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Lisbeth. Dimanche 18/09/2011. Le dépaysement.
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En sortant la tête du ventre de ma mère, j’ai vu un œil froid qui me considérait sans amour, comme un objet, d’une façon clinique. Cela ne m’a pas plu. C’était le regard glacial de la sage-femme. Elle faisait pourtant son travail très proprement, professionnellement, sans plus. Elle ne pensait pas me devoir davantage. Je l’ai donc tout de suite détestée, elle, les siens et tous ceux qui allaient par la suite me traiter de chose pétrissable. Elle n’avait pas le droit de me faire ça.
Immédiatement, je me suis mise en position de combat. Il fallait surtout que je tienne la situation bien en main. Dès la première seconde j’ai fait en sorte que la contrôle ne puisse plus m’échapper. Et heureusement, le contrôle m’échappa aussitôt.
Je dis « heureusement », car cette perpétuelle lutte engagée à la poursuite de mon autonomie me força, seconde après seconde, à gérer ma situation dans mon propre environnement. Et c’est comme ça que je découvris ma puissance vitale en même temps que cette faiblesse immense, inhérente à mon statut d’être humain, déficience développée et entretenue sans cesse par l’ignorance de mes éducateurs.
J’ai parlé et marché très tôt. J’étais une jolie petite fille. Mes parents auraient dû être fiers de moi. Mais je voulais toujours savoir le pourquoi des ordres que l’on me donnait. Je devins vite odieuse pour tout le monde car je refusais d’obéir, tant que je n’avais pas compris la raison de le faire. Rien n’aurait pu me faire céder. Leurs raisonnements me semblaient illogiques, ridicules, flous. Et les autres ne comprenaient pas non plus ce que je disais.
L’humanité a formidablement progressé, depuis le début des temps, et ce, dans tous les domaines, technologie, médecine, communication... De la pierre taillée aux fusées interplanétaires, en passant par la hache, le feu, l’écriture, la machine à vapeur, les vaccins, etc… notre intelligence s’est ouverte, multipliée, perfectionnée. Et pourtant notre cerveau présente toujours cette sorte de vide, de flou, d’hésitation, de laxisme, de manque de précision. En cherchant bien dans notre boite crânienne, on n’y trouve qu’un petit pois.
On peut dire que l’individu pris en particulier ou en groupe (dont je fais partie) n’a rien dans le crâne. Il est paresseux, sauf pour ses envies, lubies ou caprices. Il est laxiste, indifférent à tout ce qui ne le concerne pas directement. Il ne veut pas se casser la tête. Il fait semblant d’être génial. Il va presque jusqu’à le croire. Je le sais. Je suis comme les autres. Pas pire, mais surtout pas mieux. Je suis un être humain avec toutes ces caractéristiques du « je m’en foutisme ».
Sauf que moi, « je le sais ». Oh combien ! Plus que tous je sais que je suis une larve, un mollusque parce que je ne peux pas faire l’impasse sur ces faiblesses. Je me vois avec ce petit pois dans la tête, si minuscule, fort cependant d’une potentialité que sa paresse ne veut pas explorer. Personne, pas une âme au monde ne se doute, ne VEUT se douter, refuse de reconnaître la paresse qui le mène. Et moi, je regarde lucidement, cruellement le drame.
J’essaye de toutes mes forces de réagir, mais je ne peux pas faire passer le message.
Ce savoir, considéré comme lamentable, n’est écouté de personne. Le seul fait pourtant, de vouloir chercher à comprendre ce que nous sommes réellement, nous permettrait d’éradiquer guerres, et conflits de toutes sortes, d’une façon simple, rapide et pour toujours. Hélas ! Il suffirait juste de faire un effort de réflexion sur la gestion de notre cerveau. Ce travail gérerait alors, de façon obligatoirement logique, la planète entière. La mission est impossible.
Car avant, il est nécessaire de connaître la nature véritable de l’être pensant. Nous n’en sommes pas là. Moi-même, qui péniblement, maladroitement, essaye depuis ma naissance de relever tout ce qui, dans les enseignements officiels, me semble être illogique et absurde, je piétine indéfiniment. Au départ, ce fut pour une petite fille comme moi, un terrible effort.
En tant qu’individu normal, la réflexion m’était douloureuse. Mais pour mon cas personnel, c’était une question de survie. Etant de par nature, un être social, l’acceptation des autres, mon intégration dans leur système, me devenait indispensable et plus nécessaire de jour en jour.
Or, du plus loin que je me souvienne, je ne comprenais pas la légitimité de leurs consignes. J’étais pourtant une enfant aimable, docile, ne me transformant en brûlante étincelle, que lorsque les ordres demeuraient obscurs. Mais on avait beau m’expliquer les choses par le menu, je ne comprenais rien. Ma bêtise restait immense.
Je n’arrivais pas non plus à me faire comprendre. J’essayais de toutes mes forces dans un désespoir déchirant. Rien n’y faisait. Quant aux coups, punitions de toutes sortes pour me faire céder, mes parents déjà non partisans de la violence, y avaient renoncé. On aurait pu me tuer sur place, je n’aurais pas fléchi. Ils le savaient. J’était trop sotte.
J’étais même stupide ! J’étais têtue et de plus j’étais intransigeante. Finalement, c’est cet entêtement imbécile, l’accumulation de ces deux défauts : « l’obstination et la bêtise », qui me sauva, avec cette impossibilité d’admettre ce qui n’était pas logiquement compréhensible dans l’univers. En superficie, j’étais une petite fille vive, rapide, intelligente, brillante. En profondeur, au contraire, j’étais terriblement lente. On me répétait régulièrement, avec moquerie la fameuse phrase :
-- Elle comprend vite, mais il faut lui expliquer longtemps.
Par contre, une fois le message saisi, ma compréhension était profonde, étendue, totale. Malheureusement, la plupart des réponses à mes pourquoi, à mes demandes de précision, restaient insuffisantes et ne me satisfaisaient pas. Un exemple. Le jour de mes trois ans, ma mère m’a amenée dans le jardin, pour me dire d’un air grave :
-- Tu as trois ans aujourd’hui. Tu es une grande fille. Tu ne dois plus faire ces horribles colères.
-- Pourquoi à trois ans, ai-je demandé ? Et pas à deux et demi ou à quatre ? Ma mère a levé les yeux au ciel. Je n’ai pas reçu d’autre réponse. J’ai bien peur que votre jugement à mon égard soit proche du sien. Cette question enfantine montre qu’enfant, j’étais incapable de saisir les généralités. Je raisonnais au premier degré. Je prenais tout au pied de la lettre. Je continue. On m’appelait Saint Jean Bouche d’Or, car comme tous les petits, je disais ce que je pensais.
-- Pourquoi elle est grosse la dame ?
Pourtant, le fait que cette personne soit grosse ou non, ne me gênait pas. Je n’avais pas fixé dans ma tête le concept de la beauté en cours. Ni aucun autre concept d’ailleurs. Pour le bébé, une pomme est une pomme, bonne s’il a faim, mauvaise si trop verte. Elle est seule, unique comme la rose du Petit Prince de Saint Exupéry. Le concept de pomme n’existe pas encore. Il viendra en grandissant, en acceptant d’être un numéro dans une statistique.
Je n’ai pas grandi. J’ai appris, bien sûr, à ne plus demander pourquoi la dame était grosse, parce que j’avais vu que les diktats de toutes sortes imposés par la société, conditionnent les personnes à « différences ». Les anomalies ne me gênaient et ne me gênent toujours pas. Elles mettent les « normaux » mal à l’aise et les « anormaux » mal à l’aise du « mal – aise » des autres. Alors, j’appris à mesurer mes paroles en fonction du lieu, du moment, de la personne.
Je voyais bien qu’il me manquait quelque chose. Les autres enfants, frères, sœurs, cousins, assimilaient les consignes floues. Ils acceptaient d’obéir sans comprendre, après des luttes plus ou moins violentes. Mais toujours ils s’accommodaient, à peu près, de la ligne de conduite établie. Pas moi. Il paraît que nous avons pourtant, nous, les êtres dits « supérieurs », la chance unique de posséder un fantastique cerveau qui enregistre toutes les informations au fur et à mesure de leur arrivée Mais personne ne nous enseigne comment les retrouver dans l’immensité de la bibliothèque.
Nous avons la machine, mais nous ne connaissons pas la manière de nous en servir. Nous ne gardons sous la main, en « mémoire », qu’un noyau de la taille d’un petit pois, qui, plus ou moins bien entretenu selon les personnes, flotte sur le magma glaude et obscur des milliers de milliers de données arrivant à tout moment. Je me suis très vite rendue compte de la gravité du problème. Une fois de plus, je ne réussissais pas à replacer les affirmations dans leurs contexte cartésien. ( Pardon Descartes de te traiter si bas en restreignant ta véritable pensée, trop vite occultée par tes admirateurs ).
Finalement, lorsqu’on emploie la morale, on ne peut pas raisonner « Logiquement ». Il faut se faire à l’idée de ce forcing « DUAL ». Les deux genres sont antinomiques parce que placés dans deux mondes différents qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Depuis le début des temps, l’homme a obligé sa pensée à adapter sur un même système, les deux formes contraires sans en avoir les hiatus.
Je n’avais pas cette faculté d’adaptation.
Il me fallut donc dans les années suivantes, comprendre d’une part le fonctionnement d’un cerveau basé sur « la dualité et le principe d’unité », apanage acquis par toutes nos générations précédentes. D’autre part, je dus visualiser à tout moment le mélange explosif et incompatible de cette Logique/Morale, que mes compatriotes planétaires chevauchaient joyeusement en aveugle.
Et par-dessus le marché, je fus obligée en même temps, de décrire en trois « D », ma propre réflexion non-dualiste et logique, face à la morale arbitraire et fluctuante générale. Le bilan fut drastique. Au départ et dans l’ordre chronologique, je me trouvais vite devant les
propositions suivantes :
-- Premièrement, l’individu en débarquant sur terre, ne sait pas sortir une qualité de son contexte. Il ne connaît pas l’abstraction. Il ne voit que le concret de l’instant présent. Pour lui, une pomme est une pomme. Bonne s’il a faim, mauvaise si trop verte.
Son cerveau se sert donc, au départ, d’un processus unidimensionnel reposant sur une
seule notion : « A = A ». Tout le reste, (le bien, le mal, le beau, le laid, le vrai, le faux, le juste et l’injuste) se mélangeant au gré de la situation en activité, n’existe pas vraiment. Ce ne sont, pour lui, que des « idées » traduites en sentiments et en sensations. Celles-ci sont traitées en « Informations » crées pour et par l’instant.
L’homme au début des temps, en raisonnant, agissait aussi de cette façon, pensée etaction confondues. Les primitifs, les enfants ainsi que les personnes non ou peu socialisées, ne connaissent pas le dualisme. De plus, ils ne font pas la différence entre concret et abstrait.
Moi-même, encore à l’heure actuelle, je suis souvent obligée de réfléchir pour départager une pensée générale éloignée de la réalité vécue. J’ai du mal à découvrir dans quels domaines les choses se placent. La décision, j’en suis consciente, est toujours arbitraire, voulue, créée par moi en information aléatoire.
Dans cet univers de l’instant je ne saisis encore PAS même actuellement la différence entre l’imagination et la réalité. Je ne fais souvent le tri, que contrainte et forcée. Les deux ne sont pour moi que des informations que je classe dans l’une ou l’autre catégorie, pour les besoins de la cause en action.
C’est de plus une question de survie vis-à-vis de mon environnement. Je suis bien obligée de comprendre de quoi parlent toutes ces personnes qui se considèrent dans un monde
linéaire, continu et dual. Chacune ignore la logique du moment, qui ne sera pas la même à la seconde suivante, pour privilégier une morale inadaptée à la situation en cours. C’est évident puisqu’elle ne tient compte alors, que d’une généralité hors individu.
Or, ces mêmes personnes, enfermées dans cette vision ancestrale, sont vis-à-vis de moi dans le même dilemme. Car, il est tout aussi difficile, pour l’adulte habitué à abstraire, de se mettre tout à coup à raisonner dans un domaine qui ne connaîtrait pas cette faculté, que pour un enfant de
comprendre un adulte évoluant dans ces sphères imaginaires.
Pourtant, les petits de l’homme y arrivent pour la bonne raison qu’on ne leur laisse vraiment pas le choix. Les éducateurs les forment jour après jour. Ils leur apprennent de force l’abstraction du dualisme et de ses applications morales, au moment même où les neurones vierges sont encore utilisables. Pourquoi moi n’ai-je pas ou peu, subi cette terrible influence ? Pourquoi suis-je partie des abstractions imposées vers des abstractions illimitées ? Tout simplement, grâce à une obstination doublée de bêtise. Je m’étais bloquée, dès la naissance, sur ma propre existence vitale, réflexive et sensitive. Rien d’autre. Tout le reste n’existait pas pour moi de façon viscérale. Il n’existait donc pas du tout.
Je créais mon information de l’instant, au coup par coup. Alors, ma cervelle de bébé têtu, faillit sombrer et disparaître à jamais dans le no man’s land d’une errance perdue. Car mon univers « INSTANTIEL », géré par une LOGIQUE totale englobant toutes les petites logiques successives, échappait au monde terriblement manichéen d’une doctrine continue qui ne se remettra jamais en question.
Les deux planètes n’ont rien de commun. Elles n’envisagent même pas la moindre petite opposition qui puisse proposer un point de départ contraire capable, par exemple, de créer miraculeusement, une discussion constructive.
Il n’est pas possible d’analyser l’un de ces univers avec le langage de l’autre. Il faut faire le saut, oublier alors le premier lorsque l’on entre dans le deuxième. Leurs systèmes de raisonnement ne sont pas contraires mais différents. Le « Monde Manichéen des Dualités Infinies », que j’avais appelé « MID », ne peut pas faire thèse, antithèse, synthèse de cet Univers de Logique Rigoureuse, surnommé « LURES ». Car la Logique Universelle regroupant toutes les petites logiques fluctuantes de ce dernier, crée avec une Rigueur absolue un présent dans lequel la notion même d’ « ANTI » n’est pas représentée.
Dans mon Cosmos, je me parle toute seule, face à moi-même. Je n’ai pas de problème dans ce cas. Les routes s’entrecroisent dans l’espace. Je vois la dichotomie des deux grands « Systèmes ». Je sais qu’ils ne peuvent pas se rencontrer. Même un génie de la réflexion n’y arriverait pas. Il dirait que je me refuse à accepter une autre idée que la mienne.
Voilà le nœud du problème. J’ai beau essayer d’expliquer que lorsque deux ensembles A et B sont incompatibles, on ne peut pénétrer dans l’un, qu’en abandonnant toute notion de l’autre et vice-versa. On me répond que c’est parce que je ferme la porte de mon cerveau, en empêchant les gens d’entrer chez moi. Après, on survole les deux et on en crée un troisième C qui peut être A et B, ou ni A ni B .
Pour mes copains et mes parents, même combat. Ils m’aimaient pourtant. Mais cela n’a rien à voir. Lorsque je sus écrire, je me mis à griffonner des mots de désespoir dans les marges de mes cahiers. Je fixais les situations inconfortables, ces petits riens qui vous agacent et vous entraînent plus loin dans l’horreur du bien. Non, non, non. C’est à partir de détails que l’on voit mieux le monde incontrôlable. J’avais envie de crier. J’écrivais des bouts de phrases incohérentes.
Non, pas ça. Pas de dessin ocré sur des papiers graisseux, pas de couleuvre chauve, pas d’épingle, pas de pop-corn sec dans les soutiens gorge, pas de cadre verdi…. Pas de lèvre sèche sur les fronts moites que l’on tend, lassé, au baiser vespéral, pas de sieste appliquée de soleils en gerbe, pas de fleur ni de couronne, pas de crèche sur les murs pour enfants attardés, plus de chant de sirènes mortes. Plus de pop-corn grillé dans ces soutiens gorge que les femmes tendent de noir lustré, lourds du poids des péchés inventés aux formes torturées de maïs éclaté.
La femme de mon banquier est morte. Elle a vécu encore dix ans dans d’horribles souffrances et puis elle est morte en silence sous l’auréole d’argent de ses cheveux collés. Non, pas ça ! Pas de femmes inconnues et laides qui portent en cadence les corbeilles tressées que les vanniers fabriquent lentement en silence sous les arches des ponts fêlés.
Pas de souliers dépareillés dont on ne sait plus qui des deux fait la paire, et que l’on imagine sans fin, errant dans des dessous de lit, frères jumeaux de poubelles en fonte. Pas de crêpe dans les beignets. Plus de sanglots profonds de violons et de tziganes à la Paupière lourde qui vous disent dans le creux de la main, les mots d’amour interposés, que le fil de la lampe huilée n’a pas pu recréer.
Les fleurs se sont écloses dans les coquilles d’œuf au duvet de poussin et elles se sont
fanées lentement en silence dans le reflet du soleil séché. Pas de bruit. Pas de lueur d’étoiles, pas de nuit, pas de pierre découpée en forme de cascades…. Mais des heures perdues sur des chevaux sauvages, des arches, des lyres dans le reculdu temps, des épingles dorées qu’on jette dans le soleil par-dessus le faîte du toit vers les nuages, mais les bleus et les verts des étés en herbe, la course sous l’orage contre le mur droit du ciel qui se déchire en deux gris sur le bord de l’éclair…
Et enfin les maisons qui s’ouvrent vers la mer, laissant tomber les murs pour marcher sur le sable, vers l’eau, vers les vagues, vers le bleu du lointain, immigrantes et sûres, comme le troupeau, fatigué, noir et sale qui se jette dans le torrent….
Je croyais en la vie, en l’avenir. Mais après tout, je n’avais toujours que trois ans, comme maintenant, en ce temps-là. Ces réflexions étaient encore bien loin de ma pensée. Je voyais, confusément le vide immense qui m’entourait. Je faisais des signes désespérés à ces autres étoiles qui s’agitaient dans l’espace. Et j’avais beau hurler, elles ne me voyaient pas.
Je me souviens de mes premières constatations. Cherchant à comprendre le fiasco de mes approches, je me mis à analyser les comportements de mon mystérieux entourage social, scolaire, amical, familial. Comme un oiseau à l’affût, je repérais les moindres mouvements.
A force de regarder agir les adultes, je me rendis vite compte que j’étais totalement dépourvue de cette assurance péremptoire, placée autant dans leurs attitudes que dans leurs propos. Moi, je me débattais pour me faire entendre. Eux, ils n’en avaient pas besoin.
Je me voyais minuscule, fragile, hachurée. Ils paraissaient solides comme des géants de granit. Sans même ouvrir la bouche, ils s’imposaient. Je les caractérisais d’un seul terme :
« SOLIDITE ». Je les trouvais compacts comme un plat de lentilles. Je reçois l’image. Les graines brunes amalgamées dans mon assiette et à table, placées tout autour de ma chaise, des des formes homogènes ressemblant à ma pâtée. La sensation que j’avais de moi-même était très différente. Mon enveloppe charnelle me semblait faite de morceaux épars. Puis un jour, j’aperçus une faille dans leur consistance.
De temps en temps, ma mère, ou l’institutrice de la maternelle, et même mon père, ou mon oncle, ou toute autre idole impressionnante, craquait. C’était imperceptible, une hésitation dans le regard, un geste flou, un énervement montraient la cassure. Et parfois dans
la colère de l’impuissance, l’émotion, les pleurs explosaient.
Cette agitation perpétuelle que je traînais depuis ma naissance, ne me permettait, en aucune façon, de faire progresser mon travail vers une manière simple, de faire comprendre à mes interlocuteurs le fonctionnement du cerveau. Je continuais à prendre des notes de plus en plus précises. Alors que je n’avais pas encore atteint mes seize ans, l’âge de la puberté, les choses se mirent, tout de même, un petit peu en place.