L\\\'Enfant qui venait du futur

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Lisbeth, 17/06/2011 Isis la douce

 

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Je n’ai pas de nouvelle d’Emilie depuis hier soir. Fred et les Delpierre sont partis visiter le Parc de Nanterre. Je n’ai pas voulu me joindre à eux. D’abord, je suis vannée. Et puis le lieu me rappelle de trop mauvais souvenirs, ou presque…

 

Cela se passait il y a deux ans. Je me souviens avoir pris des notes à l’époque. Je vais les retranscrire sur mon blog. Vous verrez que c’est pas triste. Voilà le récit :

 

« Ce matin, nous sommes partis pour faire une ballade dans le Parc de Nanterre, à cheval. Enfin, à cheval est un bien grand mot. Il y avait une mule, un percheron Beauçois avec un cul comme une jument de labour, un mulet et une ânesse. Ce sont les figurants animaliers de la pièce d’O’Neil : « Désir sous les ormes », qui se rejoue au Théâtre des Amandiers.

 

Eric, un copain d’Arthur mon ami, en est l’impresario paternaliste. D’où l’invitation à la promenade, pour sortir les bêtes et les aérer. Nous étions quatre. Je suis la plus petite, et de loin. Et même de près. Ou bien je prenais l’ânesse, ou quelqu’un restait sur le carreau. Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi j’emploie cette expression qui était rétrospectivement prophétique.

 

Bonne bête, je prend l’ânesse Iris. Mais la bonne bête, c’était moi et moi seulement. Alors que naïvement, je croyais que nous en étions deux. Pas du tout. Vous allez voir pourquoi. D’abord l’animal n’avait pas de selle. Surprise ! Trop tard ! Eric crie : « Tout le monde sont là ? On est partis ». Et ils détalent.

 

Enfin les autres partent. Pas moi. Parce qu’Iris veut rester à l’écurie. Nous cherchons un compromis. Elle accepte de sortir du box en se frottant contre le chambranle, m’arrachant à moitié la jambe droite, celle que j’avais réussi à passer par dessus son dos, dans un équilibre précaire.

 

Je mets cet incident sur le compte de l’émotion d’Iris, et de ma maladresse à lui faire comprendre mon intention. Je prends fermement le mords d’Iris en main. Nous déboulons sur le trottoir de la route principale, celle qui rejoint le Parc.

 

Un autobus passe. Horreur ! Malheur ! Iris se jette sur le grillage, écrasant sur le coup, un enfant terrorisé, en l’épinglant, comme un insecte de collection, les bras écartés en croix.

 

J’explique au crucifié que l’ânesse a les nerfs fragiles. Que c’est une pauvre petite chose poilue, que deux pattes énormes et une croupe monstrueuse pourraient faire  passer pour féroce. Mais que nenni.

 

Quand Iris a fini de malaxer le garçonnet, nous repartons jusqu’à la grille d’écoulement des eaux, celle qui sert de seuil à l’entrée du Parc. Là, elle bloque irrévocablement son trottinement saccadé et sans selle. J’arrive à serrer mes cuisses autour de  son cou, pour faire corps avec elle, juste avant de passer en vol plané par dessus sa tête. La pauvre semble tétanisée.

                                                                                                                                                         Il y a comme ça, chez les animaux, fussent-ils domestiques, des coinçages forcenés, venus de l’inconscient. J’avais bien connu une jument pur sang, effrayée par tout papier volant, ressemblant de près ou de loin, à une feuille blanche. Elle pouvait, sans crier gare prendre ses jambes à son cou et même à son licou. Je refusais obstinément de la monter.

 

Un jour de grand vent, ma sœur fit quatre fois de suite, le tour du champ de courses de Lagoubran, pendant que le groupe d’équitation prenait un apéro sur la terrasse du Club. Je m’inquiétais sur le sort de ma frangine, mais j’étais la seule. UN : Tout le monde s’en foutait. DEUX : Le couple de Directeurs allemands de l’écurie de course, approuvait même fortement :

 

--  Arrhe Zo. Cela fait du pien à Douce. Le fauve s’appelait Douce… Elle est presque pas sortie cette sebaine et en plus on la bourre d’afoine. C’est ça qui l’excite. Alors, avec le fent et les papires qui lui font fraiement peur…

 

En français : « Le vent et papiers qui volent donnent des angoisses métaphysiques à sa robuste constitution ». Naturellement, ils parlaient de l’alezane, pas de ma sœur qui s’appelle Nounoune et pas Douce.

 

A l’entrée du Parc, et forte de ce souvenir douloureux, je décrète que l’ânesse a probablement, elle aussi, ses propres phobies : en l’occurrence les grilles d’évacuation. Je lutte fortement contre son trac.

 

La phobie nerveuse redouble. Nous choisissons un modus vivendi. Elle accepte de rentrer dans le Parc, mais à travers le buisson épineux qui se dresse à côté de la maudite grille de sol qu’elle ne peut PAS franchir, on le voit bien. C’est nerveux.

 

Enfin la traversé s’est réalisée au milieu des piquants. Les jambes de mon jean sont déchiquetées. Au loin, les autres ondulent nonchalamment, sans un regard en arrière. Je pousse Iris au trot. Elle saute comme une folle, de droite et de gauche, en se secouant avec de grandes détentes hystériques.

 

Je cherche quels peuvent bien être ses nombreux phantasmes… Serait-ce l’oiseau qui, à cent mètres « piapiate » ? Ou une feuille de platane malencontreusement jaune ? Un enfant qui court dans le lointain, avec une stupide casquette rouge ?

 

Pauvre bête. Ses angoisses la taraudent. Je fonds de pitié. Je lui parle, la caresse entre deux soubresauts frénétiques, la serre, la pousse, la talonne, lui maîtrise la bouche avec une fermeté doucereuse, en me cramponnant inconsidérément à sa crinière et en m’excusant pour ces attouchements un peu brutaux. La promenade est un martyr pour mon cœur qui saigne devant toutes les craintes que la malheureuse exprime dans sa terreur.

 

Les autres me distancent. J’ai beau crier des « houhous » étouffés, que je camoufle pour ne pas irriter davantage les nerfs délicats d’Iris. Ils ne m’entendent pas. J’essaye de les rattraper. En vain. Les peurs de  la bête fragile m’imposent des raccourcis inopinés.

 

Tantôt nous grimpons un escalier au triple galop, au milieu d’un groupe de « papy-mamy », en visite organisée… Tantôt nous gâloutons dans la boue d’un marécage tendance sables mouvants. Les mamans garent les poussettes. Les adolescents hurlent de joie et d’encouragements. Les fillettes demandent aux pères, la nature et l’origine de ma monture.

                                                                                                                                            

Je brave tous les avatars. Je finis le circuit, toujours loin derrière les « vrais » cavaliers, mais presque dans les temps. Arrivée au terme, je descends habilement devant la fameuse grille d’évacuation des eaux usées. Je tire ma compagne par la bride pour rentrer à l’écurie, sans orgueil excessif.

 

Et là… miracle ! Tout devient cool. Elle passe sans coup férir par dessus la grille maudite, regarde circuler les autobus bovinement, ne lamine personne, ne bondit, ne secoue, ni même ne frissonne un brin. Un ANGE de décontraction !

 

L’accueil de la foule massée devant l’écurie me surprend par sa chaleur.

 

--  Alors là ! Chapeau ! Tu es la première à avoir pu monter Iris. C’est la pire ânesse têtue qui existe. Elle a déjà envoyé deux fanfarons et ma sœur à l’hôpital. Eric insiste : Oui, chapeau pour la monte. J’avais bien deviné que tu étais une bonne cavalière.

 

Le sang me monte aux joues. Je leur avais bien dit que je détestais monter à cheval. Je réponds sans bien savoir où donner de la tête :

 

--  Iris dangereuse ? Je croyais au contraire qu’elle était émotive. Je la chouchoutais par pitié. La pauvre bête !!

 

Non, je n’arrive pas à  le croire ! Plus je gueule, plus cela les fait rire. Verte de rage j’ai envie de les mordre, de les frapper, les écraser, les émasculer, les calotter, les fouetter à mort… et le reste !

 

Mais je sais bien que je suis trop lâche. Je ne serais même pas capable de mettre ma colère à profit, pour rentrer dans le « Bingo Club ». C’est le Cercle le plus chic de Paris, celui qui accueille les pires galopins, comme Eric et Arthur et se fait une gloire de faire des paris stupides pour désigner le monstre de l’année en matière de plaisanterie douteuse.

 

Finalement, j’aime trop la douceur, et puis rire, surtout rire de tout. Même de moi. C’est comme ça que s’est terminée la soirée, dans une franche rigolade. Mais quels salauds, tout de même ! 

 

Puisqu’ils croyaient qu’iris était dangereuse, ils auraient du me prévenir, dès le départ, n’est-ce pas ?

 

Mais ce que je ne leur ai pas dit, c’est qu’ils se trompent. C’est moi qui ai raison. Je le sais. La pauvre bête est bien fragile. Ils mettent ses ruades sue le compte de la méchanceté. Mais ce n’est pas vrai du tout. Je dis le contraire. Qui peut dire que c’est moi qui ai tort ?

 

Iris est une pauvre petite merveille. Et pourquoi pas ? Deux ans après j’en suis encore sûre.


17/06/2011
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