L\\\'Enfant qui venait du futur

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Lisbeth. Lundi 03/10/2011. La valeur.

 

 

 

 

 

 

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            A cette époque là, je m’étais rendue compte que la notion de « qui est fou » et « qui ne l’est pas », est assez floue. D’abord que connaît-on de la folie ? Connaît-on la sienne ? La connaît-on avec précision, vis à vis de l’autre, de soi-même ? Si mon voisin dit que je suis fou et qu’il se trompe aux yeux de ma voisine, suis-je fou quand même ? Qui dit qu’il se trompe ? Elle, moi ?

 

            Cette notion rejoint l’idée de la « VALEUR » et du texte que j’avais écrit à ce sujet le jour de mes seize ans, en pleine écriture automatique. On y retrouve mon interrogation palpable à ces sujets. Voilà la page :

 

            La Valeur ? Déjà poser son nom lui donne son ampleur et il est bien évident que sa  dimension est beaucoup plus grande que sa représentation. Il n’est pas facile de séparer l’idée d’une valeur de celle de la valeur. Elle-même va se départager entre la valeur de quelqu’un et celle de quelque chose. Pour une seule entité, il y a plusieurs sortes de valeur. On trouve celle que l’individu lui attribue par rapport aux autres, celle qu’il lui donne par rapport à l’argent et celle qui est réelle, par rapport à la situation du moment. Il n’est jamais possible de faire une estimation moyenne de « tous » les potentiels d’une chose ou de quelqu’un.

                                                                                                                                  

            Jamais l’individu ne passera en revue tous les « plus et moins » des valeurs d’un objet ou d’un être, non seulement parce qu’ils sont trop nombreux, ou trop complexes, ou trop longs à énumérer, ou trop obscurs à mettre à jour, mais parce que ses motivations sont autres que l’objet, qui n’est là que pour cristalliser le moment présent.

 

            La chose ou l’être, faisant partie intégrante de l’individu devenant lui, comme le temps et l’espace, a la valeur fluctuante du temps et de l’espace. La valeur de l’individu est du même ressort  que celle de l’objet, car il n’y a plus ni individu ni objet face à l’idée absolue de la valeur. L’individu est l’objet qu’il considère… plus « lui – objet ».

 

            L’objet devient alors l’individu qui le considère. Ils ne font plus qu’un, en tant que partie intrinsèque de « l’individu – objet », au moment de la question à ce sujet. La valeur de l’individu par rapport aux autres, ne se pose pas en tant que valeur, mais en tant que question.

                                                                                                                                            

            Il n’y a pas de réponse à la question de la valeur d’un individu. Péché est vouloir donner une valeur figée, car la valeur est une graine contenant déjà ses feuilles et ses racines, la chute de ses branches, sa vie et sa mort pourrissante. La valeur est un vent doux et violent, auquel il faut s’abandonner, sous peine de poursuites pour résistance inutile.

 

            Et celui qui s’accroche à la valeur, même théorique d’une chose ou d’un être, sans vouloir voir ses mouvements, devrait finir en prison pour dette, et même pour vol et viol aggravé. Ainsi,  lorsque la valeur n’a que la valeur que l’individu lui attribue au moment de l’ici précis, elle peut bien garder ses multiples valeurs, guenilles fictives, elle n’en sera que plus forte.

 

            Quelle sorte de valeur l’individu donne-t-il à un autre individu différent de lui ? Les hommes blancs actuels sont-ils les représentants des anciens négriers ? La souffrance d’un débris, d’un rejet, d’un S.D.F., handicapé ou homme de couleur, est-elle comparable au mépris reçu par une femme, un enfant, c’est à dire moi ? Il est dans l’œil de celui qui se croit supérieur en culture, en éducation, en virilité, en monnaie sonnante et trébuchante, en pouvoir politique, intellectuel.

 

            La valeur de l’argent est non seulement fonction de décisions planétaires, nationales ou encore départementales, communales, vicinales, familiales, individuelles, elle est fonction de combinaisons cybernétiques si incalculables, qu’elle échappe elle-même à sa propre valeur devenue simple marchandise.

 

            Ainsi, d’après la loi du seuil d’acquisition, dès que 14% des gens nantis perdront la notion de l’argent et ne garderont plus que celle des objets et services, le chaos monétaire renversera l’équilibre fictif. En effet, la valeur d’un être et la valeur de l’argent sont une seule et même chose, puisque l’argent, les choses, les êtres n’existent, que si l’individu les intègre, et les ingère, pour les   faire « LUI ».

                                                                                                                                  

            Plus un individu prend de valeur à ses propres yeux, plus son environnement se conditionne  à cette valeur. Si la valeur que l’individu se donne est fonction de la valeur que les autres vont lui donner, la  valeur qu’il s’attribue est inversement proportionnelle à celle qu’il attribue aux autres. Voulez-vous faire une bonne affaire dit le belge ? Achetez un français à la valeur qu’il a….  et revendez le à la valeur qu’il se donne.

   

            Si la valeur de l’individu repose sur le respect de cette valeur, la valeur qu’il attribuera à son  environnement sera de même taille et de même valeur.

 

            La valeur s’acquiert, mais certains ne l’ont pas en naissant. Pour acquérir une valeur que l’on ne possède pas, il suffit de la rencontrer une fois. Par contre, donner un jugement de valeur apporte la mort de la rencontre.

 

            Voilà pourquoi une œuvre n’est une œuvre d’art, que si quelqu’un…au moins une personne  au monde, la considère comme telle. Une œuvre d’art n’est jamais une œuvre d’art dans l’absolu, car elle peut vivre dans sa qualité d’œuvre d’art ignorée de tous.

 

            A l’époque de la création de ce texte, j’étais toujours d’une bêtise immense, en croyant encore que cette nouvelle façon d’envisager le fonctionnement du cerveau dans « l’Instantiel », pouvait résoudre tous les problèmes personnels, sociaux, familiaux par l’actualité de leur valeur.

Je m’en étais bien rendue compte lors de ma première grande exposition de peinture à Paris, quand j’avais dix huit ans. J’en ai déjà parlé, mais je ne peux pas m’empêcher d’en reparler !

                                                                                                                                            

            Mon arrière grand-tante Nathalie m’avait reçue pendant huit jours, pour présenter mes tableaux, dans la grande galerie que ses amis avaient Boulevard Saint Germain.  J’avais déjà participé, au cours de mes années de Beaux Arts, à des expos collectives avec mes collègues, toujours sans grand résultat. Cette fois là, je m’y voyais. Je m’y croyais ! Car ma grand-tante connaissait le tout Paris   de la culture, du cinéma, de la politique…. Ouaou ! 

                                                                                                                                              

            J’envoyais huit cents invitations portant une gouache originale personnalisée,  collée sur chaque carton. Je téléphonais à tous les critiques de peinture, aux galeries, aux mécènes.

A l’arrivée, pour le grand jour fatidique, ils étaient tous là… présents de 17h à 21h, du lundi au samedi sans « décrocher », se gobergeant de caviar et de  whisky. 

 

            Mon Livre d’Or regorgeait de signatures célèbres, de félicitations, de poésies fines : « Bravo ! Une petite Cigale, chantant dans les étoiles de l’Art éternel, nous arrive toutes les chaudes couleurs du midi de Mistral ». Pon, pon, et pompon et pompon.

 

            J’eus des articles élogieux dans « toutes » les rubriques artistiques de la presse écrite, parlée, télévisée, Paris/province. Je savais que ces fameuses invitations qui comportaient chacune une  œuvre « personnelle », y étaient pour quelque chose. Je n’y étais pas présentée comme un génie, mais comme un espoir. Je n’avais plus qu’à tracer ma voie.

                                                                                                                                  

          Mais, en attendant, je n’avais vendu à la fin de cet événement, qu’une toile à 9.000 francs et une gouache à 3.000. Tout le reste me restait sur les bras. Même les deux cents petites aquarelles affichées à 10 francs, faible somme pour que mes copains fauchés des Beaux Arts et des Cours du   Conservatoire d’Art Dramatique puissent se manifester, demeurèrent ignorées. Je les avais pourtant disposées dans un classeur, pour que mes amis les moins fortunés, qui auraient voulu marquer le coup et me remercier pour le copieux buffet, puissent emporter un souvenir à prix modique.

 

            Mais pas une d’entre elles ne trouva preneur. Il faut dire que le carton ne fut même pas regardé. Comme le reste de mes « œuvres », d’ailleurs. Je fis mes comptes. C’était tragique !

Je rentrais à peine dans les frais d’imprimerie, de voyage, d’achat d’huile de lin, de peinture, de cadres, de timbres… Les boissons et le traiteur me furent heureusement offerts par la Galerie.  Je remerciais tante Nathalie et ses amis en leur offrant un tableau.

 

            Je rentrais à Toulon, la tête basse. Ma carrière de peintre était terminée. Désormais, je ne m’adonnerais à ma passion seulement pour me faire plaisir en tant qu’amateur. J’avais réalisé que, pour réussir en tant que « plasticienne », pratiquant n’importe quel art simple ou compliqué, sculpture, architecture, dessin, peinture, œuvre en 3D, sonore, tactile, mobile, sensorielle, olfactive ou même gustative, il me faudrait créer un style, ou suivre une tête d’affiche. Puis je devrais courir la jet - set la nuit, lécher les bottes des propriétaires de galeries le jour, me vendre de force aux amateurs entre temps, faire les boites de nuits branchées le soir, l’attachée de presse le matin, et tous ces efforts pour créer des œuvres qui ne me plairait peut être pas ! Avec en plus et surtout, le devoir de faire la promotion de quelqu’un qui n’avait pas les moyens de me payer : Moi.

 

            Ma décision fut vite prise. Plutôt que de travailler dans des relations publiques pour lesquelles je semblais douée, et le faire uniquement pour ma petite personne fauchée, autant me faire engager dans une grande boite qui elle, me payerait à ma valeur, si tant est que valeur il y ait. C’est ce que j’ai fait.

 

              Mais surtout, je compris et d’une façon lumineuse, que ma vocation de peintre, éclairée   par la lucidité ne me mènerait à rien. On aimait mes toiles, mes dessins. Ils montraient de la joie, de la sensibilité, du dynamisme, des couleurs fortes et positives… D’accord. Mais puisque hélas,   je n’étais pas un génie, pas encore, peut-être jamais, il fallait que je que fasse, pour gagner ma vie, autre chose que ce que j’aime faire, c’est à dire vivre au gré de ma fantaisie. 

                                                                                                                                            

            Je devais chercher au delà de l’air du temps, ce qui peut surprendre, choquer, et surtout m’amuser. Je renonçais à faire de  l’art rentable. Il aurait été nécessaire de transformer la gentille artiste débutante, avec son peu de talent peut-être) en monstre sacré, chef de file ascendante, surveillant la montée des taux, soutenue par les tractations boursières suscitées par mes acheteurs, impresarios proxénètes américains, les seuls capables d’acheter dans les salles des ventes pour faire grimper la côte.

                                                                                                                                  

            Il aurait fallu vendre mon art, comme une prostituée monnaye son corps, mais seulement  après avoir trouvé le « Truc » de génie qui, me sortant  du cercle des seuls initiés, pourrait me faire connaître du grand public. De plus, qui dit que j’aimerais cet Art conçu par mon seul orgueil? Egoïstement, je n’ai pas hésité une seule seconde. Tout de suite, j’ai renoncé au succès, à la gloire et à faire plaisir à mes parents. Encore eux les pauvres.

 

             Une chose ne prend de la valeur que parce que quelqu’un lui en donne une. Si personne ne  donne de valeur à une œuvre, un individu, un produit, ils n’en auront pas. Ils ne seront jamais une chose ou œuvre de valeur pour personne.

                                                                                                                                   

            Si quelque chose existe dans l’infini, sans que nous sachions qu’elle existe, elle n’existe  pas pour nous. Elle ne commencera à exister que parce que quelqu’un, quelque part, saura qu’elle existe, croira qu’elle existe. Elle existera en lui par cette reconnaissance.

 

           Dans l’infini des mondes considérés comme inaccessibles, penser dans l’infini à des  choses qui existent et que nous ne soupçonnons même pas, leur donne l’existence de toute notre  interrogation illimitée sur leur existence sans couleur. Leur potentialité n’est peut-être qu’aléatoire, rien de plus. Elle ne sera, ou ne sera rien, que pour ceux qui y pensent.

                                                                                                                                  

            Bref, l’art n’existe pas intrinsèquement. Une œuvre d’art non plus. Il faut le savoir. Dans l’absolu, l’expression « œuvre d’art », n’existe pas. Cela ne veut rien dire, sauf dans l’idée de celui qui le dit parce qu’il le croit. La preuve en est qu’une chose peut être une œuvre d’art pour quelqu’un et pas pour un autre.

                                                                                                                                  

            C’est une notion que l’individu, se limitant à une alternative simple, ne peut pas saisir. Car lorsqu’il sort d’une pièce, un trou noir s’installe à la place. Et ça, il faudrait qu’il le sache. Mais c’est très, très dur. Car il croit que les choses et les gens, existent en dehors de lui !

 

            J’étais découragée, mais pas désespérée. Je ne pouvais pas être plus désespérée que lors de mes quatorze ans, lorsque je vis que personne ne comprendrait jamais mon message d’amusement et de rigolade. Alors maintenant, je vais relater, pour me consoler, ce récit parfait d’un Monsieur Rose à la fois si faible et si courageux, qu’on peut lui donner vraiment le nom de héros.

 

             Je n’avais qu’à imiter son courage.

 

 


03/10/2011
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