôt pressés à la main au fur et à mesure.
Les travailleurs avaient alors pour récompense, la possibilité de boire jusqu’à plus soif, pendant toute la nuit et la journée du lendemain une bonne boisson vitaminée naturelle. Les bouteilles conservées dans la fontaine étaient fraîches à point, ni chaudes, brûlantes, ni glacées, condition « sine qua non » d’une promesse de santé, assurée selon les règles élémentaires de l’hygiène « authentique ». De plus, le grand prix de la soirée était toujours le cadeau d’une nouvelle histoire « faronaise », issue d’ici même et inconnue.
Il faisait une fois de plus ce soir-là, une chaleur torride. Les rendez-vous que les uns et les autres avaient pris pour souper avaient vite été annulés. Car, on ne pouvait refuser pareille aubaine. Les festivités commencèrent par un dîner majuscule. Le couvert installé sur la terrasse devant le bassin des carpes, prévoyait déjà une soixantaine de convives. Pas un ne manqua. Il y eut même un bon rab.
On se serra autours de la grande table fabriquée avec de grosses branches de bouleau et des planches de hasard. On mangea. On but l’eau de la source, de la tisane de sureau, de la crème de miel, des sirops d’orgeat, en attendant les jus de fruits pressés par nos mains. Les invités n’avaient droit, comme d’habitude, dans ces occasions là, qu’à un verre de vin par personne, les petits non compris. Granie ne plaisantant pas avec la qualité d’écoute de son public, il n’aurait pas fallu entendre une mouche voler.
Lorsque la table fut débarrassée, que les corbeilles d’agrumes furent apportées « avèque » les toupins de faïence prévus pour les épluchures, la raconteuse commença son histoire. Sa voix précise se déployait dans le soir tombant, éclairé de bougies. La venue d’une petite brise tiède laissait entendre que la chaleur encore lourde allait bientôt se calmer. Les cigales excitées par la brûlure de l’été, s’en donnaient à cœur joie. Insouciants, l’esprit vide, les spectateurs souriaient aux étoiles naissantes.
-- Cette histoire, commença Granie, concerne tous ceux qui s’y « croivent », traversant l’existence en s’imaginant être fort futé. Y réfléchissent à se méfier, alors qu’ils pensent qu’ils se méfient. C’est ce qui est arrivé au Renard de la Clairière des Castagnès, du temps qu’il existait encore de ces mammifères carnivores à tête effilée triangulaire, à queue touffue, bêtes louches qui, à l’époque cohabitaient même avé les loups.
Un jour donc, le Finassier y rencontra dans des circonstances inhabituelles, Jeannot le Lapin, que l’on appelle aussi : « Grandes Dents Carrées Comme Des Touches à Piano ».
-- Oh mais, s’écria la petite Bess étonnée, il en reste encore un de renard sur la colline. Je l’ai vu l’année dernière à la Noël dans le pré du père Mathurin. Et il est gentil !
-- Oui, mais celui-là y ne compte pas. C’est un ami. Il est tout à fait apprivoisé. Il s’est échappé d’un cirque et il a perdu ses caractéristiques natives. Après un temps de silence amusé, l’Interrompue reprit son récit.
-- Ce matin là, « alorsse » qu’y faisait au « moinsse » aussi chaud qu’aujourd’hui, la Marie Zize, qu’on y dit aussi la Zizoune ou la Marise, avait décidé de se faire une salade pour le déjeuner. Elle descend au potager, juste avant de se mettre à table. Parce que tout le monde sait qu’il ne faut pas ramasser trop en avance les fruits et les légumes. Comme « avé » les oranges de ce soir qui viennent juste d’être cueillies sur l’arbre. Sans quoi, ils perdent beaucoup de leurs vitamines.
En passant, elle cueille un beau citron bien mûr. Mais « alorsse » qu’elle arrive devant les escaroles, qu’est-ce qu’elle voit ? Bonne Mère dé Diou ! TOUTES les salades avaient été saccagées. Certaines n’avaient plus que trois feuilles. D’autres étaient grignotées par le milieu, piétinées, salopées ! Un vrai ravage !
-- Ca alors, ça alors, ça, quelle « cagade » ! Qu’elle s’écrie.
La vue du désastre a suffoqué la Maryse, qui pourtant ne se met pas facilement colère. « Malaguère » ! Là on peut dire que cette fois la moutarde lui monte au nez.
-- Mais qu’est - ce qui lui a pris à ce fada ? « Qué bestiari » ! Y fallait qu’y soit ivre hier soir, ou venu fou après un coup de soleil sur la coucourde ?
Parce que la vieille Zize elle, elle savait bien qui était le coupable ! C’était ? Oui vous m’avez bien comprise… C’était Grandes Dents Carrées, c’est à dire Jeannot le Lapin aux longues oreilles et aux quenottes rongeuses en forme de touches à piano. Pourtant d’habitude, ce Rafègue, il était pas trop gênant.
Il venait tous les matins s’avaler « quèques » feuillettes de chicorée ou de mâche en choisissant pudiquement parmi les plus dures. Cela c’était raisonnable. Mais « rousiguer » d’un seul coup tout un champ qui peut faire vivre une famille entière pendant un mois ! Il fallait qu’il se soit payé un fameux quart d’heure colonial ! La biture du Nouvel An. Pas « moinsse ». « Brouffe » ! Marie - Zyze elle en croit pas ses yeux. Alors, il lui vient une idée. Elle va chez le voisin, Jeantou le Titou, surnom qui signifie qu’il est petit de partout et elle lui demande de lui prêter six laitues, en lui essepliquant bien le dégât du coupable aux longues oreilles soyeuses.
A peine rentrée au cabanon, elle s’en prépare une bonne charnue « avé » le citron vert, la farigoulette, le basilic. Un régal. Puis, avant de s’en aller coucher pour la sieste, elle va dans le potager et replante les cinq autres en cercle. Elle avait son idée de derrière la tête. Au milieu des légumes, elle cache une planche enduite de glue. Et elle se dit en mettant son réveil pour quinze heures :
-- A malin, malin et demi. Tout à l’heure après le sieston, tiens, on verra bien qui des deux sera le plus attrapé. J’ai hâte de voir.
Ce fameux matin là, Grandes Dents Carrées se lève un peu tard. Il avait passé une nuit agitée, un peu lourde à cause de l’estomac surchargé par le « gueleton » de la veille au soir. L’origine du massacre des salades était le pari qu’il avait fait avec son cousin. Ils s’étaient lancé le défi de voir celui qui mangerait le plus vite, le plus de verdures. Et inconsidérément, ils s’étaient laissés aller à vouloir battre le record mondial.
Après un long repos allongé à la fraîche, il se sentait ce matin, poindre de nouveau une petite fringale. Il décide donc d’aller voir ce qui reste du champs après le cyclone. Or, quelle n’est pas sa surprise, Fan dé Chichourle ! Qu’est - ce qu’y voit ? Cinq magnifiques romaines, vertes et charnues comme il les aime. Il se gratte le crâne.
-- Tiens, j’ai la berlue ou quoi ? Hier j’avais bien cru que nous avions tout ratissé ! Et il en resterait encore cinq ? Bon ! Cette fois - ci soyons discret et faisons comme d’habitude. Surtout, ne croquons que quelques bordures de verdure de ci, de là.
Il se glisse délicatement dans le rond, sans remarquer la planche de glue. Or, bêtement, en faisant un petit tourniquet, y se pose la patte arrière droite sur le piège. Pour se dégager de cette « pégasse », y fait une légère ruade et y s’y colle stupidement la patte arrière gauche à côté de la droite, en plein dans la colle. Oh, alors ça, ça lui plait pas !
-- Qu’est-ce que c’est que cette « bastardise » ? Qu’y s’écrit ! Je vais pas y rester là toute la journée tout de même ! Y s’agrippe la patte avant droite sur le rebord de ce qu’il croit être un banal « banaston ». Peut-être qu’y z’y voit d’abord que le banal. Mais après, il sent « l’empêgue ». Ses trois jambes sont « aspaguées ».
Alors là, y commence à s’affoler au milieu du « rodou » . A force qu’il en est, tournoyant de l’échine et ballottant de la queue, dans ce brutal déséquilibre désordonné, ce qui devait arriver arriva : Y s’englue totalement ! Dès cet instant, Grandes Dents Carrées a su qu’il était fichu. Dieu, le Diable, les sorcières et le reste pouvaient faire de lui tout ce qu’ils voulaient. Il était à leur merci.
-- Oh ! Pôvre de moi ! Je suis perdu, qu’y s’avoue. Et y se met à pleurer.
Pendant ce temps là, le réveil réglé sur les quinze heures avait alerté la Maryse. Accompagnée de sa nièce la petite Bess d’alors et de son copain Tienet, elle se dirige munie d’une grande bassine, vers le potager. Et qu’ès aco la vision qui la ravit ? Et té ! C’est le Grignoteur figé dans la mélasse. Alors là, la Zize, elle se paye une grande « fourre » de rire, bien bien proche de l’estouffade.
-- Ah ! Petit coquin, grand coquin, « couquinasse » ! Tu t’es bien « agrané » ! Qu’est-ce que tu m’as fait hier, de manger toutes mes herbes fraîches ? Ca va te servir de bonne leçon ! Hein, tu m’entends ? Et maintenant que va-t-on faire de toi ? Un civet ou quoi ?
A ces mots, Jeannot Longues Oreilles se met à trembler. Les deux enfants, pris de pitié regardent la Grand-Tante avé la supplique des pupilles. La Zizoune amusée leur renvoie vite l’œil qui frise.
-- Mais non, pauvre peuchère ! Je vais pas te manger. Tu es trop pitchoun ! Je vais attendre que tu sois un peu plus gros. Tiens, voilà ce que je vais te faire. Prenant la grande jarre, elle la remplit d’eau à la roubine, la pose et met dedans tout le tableau : Jeannot, la planche, la glue.
-- Vaï ! Tu as plus qu’à attendre que ça fonde et basta ! Je te donne une dernière chance. Quand tu te seras « dépégué », file et n’y revient pas. Que ça te serve de « leçon-pense- bête », petit lapin, sot lapin, lapinasse. La Maryse et les deux « nistouns » s’en vont ainsi, « cahahine –cahahant », laissant Grandes Dents posé comme un flan au milieu de ses primeurs.
Ah ! C’est qu’il avait pas l’air malin. Y se demandait encore, comment il avait pu se laisser coincer comme ça. Et surtout si ça pourrait durer encore une décade ? Mais il a pas le temps de trouver le moment long. En effet, le rire de Tante Zize en le découvrant « stassi », avait été entendu par un « Emmasqueur » de première. Un personnage de l’ombre à éviter absolument. De qui je veux raconter ? De Monsieur le Renard, dit le Fouineur. Futé comme une rosière amoureuse, le Fier était tellement z’astucieux qu’il se méfiait de tout et de tous. Ce Roublard en arrivait « quèques » fois à se méfier de lui jusqu’à se « piégegourer ».
En débouchant au bout du champ, il aperçoit comme un mirage ! Le VRAI Grandes Dents Carrées, planté au mitan des légumes. Y « parpèle » des paupières, se frotte déjà les mains. La bave lui tombe de la bouche. Y se REGALE par avance.
-- Un petit repas de jeune lapin ! Quelle aubaine ! Y chipotait pas sur la taille comme la Zize. Y cherchait pas à ce qu’y grossisse. Plus le civet est de tendre, et plusse que ça lui va bien au goût. Il allait pas attendre que le fruit mûrisse !
-- Comme je vais faire pour me l’attraper avant qu’il détale ?
Piano, piano, il avance doucement, aplati au milieu des herbes, rampant, cherchant à se rendre invisible, tout en sachant bien qu’il ne l’était pas. Mais il avait beau avancer, le lapin ne bougeait pas. Grandes Dents l’avait bien vu, c’est évident. Il en avait les oreilles frissonnantes. Y regardait droit fixe devant lui, sentant Monsieur le Renard dit le Fouineur se glisser vers lui.
Et il était pas fier !
Tout de même cette saleté de Renard, dite saleté de Fouineur finasse, y réfléchissait bien pendant ce temps là. Il se disait :
-- Quoi ? S’il est pas parti en détalant à toute vitesse à ma vue, c’est qu’il y a un piège quelque part. Et je vais pas me laisser avoir. Oh que non !
Le pauvre Lapinasse lui, y sentait sa dernière heure arrivée. Ca lui disait rien du tout de finir si jeune sous la canine d’un fauve quel qu’il soit. Fut - ce Monsieur Renard ! Poussé par le désespoir, y lâche un cri d’invention pour se sortir de là !
-- Oh, oh, oh ! Eh, Renard ! Mais qu’est - ce que tu fais? Tu rentres dans un potager qui n’est pas à toi ! Tu sais ce qu’il en coûte de faire ce sacrilège ? Moi j’avoue que je peux te renseigner. Le Fouineur regarde droite – gauche. Y se dit :
-- Mais qui c’est qui me parle ? Je rêve ! C’est ce pôvre malheureux en si mauvaise position ? Il veut me faire la leçon ? Ah, ha, ha ! Et y s’esclaffe, ah que c’est rien de le dire
-- Et pourquoi que je rentrerais pas dans ce potager, si j’ai envie de me tartiner un petit mammifère de minable comme toi pour le déjeuner ? Pas fier, mais faisant semblant de l’être, Dents Carrées lui rétorque en frissonnant toc à toc, d’un ton docte :
-- C’est parce qu’il y a des us et coutumes. Les Dieux du Potager vont te punir si tu ne t’y plies pas. Médiocrement impressionné, le Renard « reufleuchit » un peu et à tout hasard, pour se documenter, y demande :
-- Et qu’est-ce que c’est que ces us et coutumes dont tu me causes ?
-- Je voudrais d’abord te poser une question, dit la Victime. Tu rentres comme ça, ICI ! Mais qu’est-ce que tu voulais bien y faire ?
-- Boh ! Je voulais venir te manger.
-- Et bien justement ! Si tu veux venir me manger, il faut que tu fasses avant, les prières nécessaires en te prosternant, pour saluer les Esprits du Potager. Après, et après seulement, tu pourras « vénir mi cercar ».
-- Mais qu’est-ce que c’est que ça, dit le Renard en ricanant. Si c’est pas plusse, moi je veux bien. Alors il se prosterne. Y psalmodie rapidement :
-- Salut, salut Potager, salut à toi, salut à toutes tes divinités. Je biens pour manger le lapin. Après ces formalités préliminaires, il s’apprête à bondir. Mais Grandes Dents Carrées lui dit fermement :
-- Ah mais attend, ce n’est pas fini. Avant de te précipiter, tu dois, avant tout, fermer les yeux, essayer de t’imaginer ce qui va se passer quand tu me mangeras et le dire tout haut aux Divinités. Après, tu pourras avancer d’un mètre à la fois, Seulement !
-- Bouh, salive déjà le Gourmand. Je me l’imagine très bien. Je ferai un grand coup d’incisive et mon gosier se régalera. Jeannot Longues Oreilles, malgré ses frissons qui lui dressent tout le poil, le félicite avec d’autant plus de vigueur, qu’il sent ses pattes avant, se décoller légèrement.
-- Tu as rempli toutes les formalités. Bravo Renard ! Tu peux avancer d’un mètre et recommencer à fermer les yeux pour imaginer la suite de l’histoire.
-- D’accord, dit le Fouineur, mais si ça ne te fait rien, j’aimerais bien que tu m’appelles MONSIEUR RENARD.
-- Oh ! Acquiesce Grandes Dents qui se remue un peu les ongles au fond de l’eau du « toupin ». MONSIEUR RENARD, si tu veux bien avancer d’un mètre, tu pourras dire la continuation des us et coutumes.
Le Renard qui commence à s’énerver, décide de cesser là toutes ces civilités avec les divinités et de sauter sur le lapereau. Mais au moment où il s’apprête à bondir, Grandes Dents à Touches de Piano pousse un cri en montrant avec sa patte avant-droite qui vient de se décoller, le sommet du figuier situé juste derrière le Mangeur de Lapins.
-- Ah ! Déesse des Choux et des Salades ne foudroie pas ce pauvre imbécile comme tu l’as fait pour moi. Laisse-lui le temps d’apprendre les us et coutumes du Potager.
Le Renard regarde derrière lui et ne voit rien. Pourtant il se sent inquiet. Comme ça se fait que cet animal réputé pour sa foudroyante rapidité, reste là, au milieu d’un pré de légumes, immobile devant son ennemi mortel, s’il n’a pas une RAISON SUPERIEURE ? Ca lui donne à réfléchir. Méfiant, il se résigne à obéir aux us et coutumes du Potager. En soupirant il ferme les yeux.
Avec un commencement de lassitude, il décrit ce qu’il va faire du lapin quand il l’aura attrapé. Pour commencer, il va en déguster les pattes. Puis la tête. Et le dos. Et les flancs… et la queue… Il rajoute la musique, la, la, la… Il en salive des babines. Il avance chaque fois d’un mètre salue les divinités, savoure par avance. La tête lui tourne. Il est tellement affolé de désir qu’il en arrive à penser que ces us et coutumes, c’est pas si mal ! ! Ca donne des plaisirs insoupçonnés. Ca lui excite les papilles. Il ne reste plus que quelques dizaines de centimètres à franchir. Grandes Dents sent que la glue est sur le point de fondre. Il n’a plus qu’une patte arrière de retenue. « Aspège » !
-- Voilà ! Y te reste plus qu’un mètre qu’y dit au Renard. Alors avant de sauter sur moi, il faut que tu me dises : « Je viens te manger, et je m’en réjouis fort, MONSIEUR GRANDES DENTS CARREES. Tu peux bien me faire ce plaisir de donner du Monsieur à moi, grâce à qui tu vas pouvoir faire un déjeuner succulent ?
-- Ah alors, je suis d’accord, MONSIEUR GRANDES DENTS CARREES, dit le Fouineur en éclatant d’un grand rire carnivore et en bondissant sur sa proie.
Hélas pour lui ! La dernière patte vient de se décoller et PFFUIT ! Grandes Dents a déjà filé. On l’entend s’esclaffer à plus soif de derrière le talus ! Surtout que Monsieur Renard, dit le Fouineur, dans sa grande précipitation a plongé le nez dans la bassine et s’est fixé la planche de glue sur le bout de la truffe. C’est à ce moment là que la Maryse revient aux nouvelles, avec les deux petits, Bess et Tienet.
-- Alors petit Gaillard, sot Gaillard, Gaillardasse, t’es-tu enfin « dépégrassé » ?
En la voyant arriver, Monsieur le Renard est saisi d’une trouille intestinale intense qui laisse une traînée de chiasse de trois kilomètres de long et qui le précipite dans les bois, la planche fixée au bout du nez. Pendant des années et des années, il a galopé, galopé, en l’ébréchant de ci de là, sans jamais réussir à s’en « dépéguer » tout à fait de cette planche. Il aurait fallu que tout de suite, il reste le nez dans l’eau pendant au moinsse deux heures, comme le lapin. Mais comment faire alors pour respirer ?
Tout le monde sait bien que la super glue te colle irrémédiablement les doigts aux objets et qu’y a plus que le Samu avé les déménageurs pour t’amener au chirurgien de dernier recours. Ce qui fait que le malheureux Futé, il en a gardé pour la vie un morceau qui le fait loucher.
Depuis, lorsque de loin Grandes Dents Carrées voit passer le Ridicule, il lui crie :
.-- Alors MONSIEUR Renard, qu’on dit aussi le Fouineur Finasse, qu’est-ce que vous avez donc au bout de la truffe ? Est-ce que ce serait pas un cadeau des Us et Coutumes du Potager ? Et ça le fait « pitoler » d’une vraie joie intense, attirant dans la même rigolade tous les animaux « faronais » des environs.
C’est comme ça que la moralité de cette histoire typiquement « faronasse » et même « faronienne », qui se répète aux enfants le long les années prend toute sa valeur de légende. Je vais vous la citer ici, écoutez bien : « Le Roublard méfiant qui se croit plus finaud que les autres se fera toujours « agraner » par lui même ».
Ce qui veut dire en langage moco conclut Granie : « Celui qui s’y croit fort, se fera bien un jour piéger par même lui-même.
Un grand rire s’éleva de derrière le mimosa. Les invités crurent voir Grandes Dents Carrées en personne. Et tout le monde de s’y crier : Le lapin ! Le lapin ! Mais Jeannot Longues Oreilles Frémissantes détala en s’étouffant de ricanements rauques, soulignés par les bruissements des feuilles des amandiers, remplies de la vie de toutes les bêtes du coin venues profiter des belles histoires de Granie.
La nuit était féerique, comme ici chaque soir. La Fée Mélodie faisait trembler ses mousselines argentées sur les rebords du bassin d’arrosage que les mômes remplissent pour se baigner à la chaude. Le silence était plein de « vibrures », comme on en trouve toujours dans les veillées de contes. Le temps se suspendit. Puis ce fut un autre espace qui s’allait ouvrir sur les songes bleus du sommeil des enfants.