Page 28
Bess. 25 Octobre 1990. La naissance du pin.
Euromarktinteractive.org, le seul journal européen trimestriel Sur l'Art et la Culture (traduit en 15 langues)
Bess. 25 Octobre 1990. La naissance du pin.
A force dire qu’il fait toujours beau et chaud sur le Faron, les étrangers finissent par le croire. On aurait dit aux invités que demain serait presque une soirée d’hiver, ils n’auraient pas pu l’accepter, tellement le moment présent était étouffant. Et pourtant… Heureusement, la magie des contes de Granie allait opérer. Pour relever l’ambiance, elle avait invité tout le voisinage pour une veillée particulière.
On avait allumé un feu dans la cheminée de la grande salle. Dès vingt et une heure, il y avait déjà foule. Il en venait de partout, du voisinage et de plus loin encore. Naturellement Bess, Fred, Emie, Paulo et les autres étaient là.
-- Cela se passa un soir d’été, commença Granie. A force de faire la fête, Eve, Adam et leurs multiples enfants étaient devenus très forts en matière de rigolade. Il ne se passait pas de jour sur la montagne qu’un quelconque « Miquéou l’Ardi » n’invente une nouvelle recette de patchouli, un suprême breuvage de nectar ou d’ambroisie, des jeux de semble-ferrade, « des toutis-quantis » de toutes sortes, et surtout des « barjaquacages » accompagnés de chansons.
Les plus belles « martégalades », je veux dire, les contes les plus fous, étaient offerts par les cousins venus des pays lointains, là où parfois la glace est éternelle, où on trouve un soleil debout pendant six mois…ou encore là où sur les déserts de sable, des hommes bleus chevauchent des chameaux qui blatèrent. C’étaient toujours des galéjades folles, que « au plus elles te viennent à ramassège », au plus elles te plaisent. Vrai !
Je vais donc vous espéger une fameuse légende que si tu l’es « pas de Martigues », tu la crois pas. « Eusses » de Martigues, ces « couillouns », on sait bien qu’y « croivent » tout ce que tu leur dis. Et pourtant, moi je vous demande bien, de la saisir VRAIE, cette histoire.
Donc un jour de l’Antiquité qu’y faisait encore plus beau que d’habitude, plus encore qu’aujourd’hui, et que les oiseaux chantaient en provençal, les « Faronins » virent venir au loin, du fin fond de la mer, une barque royale peinte de fresques rouges et bleues, « avé » une grand voile de soie brodée de dentelles à « macrâmes », digne de sultan milliardaire.
Le « batéou » que je parle, y transportait une jeune fille ravissante nommée Pynéa. Elle était en voyage pour rejoindre son amoureux le Prestigieux Pan, roi des Forêts, fils d’Hermès et de la fille du roi Dryops. La « Pinéoune » elle, elle se languissait beaucoup de le revoir. C’était rien de le dire.
Et « Vaï », comme dans le Midi, on aime les histoires d’amour et qu’on les chante toujours « avèque » les guitares venues de l’Espagne, pour pleurer « Aïe-yayaïe », tous en choeurs, les « Bastidans et les Bastidanes », les bergers, les « bouscatiers », bref tous les « Faronins » en belle « eztaze », grimpés sur les terrasses de « faïsses », tout au haut des bancaoûs, pouvaient voir les magnifiques cheveux marrons dorés de la pitchoune, traînant leurs mèches frémissantes jusque dans l’eau bleue.
-- Sûr que le mariage des « novis » y va se faire ici. Qu’y « criaient » à toutes forces. Y se préparait déjà un « brâve » de charivari.
Malheureusement, le « mandjiapan » Borée venu du nord, méchant comme une teigne qu’il était, avait lui aussi le faible pour la petite. Il voulait se l’enlever, si « la rauba », c’est-à-dire se la séduire sans se la marier.
Mais la jeunette c’était pas une frotteuse. Vous savez comme ces « cagoles » qui aiment recevoir les « attouches z’héroticasses ». Elle était honnête. Et de plusse, elle ne l’aimait pas ce gros « maoûfatan » de Borée. Si tant laid qu’il était, qu’il lui faisait horreur.
A contrario, elle était terriblement amoureuse de Pan. Et ça, c’était une chose qui s’était réalisée depuis le premier regard croisé. Depuis, elle pensait « rien qu’à lui ». Cela énervait de beaucoup le Malfaisant qui supportait pas d’être un « banard cornuto ». C’est pourquoi il la suivait de loin, depuis le départ, en se cachant dans une galère noire dirigée par de grands « rameurs - musclés - féroces ».
En arrivant à vue du Mont qui fait de loin office de Phare, ou « Fare », et qui pour cette raison est appelé le Faron, saisi d’une terrible jalousie, en sentant que les noces approchaient, Borée se mit tout à coup à se payer le grand « santifécétur » et à hurler de colère. Il « vient » fou!
L’ignoble appelle alors l’Auriste, un des 365 vents « faronnais », car il y en a un pour chaque jour de l’année. Cet ouragan « tempêtueux » est l’un de ses meilleurs amis. Plus pire que le « Lauristo » tu le peux pas. C’est un « destrussi », un brise-fer, une bestiasse qui casse tout. Une fois qu’il s’est mis dans l’idée de te démolir, rien ne l’arrête. Là, y se met à souffler fort sur le cortège nuptial.
Alors ne voilà - t - il pas que, « gangassés » par le remous, les bateaux tanguent et « boulèguent » furieusement. Des vagues monstrueuses, de plus de huit mètres les secouent dans tous les sens, en faisant de la « regonfle » sous les quilles. « Macari ! » Les oies, les « gabians », les mouettes, les goélands y se sauvent vers l’Afrique.
Et peuchère ! Bonne Mère ! Les « damotes » de compagnie, les pages, les grands chevaliers « esparaillas », bref, tout le cortège nuptial en entier y bascule. Y chavire aussitôt, et tous dé s’y « néguer ! » De s’y noyer quoi. Oh « Pôvre ! » Le spectacle est si horrible que ça fait peine !
Alors dans un tourbillon, le cyclone « Lauristo », tout de suite, sans perdre de temps, y se « lève » la malheureuse fiancée. Telle une pigeonne blessée, il la monte sur son souffle jusqu’au sommet de la montagne, là où l’arête fait « barri » et y la jette sur les rochers qui « l’esclape ». Plof ! Alors, esquichée, écrasée comme un anchois, la jolie « novi » tombe bien fatiguée sur les « massacans », pour y mourir. Las ! « Qué malparado » ! « Espalavardés », hagards, les yeux « estravirés », les habitants du « Fare » ou Phare, ou Faron, y se précipitent pour essayer de la dresser.
Trop tard ! Chacun s’embronche les « espinceaux », se bouscule, s’étonne, se lamente dans une « estubade » générale.
Pour la « requinquiller » on se précipite. On lui donne les « escudés », les « vrais » pansements miraculeux à l’eau-de-vie fumée à l’encens, à la pure crème de mélique, à l’hydromel, à l’alcool de miel, au jus de « micocoule » chauffé au soleil !
Rien à faire du tout… Elle « bade » en rendant le dernier soupir. Comme personne ne s’était jamais « « estramassé » sur la bonne colline, tout le monde se prend une « estomagade avé » la grosse bile. Un choc nerveux quoi. Et ça, ça fait mal ! Je te le dis.
« Fouâlé dé Fan dé chiche » ! Le grand « Pan », le Roi des Forêts, il était là. Y croit tout de go, « descadraner », c’est-à-dire perdre la tête, sortir du cadran, « venir fou ». Parce qu’y regarde tout le drame de loin, et trop tard, y peut plus y faire rien. Dans ce cas très « ultissime », il peut alors plus qu’en appeler au ciel, là où qu’il y a sa famille « Dyonisiaque ».
C’est alors maintenant le plus grand moment qui arrive qu’on a vu la chose de l’étrange. Le Faron y se prend tout à coup une compassion forte pour la nymphette et y change la pauvre « Nineille » morte en un pin vivant et gracieux, sous les « z’hourras » de la foule z’éblouie. Plan plan, le temps redevient « souléou ». Tout le monde y se met sous l’abri des petits arbustes, les Cistes « nistourins », pauvres « messugos » qui font pas beaucoup « point » d’ombre. Mais on avait que ça à l’époque à se mettre sous la dent. Et on se console.
Aussitôt dit, qu’on se va chercher les Violoneux, les beaux « Tambourinaïros », les « Siffleurs », les « Castagnettasses ». La foule se « dérébéchine ». On mène « dré » les Fougasses, les « Bisquitchélis », les « Castagnades à Poëllées », la Cade chaude et les « Chichifrégis ». On y apporte les jambonneaux, « lou Pain Bagnia », « l’Aïgo Boulido », les Pommes d’Amour et l’Aïoli « avé » la « Pichette de vin frais. Les « Ninettes » se lèvent le tablier de travail pour se mettre à danser. Illico, c’est la fête sous les ombrages légers.
Par la suite, dans les années d’après, la montagne si pelée à « grilladou » devint une forêt. Les enfants de la nymphe « Pynéa » nés des pommes de Pin parfumées que l’on brûle dorénavant le soir dans la cheminée, envahirent le moindre creux de vallon. Et lorsque « l’Adré », le vent chaud du Sud, siffle sa chanson de bonheur dans les arbres, on entend la flûte de l’amoureux Pan, souffler les notes de sa jeunesse perdue, dans la chevelure de sa si chère bien aimée.
Puis, quand le mauvais temps de l’hiver arrive, et que lorsqu’il vient ça ressemble au fameux caractère « boulégon des Faronnasses » le jour de colère, les grands Ouragans Tempétueux descendent avec lui, prenant possession des « gaoûtes ». Débarque d’abord la Tourmente « raffalesque » ou « Broudisso, que l’on appelle aussi, souvent « l’Aurisco Bourrasco ». Celui-là, c’est un vrai dingue, le pire de tous. Y commence derechef à se chercher « garrouille » avec « l’Aquiélou ».
Et comme si ça ne lui suffisait pas, y va se disputer aussi « avèque » le Mistral Ronfleur, puis avec le « Mistraû Souffleur » que l’on appelle aussi « lou Boufaïre ».
Et ne voilà-t-il pas qu’il en veut toujours plus, et qu’il en veut encore, et qu’y se cherche l’embrouille « avèque » aussi « lou » « Broufounié dé Mistraü », qui est le « Mistral Tempêteur », dans toute sa splendeur. Il n’y a plus que le « Magistralas », le Gros Supérieur de tous les Typhons de violence, celui qui soulève les jeunes « Nines » et les fragiles grand-mères, qui peut le faire céder.
Bah ! Chaque fois qu’un de ces « Broufes » de Tempêtasses vient « encaguer » le Faron de ses criasses, on peut toujours voir au travers des arbres, l’ombre du jeune Dieu Pan, coiffé d’une couronne de pin dont les aiguilles voltigent dans tous les sens… Il se glisse tout doux derrière les branches.
Il se serre contre le tronc de sa chère promise et y fertilise ses pignes éternellement. « Alorrsse »… tous les Aquilons violents, les « Labés », les « Montagnères », les lourdes « Raïas », les méchantes « Tarasques »… peuvent bien souffler de toute leur force, jamais ils n’arriveront à déraciner la belle « Pynéa » triomphante… qui pousse folle d’amour pour son dieu Sylvestre, en s’accrochant aux plus petits des « cailloux faronnais ».
Plusse que ça souffle et plusse que ses pignes se répandent dans les vallons, et plus que la Sylve elle se multiplie. On y dit la « Pynéa », la « Pignette »…
On l’appelle Pinéda, « Pinetta », « Pignada ». Elle se multiplie. La grande Famille de Pan et de sa fiancée se répand à foison sur la colline, tout autour de la Méditerranée… en passant par l’Estérel.
Voilà pourquoi l’été, lorsqu’on entre au plus profond du fond de la forêt « Faronnaise », on arrive sur un lieu magique. Dans le grand beau du calme de la saison chaude, il n’y a plus de bruit. Le soleil fait de larges quadrillages sur le sol de pierrailles. Il n’y a plus d’arbuste, ni de fleur… rien que du lichen et les arbres chanteurs… les pins de la « Pignettoune ».
Si tu regardes bien derrière l’ombre des « roucas », tu y vois les Elfes et les Fées danser au son de la flûte du roi Pan. Leurs voiles se mélangent à l’air chaud.
Tu peux alors « nifler » l’odeur busquée des pommes de pins que les Nymphes « farfoulent » avec leurs pieds ailés. Elles se croisent sans fin, côtoyant le cortège des Vierges du vieux Dyonisos, celui qui a créé le chant du soir, et qui du haut de l’Olympe, nous a donné la « Pinéda ».
C’est cette histoire que l’on raconte aux « nistouns » qui vont sur la colline, afin qu’ils arrivent à voir l’invisible… et rencontrer un jour Pan avec son troupeau de déesses venir les bercer de sa musique. Ici et c’est ici seulement que l’on peut retrouver dans le calme des arbres, tous ces enfants questionneurs de légende. Ils seront toujours protégés par les baguettes magiques des Fées, dansant entre les enfants de la nymphe « Pinéa », qui nous a donné notre belle forêt.
Granie s’était tue. Tous les auditeurs fascinés regardaient, sur la partie du Faron située au dessus de la Bastide, les arbres argentés. La lueur qui glissait derrière l’eucalyptus leur était familière. Avant de reprendre la parole, elle regarda tendrement la petite Bess.
-- Je connais une enfant qui est comme le pin. Comme lui, elle s’accroche pour survivre, se cramponnant au moindre petit brin d’herbe, au plus minuscule caillou, à la plus légère étincelle d’encouragement. Ceux qui ne voient pas le pourquoi de sa lutte, croient qu’elle les provoque. Un jour, les humains sauront reprendre le voyage au travers des continents, vers la confiance, jusqu’au bout des étoiles… et alors l’harmonie pourra s’installer.
On servit des jus de fruits. Les guitares et les youyous se mirent à résonner et les petits, pleins de bonheur, firent une farandole. On pouvait alors, enfin les emmener coucher avec la lueur d’argent de la lune, se reflétant dans leurs yeux.