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Véra. Mardi 12/07/2011. LES deux GO. Génération ordinateur.
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Véra venait de finir de s'habiller, lorsque Tanguy l'appela au téléphone. Depuis l'avant-veille, il ne l'avait contacté que deux fois. La première communication dans la soirée du samedi vers 23 heures, lui avait décrit l'enlèvement d'Emilie, qu’il avait réalisé avec Ferré et deux hommes de Génium. De savoir que tout s'était bien passé l'avait rassurée.
Il l'avait appelée une seconde fois le Dimanche après-midi, pour lui parler de la suite de l'interrogatoire. Elle avait compris que l'agitation qui régnait au château, au sujet des tractations pour la main-mise totale du Consortium sur les économies politiques perturbait les grands pontes. Depuis, plus rien. Véra pensait que tout se déroulait comme prévu.
Or la voix de Tanguy était haletante. Il lui expliquait, dans un bizarre débit haché, qu'ils n'arrivaient à rien avec Emilie. Les pourparlers avec les divers chefs d'état de la planète, étaient plus difficiles que prévus. L'IA/P de la prisonnière passait alors au second plan.
Les meneurs de l'opération ne croyaient d'ailleurs pas à sa prétendue valeur. Le japonais Kiou Fu, proposait de demander à la mafia de les en débarrasser purement et simplement, en tuant la jeune kidnappée.
-- L'homme ne plaisante pas, tu sais. C'est l'avocat officiel des Clubs de Jeux du groupe ZT. Il est depuis l'année dernière le Conseiller des Mairies tenant les principales villes de Casino et de Sexe, Bornéo, Amsterdam, Las Vegas. Il emploit des centaines de milliers de personnes gravitant autour des boites de nuit, des tables de baccara, roulettes, machines à sous.
Il a mis dans sa poche la police, les administratifs, les flambeurs, les petits et gros dealers. Ses filles fichées comme prostituées, sont vendues par catalogues.Elles sont proposées par photo sur Internet et leurs listes sont distribuées dans les rues.
-- Fais attention à ne pas te mettre en travers de sa route. Je t'en prie, pleurniche Véra.
-- Mais malheureusement, Ferré s'accroche à cette nouvelle notion d'Intelligence Artificielle Personnelle. Mathieu Ferré est sûr et certain d'obtenir une revanche sur la Paléosoft qui s'est laissée bêtement acheter par Génium. Il pense même tenir la dragée haute aux cinq Présidents. Il te demande donc, d'aller chez Emilie. Fais-toi ouvrir la porte de sa chambre d'une manière ou d'une autre. Il se pourrait que tu trouves double de l'IA/P, ou tout au moins des notes précieuses.
Nous avons peut-être oublié un logiciel, négligé un détail important, laissé passer le principal. Examine aussi la cave. Jules a parlé d'une cave. Bref, fais vite. Et recontacte-moi avant que la disparition d'Emilie n'inquiète quelqu’un. J'attend ton appel aux alentours de dix heures.
-- Je me débrouillerai. Ne t’inquiète pas.
A peine son jumeau a-t-il raccroché, que Véra regarde sa montre. Huit heures du matin. Elle peut se trouver chez Emilie vers neuf heures et rappeler tout de suite derrière. Il ne lui faut que quelques minutes pour descendre l’escalier et sauter dans un taxi qui par miracle passait par là, VIDE !
Pendant le trajet elle pense à son jumeau, avec crainte. Elle se sent quelque peu responsable de lui, depuis une certaine nuit de leur toute petite enfance. Et brusquement, elle revoit la chambre double, dans laquelle ils dormaient depuis leur naissance, ne réussissant pas à se séparer, ne serait-ce que pour une nuit.
Ce matin là, ils étaient remontés encore une fois à l'aube et sans encombre, de la cave des voisins, dans laquelle un groupe de jeunes hackers préadolescents, de leur âge, se réunissait toutes les nuits. Bien qu'épuisés par le manque de sommeil, ils décidèrent de se faire un dernier jeu sur leur mini-O, avant de s'endormir. L'image vivante se replace dans sa mémoire, comme une porte dans ses gonds.
Elle se revoit clairement dans la silhouette de la petite Véra, dite Gofie, ou « Génération – Ordinateur – Fille ». La scène se dessine derrière ses paupières. Elle se glisse sous son lit, dans l'emplacement réservé aux jouets. Dans le couloir, les adultes récemment réveillés, hurlent dans une atmosphère de levers agités. Les frères, les cousins, se battent aux abords de la salle de bains.
Les cris aigus des éveils en fanfare couvrent le bruit perçant, venu de l'extérieur, que les boueux font avec les poubelles. Le souffle d'une vague immense de sons divers secouant la maison sous un début d'orage, forme un tout qui vibre en spirale infernale.
Le cauchemar est habituel, une horreur ordinaire qui veut dire en français : « Vite, fuyons tous aux abris ». Ecœurée par la bestialité de l'ambiance, Gofie referme sur elle les battants du meuble. L'univers ouaté, pelucheux, est éclairé de la lumière douce qui passe à travers l'envers de l'aquarium formant cloison d'angle avec le mur du fond. Les animaux marins barbotent dans une odeur de tilleul - menthe.
Elle allume les lampes de son « Babble – Baby – two ». Le nouvel ordinateur pour enfant deuxème âge est toujours prêt à l'emploi. Elle va se payer une « AVENTURE », ce jeu vidéo adoré des jeunes et qui traite des Mémoires du programme utilisé. Elle introduit rapidement son information de Joueuse répertoriée, dans le lecteur de fiches.
L'engin s'enclenche dans un crissement. Cela démarre très fort. Le « Game - Long – BI », propose une ambiance générale, à priorité de violence. Ce n'est pas étonnant. Véra, dite Gofie est terriblement énervée. Toutes les réponses convergent vers la puissance. Babble met en place le manoir de l'horreur, des chausses trappes, des embûches, des pièges à loup, des oubliettes, des châteaux forts hantés.
La petite informaticienne savoure sa projection présente. La prochaine information n'a qu'à bien se tenir. Elle arrive avec le premier coup de dent porté dans la pomme posée sur le coffre des « Légos ». Au passage, elle se mord la langue en même temps que le restant du goûter de la veille. Un goût de sang se glisse dans la saveur du fruit importun, placé mal à propos sur le déroulement du drame.
La donnée insolite, à peine cliquée pour l’enregistrement final, fait plonger la suite
du Jeu habituel et classique, dans le « Programme Aléatoire », le plus dangereux de tous les Programmes.
Toutes les Mémoires refusent alors la banale proposition. Même la case « Accept » se tord. Véra, cherche à rejeter l'image débile de la description de ce morceau vert et acide qui se tortille dans sa bouche. Elle est sur le point de vomir. Elle crache le déchet dans une boite de bonbons et se penche au dessus.
Le déblocage se fait brutalement. Arnaude, la fameuse Mémoire Priorité, celle qui prend les rênes, débouche sur la piste avec un bruit de sirène. Et la fillette bascule au milieu des filets de salive, au milieu de l’image de la marque de ses dents, dessinée pile au centre du morceau fruité. Toutes les Mémoires crient bravo. L’engin informatique Bable dirige le circuit de manière infernale. Chapeau.
Il faut suivre ou s'éjecter en électrocution. La petite Véra et l'info de dégueli, confondues en une seule et même chose, se répandent dans les couloirs bleutés du bobsleg dessiné sur l'écran. Elles dévalent les neurones surexcités.
De l'extérieur, la salle de contrôle cervical informatique de Véra se bouche. Les ordres arrivent confus. La voix mal réglée rectifie mécaniquement la donne. La vitesse bouscule sa pensée. Les malaises lui retournent l'estomac.
La silhouette de la petite Mémoire du Plan à Court Terme, nommée Annie, celle qui découvre le monde se reconnaissant à sa jupette bleue de pensionnaire se dessine alors sur l’écran. Elle lui prend la main pour la faire tomber, s'amusant à la pousser dans les tournants.
Véra, bien que surnommée Gofie, a peur maintenant. Elle frappe la Petite Mémoire à Vision Courte, par le travers du clavier. Mais c'est justement ce que veut Annie. Elle lui échappe, taquine et agace l'enfant qui en pleurerait de rage. Son cri déboule en force dans le haut-parleur se rajoutant au refus du TOUT stigmatisé par la pomme reinette.
Les images de la bagarre entre Annie et l'enfant, se mélangent un instant sur l'écran jaune. Elles se rajoutent à l'éclair bleuté de l'orage extérieur considéré sans importance, car étouffé par les volets et le matelas. La tornade s'impose sans valeur aucune, ni en virtuel, ni en vrai.
Véra, plus que jamais dite Gofie profite de la seconde de répit pour récupérer son assise. Elle renifle les odeurs, précipite l'action. Reprenant le dessus, elle cherche démoniaquement et fermement à court - circuiter tous les réseaux. Tout faire sauter.
Elle veut faire du mal, se faire du mal, et en quelque sorte, augmenter le drame jusqu'au bout, en non stop, pour n’avoir même plus le mérite de gagner. Elle veut exploser avec le clash pour voir ce qui va se passer.
Josèphe, la femme du feu, qui est la Mémoire d'Urgence, arrive alors en représentation, faisant office de Police Secours et des Sapeurs Pompiers. Elle déboule avec ses voitures rouges, ses lances, ses tuyaux, ses tenues d'amiante. Elle cherche à éteindre illico, le volcan brûlant.
La Mémoire Thérapeute Sara, se précipite à son tour, accompagnée des médecins, du SAMU, des ambulances, bref de l'hôpital tout entier. Mais Gofie résiste aux propositions de sauvetage. Elle allume des incendies par milliers, se consume, retourne sur elle-même sa piqûre de scorpion, enfle ses artères, gonfle son crâne. Elle sait qu'elle va mourir. Elle le réclame. C'est magnifique.
Alors là, écoutez la suite. Rien n'est plus beau que la Mémoire Equilibre. Luxe, Calme et Volupté. Elle représente les Beaux-Arts. Viridiana, prénom prédestiné qui veille à ce que les choses se fassent dans l'ordre organise le nettoyage. Elle se drape toujours dans la grande écharpe panachée du Justicier - Commandeur.
Viridiana cherche d'abord à rétablir le calme. Mais lorsque Gofie rejoint la décision du point de non retour, la Mémoire imparable met en place le dispositif de mort. Aux ordre de la jusqu'auboutiste, elle organise en crescendo tranquille la consommation définitive.
A présent Gofie, complètement terrorisée, se tétanise. Elle ne peut plus reculer, ni annuler l'action décisive. Emportée inexorablement dans le dédale des cavernes perdues, elle tobogante de marche en marche, de blessures en effrois. Elle s'est mise à hurler. Cela s'entend. En tripotant les boutons de commande de Bable, elle cherche à stopper les évènements précipités, devenus si meurtriers, qu’ils se retournent pour la blesser jusqu'à l'ultime. Elle craque.
Comment ce petit bout de pomme recraché à temps peut-il tuer? Comment toutes les stupides Mémoires, peuvent-elles accepter d'obéir au programme de meurtre? Qui a décidé du jeu? Qui a choisi la programmation fatale, le déclenchement de ce processus irréversible.
Et QUELQUE SOIT l'information sélectionnée qui fait en sorte que le destin soit mortel ? Qui décide du crime ? Qui ? Qui ? Qui ? Ce n'est PAS elle ! N’est-ce pas ? Ce n’est PAS elle pourtant ?
Canif en main, elle attaque les mécanismes. Elle taille, coupe, entame l'appareil devenu aveugle et sourd. Elle cherche à briser le mélodrame, l'auto - destruction. Le couteau va et vient.
Il va se planter dans sa propre gorge. La lame est prête. Elle le sent. Elle pousse dans un cri, tout son effroi :
-- ATTENTION !
-- Qu'est-ce que tu as?
Son jumeau Tanguy appelé GOMY, c'est à dire Génération – Ordinateur - Mâle, passe la tête sous le lit. Malheureusement, son geste l'amène à portée de la lame, et il reçoit le fer pointu dans l'œil. Le sang gicle avec l'information rouge sur l'intégrateur, ce qui permet enfin in extremis, à la Mémoire d'Urgence, « Irma - la - femme - qui - bondit », de faire sauter toutes les résistances, et d'effacer enfin le précédant programme de menaces. Véra regarde surprise son arme tâchée d'hémoglobine.
-- Oh, mon Tangui chéri ! Je ne voulais pas te faire du mal. Mais on emporte l'enfant blessé. On secoue la fille criminelle. Les insultes et les menaces la submergent. Pourtant elle est soulagée. « C'était lui ou elle ». Elle ne peut pas le dire. Elle le pense. Elle a presque envie de rire. Tout en ayant, en même temps, si mal pour son jumeau.
La famille est indignée !
-- Quelle folie ! Poignarder son frère. N'as-tu pas honte?
Elle a honte. Oui, oui. Et du chagrin vis à vis des autres et surtout de son cher Tanguy. Mais au dedans d'elle, elle respire la joie. La pluie tombe, lave les carreaux, chasse l'orage et toute son électricité. Bable clignote doucement sous le lit. Gofie redevenue Véra essuie son front mouillé. Elle respire, ravie ! On n'est jamais déçu avec le jeu AVENTURE.
Véra sort de ses souvenirs lorsque le taxi s’arrête devant la porte d’Emilie, Rue de la Petite Sidérurgie. Il est neuf heures moins dix. Avec un peu de chance, elle pourra appeler Tanguy à dix heures comme convenu. Elle aura même le temps de faire le tour de la cave.
Mais une fois de plus, les choses ne vont pas se passer tout à fait comme la jeune fille l'avait prévu. La chance n'était pas dans son camp, ce matin là.
Après avoir quitté son véhicule devant la porte de l'immeuble, le bruit qui sort de l'impasse donnant dans la rue, lui fait tourner la tête. Elle lève les yeux vers des lumières qui lui semblent insolites, presque extraterrestres.
Sans même penser qu'elle va peut-être perdre un temps précieux pour son enquête, la curiosité l'amène jusqu'à l'entrée du boyau. Et LA, le spectacle hallucinant qui l'accueille, la laisse bouche bée, mâchoire grande ouverte et yeux écarquillés.