L\\\'Enfant qui venait du futur

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Thomas. 4 Juin 3009. 19H. Nuit aux Archives.

Thomas. 4 Juin 3009. 19H. Nuit aux Archives.

 

Léa, Thomas et Milo, se sont levés un peu tard, après la rude nuit de la Musique. Ils sont tous les trois d'accord : « C'était bien ». Assis sur la jetée qui domine la piscine à remous, ils se remémorent la soirée. Le dos appuyé contre ledôme vitré en train de virer au bleu foncé, ils se laissent bercer par le son cristallin des vagues.

-- Ce que j'ai préféré, dit Léa, c'est le slam sur le « Peuple des Mots ».

-- Et la performance de Spead, en danse squatchée, qu'est-ce que tu en dis ?

Avant que Thomas ait pu répondre, le haut-parleur diffusa une annonce.

-- Votre attention, s'il vous plait. Edwin, responsable de nuit aux Archives, s'est foulé la cheville en trempoline. On a besoin de quelqu'un pour ce soir. Merci.

-- C'est pour toi Thomas, dit Léa. Tu es fort pour les Archives.

-- Oh, bien non, merci. Après la nuit qu'on vient de passer. Au Contrôle, ce matin, ils ont dit que j'avais besoin de me relaxer. Et puis ils demandent un responsable. Je viens juste d'arriver en classe préado. Je n'ai jamais assumé ce rôle…

-- Quand même, c'est pour toi, répète Léa. Tu es drôlement bon, dans le secteur.

-- Oui, en aide, pas en responsable. Et puis aujourd'hui, j'y tiens pas… je suis naze. Ils vont bien trouver quelqu'un ! Mais il pense que ce serait vachement excitant de tenir le poste, ne serait-ce que pour une nuit.

L'annonce retentit une deuxième fois.

-- Tu as le temps de te relaxer, dit Milo. La garde de nuit ne commence qu'à vingt une heures. On a encore le temps de passer trois heures à la piscine…

-- Et quand c'est qu'je dormirai ?

-- Oh ! La nuit, il n'y a personne.

-- Au contraire ! C'est toujours le moment où deux ou trois énergumènes insomniaques viennent te casser les pieds. C'est sympa pourtant, il faut le dire… Chaque fois que j'ai fait une aide de nuit, je me suis régalé. Généralement on voit arriver les fanas des années 2.000. Ce sont les années les plus intéressantes… Celles où tout s'est joué. Quand je fais une « nocturne » en Archives, j'en apprends de toutes les couleurs. Mais, deux nuits, sans presque dormir !

-- Il y a bien un lit de repos ?

-- Oh, oui. Je sais.

Finalement, Thomas prend son « IAP » et tape une réponse en direction du Centre.

-- Allo ! Ici : « C2 Thomas ». Si vous n'avez personne, d'ici 21 heures, dites le moi. Je viendrai. Je suis à la piscine. Et il raccroche. Milo rigole.

-- Viens plonger, dit Léa.

-- Allons-y, tu as raison. J'ai besoin de me détendre. Imagine qu'ils n'aient personne d'ici 21 heures. Bon, ils savent que je ne suis pas chaud. Et que ce sera la première fois. Ils vont attendre de trouver quelqu'un avant de m'inscrire.

Bien que préado d'à peine neuf ans, Thomas avait déjà fait plusieurs aides de nuit et surtout de jour, mais pas encore de remplacement, tout seul pour toute la nuit. Il en était pourtant capable. Rem le savait. Bref, s'ils n'avaient personne…

Les trois jeunes arrivent devant l'eau bouillonnante, vêtus de leur combinaison courte de plongée. Se tremper dans le bain à remous est une véritable aventure : toboggans, couloirs souterrains, envols sur projection de jets d'eau, tourbillons, trains fantômes, cascades, visites de grottes sous-marines, avec animaux en plastiques reproduits de façon tellement réelle qu'on les croirait vivants, émouvants, convaincants, et agités de mouvements rapides et fluides.

Les deux garçons suivent Léa qui veut descendre le tuyau de remous. Le jet tiède, plein de bulles leur éclate à la figure. Vers vingt heures, la voix du hautparleur se répand dans toute la station :

-- Ici les Archives. Message de Rem pour Thomas-C2… Personne pour le poste pour cette nuit. On compte sur toi. Amène Léa et Milo. Vous pourrez dormir à tour de rôle, dans les aires de repos. Madonna sera là pour vous donner des repas et des boissons énergétiques. Nous avons reçu des centaines d'encouragements pour Thomas. Mais pas une proposition valable pour le poste. A tout à l'heure Thomas. On vous attend tous les trois.

Tout à coup, le jeune garçon, se met à sourire. Il est fier de savoir que des tas de gens approuvent le choix de Rem. Il sent combien c'est valorisant pour un préado.

Pourtant, il essaye de n'en retirer que la satisfaction de faire quelque chose d'utile. Pas plus…. Trop d'auto- suffisance empêche de rester zen, donc joueur et surtout heureux.

-- C'est génial que tout le monde puisse voter lorsque l'on a un /problème, dit Milo.

-- C'est le gouvernement intégral qui veut ça, répond Léa avec un haussement d'épaule Dans un gouvernement qui n'est ni dictatorial, ni pyramidal, ni démocratique, tout le monde est prévenu au même moment et s'il y a une décision rapide à prendre, chacun peut donner son avis. Les idées les plus judicieuses sont généralement donnés par les plus compétents. Même les plus nuls sont capables de trouvailles intéressantes.

J'adore participer à cette façon de diriger.

Milo et Thomas se sont changés devant Léa qui traîne. Ils ont évité les cabines individuelles. La plupart des gens préfèrent s'habiller dans la grande salle, plus conviviale. La pudeur n'existe pas.

Tout est considéré comme un jeu, mais pas n'importe comment, ni quand, où, comment, et avec qui...

A part quelques interrogations innocentes sur une tâche de vin, une déformation visible, les différences s'ignorent.

Finalement, la nuit s'annonce bien. Les trois pré-ados, sont arrivés à l'heure au « Centre des Archives ». Madone les reçoit avec un grand bol de chocolat.

Thomas adore cette fille qui a choisi d'être aide familiale. Personne ne l'y oblige…

Il l'a connu en groupe familial. Elle le chouchoutait particulièrement. Les affinités se sont poursuivies et c'est après de gros poutous, échangés de part et d'autre comme autrefois, qu'il s'étend sur le matelas de garde.

Léa prend le premier quart. Au bout d'une heure, elle vient le réveiller.

-- S'ils te plait, Thomas, je voudrais que tu t'occupes de P.P. Je n'arrive pas à le brancher sur les bonnes lignes.

P.P. a pour prénom Pierre et pour nom, celui de sa célèbre cellule souche « Petrucciani » Comme lui, il est très petit, car ce dernier était nain. Né au 19ème siècle ce fut un remarquable musicien, malgré ses handicaps de taille et de grave maladie génétique des os de verre. Il ne pouvait se déplacer qu'en fauteuil roulant.

La cellule mère fut nettoyée de ses problèmes de maladie, mais non de nanisme.

Agé de treize ans, P.P. vient de se découvrir, au lendemain de la Fête de la Musique, une passion frénétique pour le clonage. Il s'était aperçu, au cours de la soirée, que la mélodie ne l'intéressait pas du tout et qu'en plus il était hyper nul en harmonie. Or, sa cellule mère, issue de Petrucciani, avait été encensée à outrance, toute la nuit, par une foule de musiciens.

On s'était moqué de lui. Pas méchamment, comme toujours ici. Mais les plaisanteries, l'avaient forcé à réfléchir. Pourquoi n'avait-il en commun, avec sa « souche », que le nanisme ? Il avait envie de se plonger dans les mystères de la génétique, en la complétant d'une étude sur l'inné et l'acquis.

-- C'est urgent, crie-t-il dans l'oreille de Thomas, qui manipule immédiatement les fiches avec volupté. Le préado « savait », qu'une fois  de plus il allait découvrir des merveilles.

Les premières notes d'archives sur le sujet, remontaient aux années 1970. Quelques temps après, l'Angleterre avait cloné la brebis Dolly, qui avait produit une réplique parfaite. Par la suite, il y eut quelques essais sur des animaux. Un rat reçut le gène de la photosynthèse et c'est ce qui avait déclenché, l'aventure de la Ville Actuelle du Futur, nourrissant ses habitants, comme les plantes, avec de la lumière.

-- Je crois savoir que les plantes mangent aussi des minéraux venus de la terre, et boivent de l'eau ? Demande P.P.

-- Oui. Comme nous, répond Thomas.

Ensemble, ils découvrent que les premiers humains furent clonés en 2010. Les trois cent mille cellules prélevées en 2009, furent développées dans des matrices porteuses, elles-mêmes génétiquement modifiées. Arrivées à terme, elles furent mises en couveuses stériles surveillées de l'extérieur, par des infirmières.

Les enfants élevés en milieu clos, furent au début, répartis en une vingtaine de lieux disséminés en Europe. Les pays créateurs de l'idée, se chargèrent des pouponnières, en attendant les premières fondations de la Ville Bulle de Franceville, au Gabon.

P.P. très excité, voulait à tous prix savoir si « SA » cellule faisait partie des premières élues. Les recherches remontant à la première réactivation de sa cellule mère, s'avéraient très ardues. Ils en avaient pour des heures d'étude.

L'ado avait pour patronyme l'amalgame de : « Pierre 6Petrucciani », ce qui voulait dire qu'il y avait eu cinq clones de Petrucciani avant lui. Le numéro 6, indiquait qu'il était le sixième clone. Thomas lui, avait pour prénom Yves et pour nom : 2Thomas, ce qui signifiait qu'il était le deuxième clone d'un dénommé Thomas, dont il ne savait rien, d'ailleurs. La cellule souche de son géniteur ou génitrice, ne l'avait jamais intéressé. Et le clone de celui dont il était issu, appelé « numéro 1Thomas », non plus.

Il sentait qu'avec le travail fait avec P.P. son histoire allait peut-être commencer à l'intriguer. Ce serait intéressant de faire des recherches ensemble.

Thomas préféra tout de même lui donner rendez-vous pour la semaine suivante. Il était inscrit pour partir le lendemain en expédition extérieure de surveillance. A moins que P.P. ne préfère voir Rem ? Non. P.P. voulait Thomas. Les deux heures passées ensemble, avaient créé l'amorce d'une amitié.

Le sujet était assez passionnant. On y parlait du début de cette nouvelle humanité. La première question ouvrait un immense débat. Elle disait : « Pourquoi ce groupe, le G4F, avait-il voulu créer une Cité du Futur, habitée de clones ? Quels en ont été les déclics ? »

Mais il était déjà quatre heures du matin. Les deux garçons se sentaient fatigués.

-- A mardi, donc, et merci, dit P.P. Cette histoire m'intéresse vachement.

-- Moi aussi, répond Thomas, en retournant se coucher. Mais il sait toutefois, que l'aventure qui l'attend demain, au milieu des herbes, des fleurs sauvages exotiques, des scarabées géants, des coccinelles bombées, l'intéresse mille fois plus. Il adore toutes ces choses vivantes qu'il n'a pas le droit de toucher. Il reste toujours émerveillé, ébloui, ému devant tant de splendeurs.

Lorsqu'il reviendra d'expédition, il fera des dessins colorés, qui s'ajouteront à tous ceux qui s'entassent déjà sous son lit. Toutefois, rien ne l'empêche de faire les deux. Les Archives aussi le passionnent. Epuisé, il s'endort sur son lit de fortune, en rêvant qu'il est déjà dehors, dans la brousse sauvage.


30/04/2011
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