L\\\'Enfant qui venait du futur

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Jeudi 28/7/2011 Arrivée des deux équipes sur « l’Ile de CARPO », dans l’école du Futur.

 

 

La nuit vient juste de tomber sur l’Ile, lorsque les deux hélicoptères se posent sur le petit terrain d’atterrissage.  Lisbeth aperçoit sur la gauche, vers la brume sombre qui souligne le bord d’une mer calme, un bâtiment bas, à peine éclairé.

 

           

Bar et Gérard dirigent le groupe éparpillé, vers une petite lumière jaune qui se révèle être une lampe portée par un jeune homme habillé de bleu. Celui-ci serre dans ses bras Bar, Gérard et Maggy. Il serre des mains au hasard et entraîne tout le monde vers une maison basse, jusqu’à une terrasse de plein air.

 

 

Une dizaine de personnes les accueille chaleureusement et les emmène dans une grande salle à manger, ouverte vers la mer. De là, on aperçoit la fameuse demi bulle, paraissant bleutée sous l’obscurité. Bien que non étanche, elle fait illusion. La véritable Ville du Futur, construite dans les montagnes près de Franceville, et sa copie en train d’être réalisée incognito par le Groupe géré par Bar et Delpierre près de la mer vers la Capitale Libreville, sont toutes les deux bientôt prêtes à accueillir les premiers bébés éprouvette, possédant génétiquement le gène de la photosynthèse.

 

 

Après une collation réconfortante, les nouveaux arrivants sont dispatchés par affinité, dans des chambres claires, simples et pratiques. Bar s’est retiré dans les deux pièces qu’il retrouve après chaque déplacement. Maggy et Gérard ont l’habitude du petit logement qu’ils possèdent depuis déjà deux ans. Emilie et Lisbeth sont installées dans un petit appartement du même genre. Les deux IAP. ne quittent pas leur propriétaire. Seule Charlene a été prise en charge dans le local des aides soignants, bien que son état n’inspire plus aucune inquiétude.

 

 

Etienne Bar leur a promis une visite savoureuse des lieux, pour le lendemain. Il est prévu, après avoir fait connaissance avec l’Ile elle-même et son panorama grandiose, de rendre visite à chaque poste, géré par un responsable de qualité. En effet, ce n’est pas si simple de traiter les problèmes complexes qui se présentent chaque jour à l’ensemble de la colonie.

 

 

Une cellule de gestion générale centralise les informations concernant les diverses unités, médicales, ravitaillement, cuisine, aides ménagères, météorologie, et surtout les questions portant sur la régulation chimique de la future Bulle.

 

 

L’après-midi est réservée à la visite de la Ville, telle qu’elle sera réalisée réellement. La seule différence réside dans le fait que cette copie architecturale n’est pas étanche. Elle ne sert qu’à apprendre aux futurs éducateurs comment se comporter, et surtout comment apprendre aux autres quelles sont les valeurs nécessaires pour éviter à tout jamais la violence, trop présente dans ce monde-ci. Elle ne pourra jamais être utilisée pour accueillir les individus clonés du futur.

                                                                                                                                                     

 

L’entrée de la Bulle se fait sur le côté, par une sorte de sas. Lisbeth est très surprise.  

 

 

Elle retrouve la disposition de sa Ville du Futur des années 3012. De chaque côté du sas, les salles de désinfection font penser aux nettoyages qui seront nécessaires lors des retours d’expédition en terrain extérieur. En face de l’entrée se place la salle d’accueil entourée d’escalators, tapis roulants et toboggans divers, menant aux différents lieux de vie.

                                                                                                                                                      

 

Sur sa droite, Lisbeth reconnaît la porte indiquant la cellule de gestion, dans laquelle elle imagine Lister, siégeant comme en 3012 et prêt à la recevoir… non, elle rectifie sa pensée… prêt   à recevoir Thomas qui était son enveloppe d’alors. Mais en entrant, elle ne trouve que Jim assis derrière la table couverte d’écrans. Il lui sourit. Il sait ce qu’elle ressent. Lui aussi a lu toutes les descriptions détaillées qu’elle a faite au sujet de cette époque, sur son Blog, de 2009.

 

 

Elle ferme les yeux. Elle entend la même musique de fond, celle que Lister préférait. Elle ne sait pas pourquoi cette situation si proche de la réalité, ne lui plait pas. Elle n’est pas revenue   de si loin pour se blottir dans un cocon parfait. Elle le connaît. Ce qu’elle est venue faire, c’est chercher à comprendre pourquoi les hommes et d’ailleurs aussi les femmes, ne font pas ce qu’il faut pour être heureux.

 

 

Qu’ils foutent la planète et leurs existences en l’air, n’est pas son problème. Elle n’a pas pour mission de sauver l’humanité. Elle n’est pas le Messie. Elle a pour devoir de s’occuper d’elle même, en s’occupant de son environnement dans son… oui, elle le répète sans cesse… dans son « Propre Intérêt »…. Et jouer avec les autres en inventant des surprises toujours nouvelles.

 

 

Ce n’est pas ici sur Carpo, qu’elle va pouvoir s’étonner, découvrir à chaque instant quelque chose de surprenant. Il faut qu’elle retourne chez elle, à Paris, pour pouvoir se battre contre cette incompréhension qui est de mise sur la terre d’aujourd’hui. Elle a envie de revenir sur le lieu de ces batailles qui font rage contre les faibles et les opprimés. Elle veut continuer à essayer de leur expliquer que leur violence est générée par l’instinct de propriété.

           

 

Par curiosité elle accepte comme guide, Jim qui la prend par la main pour lui faire faire la suite de la visite. Il l’entraîne vers les pouponnières qui sont et seront toujours vides, puisque inappropriées pour des bébés génétiquement modifiés. Mais oh surprise, elle trouve deux poupons et un garçonnet en train de se traîner par terre sur une moquette surveillée par deux jeunes femmes.

 

 

--  Lisbeth, je te présente Floriane et Anne-Lise qui est la maman de Luc, le nourrisson qui boit son biberon. Les deux autres enfants sont le fils et la fille de Timothée qui s’occupe de l’école. Ils sont gardés par Floriane qui est la responsable des salles de garde des plus petits. Lisbeth est surprise une fois de plus, par cette occupation des lieux. Mais en effet, il est logique que toutes les installations puissent servir aux formateurs et à leurs familles, plutôt que de rester inoccupées. 

 

 

De là, Jim lui fait visiter les salles de l’Ecole et la présente à Timothée. Une quinzaine d’enfants d’âges divers sont répartis dans trois classes communiquant par de grandes baies. La lumière, comme dans tous les recoins les plus reculés de la Bulle, se répand sur les murs de verre.

 

 

Lisbeth reconnaît une fois encore, la façon dont l’Ecole du Futur fonctionne. Il n’existe pas de cloisonnement entre les âges, les classes, les matières. Tout le monde fait ce qu’il veut et n’est pas forcé d’apprendre un programme scolaire précis. Les écoliers n’ont qu’une seule tache, qui est de savoir comprendre, lire, écrire, utiliser les deux mille huit cents mots du dictionnaire de base.

                                                                                                                                                      

 

A cet outil simplifié au maximum, puisqu’il ne comprend ni les termes compliqués, ni les expressions concernant la violence sous toutes ses formes, s’ajoute l’étude du calcul et de la grammaire réduite à sa plus simple expressions. Comme en 3000, les jeunes écoliers doivent posséder parfaitement ces trois matières, avant cet âge de huit ans qui correspond au vingt et unième siècle, à la sixième.

 

                                                                                                                                                       

Pourtant la bibliothèque est emplie de bouquins de toutes sortes. De nombreux dictionnaires spécifiques concernant les maths, la physique, l’astronomie, la faune, la flore, les métiers utiles à la bonne marche d’une société positive, l’informatique, et même l’art, la musique, la sculpture, le chant, la danse sont à la disposition de celui qui désire se plonger dans une matière supplémentaire.

 

 

Ainsi, chacun ne va approfondir sa culture que dans la matière qui le tente. C’est la base    de cette éducation. Lorsqu’un individu s’intéresse à un sujet, il va pouvoir le traiter à fond. On le pousse donc à connaître ses désirs, pour les combler par l’étude qui devient alors un jeu.

 

 

Aucun livre d’histoire, ni de géographie ne figure sur les rayons. En effet, que peuvent-ils apporter dans l’avenir, à celui qui n’en fera pas sa matière principale. Qui se souvient de la date EXACTE  de la bataille de Marengo ? A part le fait que le chiffre fatidique « 1515 » qui semble correspondre à la fois à la bataille de Marignan, victoire de François 1er sur les Suisses, et avec Pi, le fameux symbole représentant le rapport constant du périmètre d’un cercle à son diamètre, soit approximativement 3,1416. Voyez la correspondance

 

 

Et même celui qui peut se targuer de se rappeler ces deux chiffres voisins, s’en sert-il journellement ? S’en est-il seulement servi une fois pendant ces dix dernières années ? Pense-t-il s’en servir dans les prochaines vingtaines ? Ou même plus ?

 

 

Donc à quoi sert cette accumulation de données absconses qui ne servent qu’à encombrer le cerveau ? Sauf à celui qui  JUSTEMENT  raffole des batailles meurtrières de ces derniers quarante siècles et plus ?

 

 

Or coup double, les éducateurs du futur sont justement là pour enseigner la non-violence. Ils ont donc supprimé les livres d’histoire, les contes de fées dans lesquels les bergères ne rêvent que d’épouser des princes guerriers pleins de butin raflés aux vaincus encore couverts de sang. Ils ont aussi éradiqué les récits policiers mettant en valeur le flair de Sherlock et de l’inspecteur Maigret, fameux pour renifler le cadavre mutilé de la victime. Oublions donc les comptes rendus de films série B, les comptes rendus d’accusés, de sérials killers, les J.T. les mangas et le reste.

 

 

Lisbeth félicite Timothée. Elle ne pensait pas trouver aujourd’hui, ici, dans cette époque arriérée, un remake aussi parfait d’un apprentissage visant à consolider l’équilibre mental de l’élève. Avec Jim, elle passe alors dans l’Aire de Jeu, dans lequel elle redécouvre les multiples facéties qu’ils avaient inventées, à la Bastide lorsqu’ils étaient petits.

 

 

Trois adultes sont en train de préparer les fiches qui serviront ce soir à faire jouer, petits et grands. On écrit sur le recto de la carte, trois questions. Et sur le verso, les trois réponses. Les cinquante deux cartons sont placés en milieu de table, recto retourné. Une personne prend une carte et pose une des trois questions, à son voisin de gauche. Si celui-ci répond parfaitement, il prend et pose la carte devant lui, avant de prendre une nouvelle fiche et poser une des trois questions à son voisin de gauche qui, s’il répond bien, etc. … A la fin du Jeu, celui qui a le plus de fiches devant lui, a gagné.

                                                                                                                                                       

 

Sur une autre table se trouvent les deux fameuses boites transparentes remplies de

 

 

Jetons. Les jetons blancs sont dans l’une, les noirs dans l’autre. Lisbeth pense qu’elles vont servir  à rendre le repas du soir plus harmonieux que jamais. Elle suppose que l’Ile Carpo, a récupéré ces multiples trouvailles répertoriées dans son ordinateur que Gérard Delpierre et Etienne Bar ont visionné au travers de son Blog.

                                                                                                                                                      

 

Cela fait si longtemps que ce jeu des jetons noirs et blancs fonctionne dans les ateliers divers et variés, dirigés par le groupe que Michel et Frank gère depuis presque dix ans. C’est un divertissement tout bête qui vise à améliorer la communication.

 

 

On place sur une table, lors d’un dîner, d’une rencontre, ou d’un entraînement visant au développement personnel, à côté d’une coupe pleine de jetons blancs de la taille d’un bouchon de bouteille en plastique, une coupe emplie de jetons noirs de même dimension. Chaque fois, qu’au cours de la conversation, quelqu’un prononce un mot ou une phrase qui fait plaisir à quelqu’un, celui-ci prend dans la coupe un jeton blanc et l’offre à celui qui vient de le rendre heureux.

 

 

Même chose, lorsque le propos est ressenti comme désagréable. L’émetteur ne le visionne pas toujours, comme étant de valeur négative. Dire par exemple : « Oh, mais pousse-toi un peu », ne semble pas être au premier abord, quelque chose de méchant. Mais tout dépend du ton, des circonstances, de l’ambiance. Lorsque la remontrance est dite sur un ton ronchon, on peut souvent rajouter à la fin de la phrase :  « Imbécile ! ».

 

 

De même une simple constatation du style : « Cette coiffure te va bien », peut déclencher chez le ou la sollicitée, une bouffée de plaisir, au point que celle-ci va puiser un jeton blanc dans la coupe, pour l’offrir au complimenteur.

 

 

 Au début Lisbeth disait qu’il fallait être une bonne dizaine de personnes pour pouvoir faire fonctionner le jeu à fond, jusqu’au moment, où un couple de jeunes mariés lui ont prouvé que c’était absolument faux.

 

 

--  Nous pratiquons ce truc depuis un mois et depuis notre vie a changé. Lorsque j’arrive fatigué du boulot et qu’en avalant la première bouchée de soupe, je remarque platement qu’elle est un peu froide, au lieu de rétorquer : « Tu n’avais qu’à arriver à l’heure », ma femme me glisse un jeton noir et je comprends que la remarque ne lui a pas fait plaisir. Elle s’était appliqué à me faire un repas qui puisse me plaire et ce détail la contrariait autant que moi.

 

 

En temps normal, elle aurait peut-être répondu sèchement. De répliques en répliques, nous en serions peut-être arrivés à la classique scène de ménage, qui bloque les câlins pendant la nuit et les sourires pendant plusieurs jours.

 

 

Alors, au lieu de nous renvoyer des phrases maladroites et de plus en plus pénibles, pour   en arriver à la scène de ménage, un simple jeton noir avait stoppé l’enchaînement de contrariété. Ce jeu gratuit, qui ne coûte que le boulot de découper dans des feuilles de papier noir et blanc,     de simples ronds, est fait pour rétablir dans bien des familles, des ménages, des réunions d’amis   ou de travail, devrait être enseigné dans toutes les écoles.

                                                                                             

 

Toute la journée, Lisbeth s’est promenée dans la remarquable copie de la Ville Bulle         de LURES, lettres qui signifient : Logique Universelle de Rigueur Equilibrée et Subjective.      Fred, Nickie, Charlene et Emilie l’ont rejointe pour visiter les locaux d’habitation individuels        ou familiaux, la salle à manger, les cellules d’aide psychologique et médicale.

 

 

Heureusement le déjeuner se passa en dehors de la Bulle. Sous les arbres, devant la mer, il faisait tellement beau qu’il eut été dommage de rester à l’intérieur. Lorsque la nuit commença à tomber, c’est en se balançant dans une chaise longue que Lisbeth prit la décision de demander au Commandant Bar de la ramener sur Paris.

                                                                                                                                                      

 

--  Je vous remercie pour ce merveilleux cadeau que vous nous faites, à moi et à mes chers cousins. Je ne pensais pas que pendant la vie que j’allais passer sur terre dans ces années 2000, je pourrais voir une promesse visant aussi parfaitement la réalisation d’une Ville Future.

 

 

Maintenant que j’ai vu ce travail magnifique, je dois m’en aller là où je sens que je peux m’amuser, taquiner les terriens, les provoquer pour essayer de les faire réfléchir, faire n’importe quoi, bouger quoi… Pourtant, je sais bien, qu’il est impossible de changer quoique ce soit à la mentalité des gens de cette époque. Et en même temps, alors que je suis sûre que je n’arriverai jamais à rien, je ne peux pas m’empêcher d’essayer. Rester ici, équivaudrait à me ronger les sangs, à piétiner, bref à quasiment m’ennuyer. Il faut que je retourne dans la bagarre. Je suis désolée de vous abandonner.

 

 

L’assemblée la regardait avec stupeur. Fred se sentait si bien pour la première fois de sa vie, qu’il ne comprenait pas pourquoi elle voulait repartir. Nick, se rongeait les ongles jusqu’au sang, en louchant sur son menton. Emilie restait bouche bée. Alors Mimi se mit à rire une fois de plus, et se décida à prendre la parole.

 

 

--  Si je comprends bien, tu vas nous quitter. Il n’y a aucune alternative à ce choix. Il reste maintenant à compter ceux qui veulent te suivre. Comme le silence s’éternisait, Mimi reprit.

 

 

--  Je vois que tout le monde voudrait rester dans cet Eden, sauf Lisbeth. Ne voulant pas lui faire de peine, personne n’ose le lui dire. Pourquoi ne pas comprendre son problème. Laissons la partir toute seule. Elle est d’ailleurs seule depuis l’âge de ses quatorze ans. Ou plutôt elle s’est résignée à le comprendre à cet âge là.  Elle le sait. Faisons lui nos adieux et profitons en pour faire ce soir, une grande fête avec tous les habitants de Carpocanium et ceux qui vont le devenir.

 

 

La nuit était pleine d’étoiles. Les yeux posés sur ce velours piqueté de diamants, Lisbeth souriait. C’est tellement beau de vivre. Tous ces instants qui auraient pu, et même qui ETAIENT quelconques, se présentaient comme de petites friandises à suçoter comme des bonbons.

 

 

Demain serait un autre jour. Un jour de fête de plus, elle en était sûre comme toujours.    Elle n’y voyait que le bonheur des ses amis à rester sur un territoire qui les fascinait, et le bonheur qu’elle avait à les savoir heureux. Quand à sa destinée à elle, elle ne pouvait qu’être fabuleuse, comme depuis le jour de sa naissance et même avant, à condition de vivre dans la surprise de l’inconnu.

 

 

L’Ile de Carpo ne lui apporterait rien de neuf. Ceux qui y vivaient maintenant avaient déjà tout compris. Elle ne pouvait rien leur apporter de plus que ce qu’elle leur avait dévoilé sur son Blog. De nouveau, lorsqu’à vingt ans elle avait quitté son pays natal, elle avait envie de dire « A nous deux Paris ».

 

 

Elle sentait pourtant que sa lutte serait vaine, comme d’habitude. Heureusement, sa formule préférée résonnait dans sa tête comme une musique de fête : « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer ».

 

 

Un ange passait. Etienne Bar se tourna vers elle et lui dit qu’il la ramènerait, chez elle demain matin, en hélicoptère. C’était un nouvel épisode qui commençait.

 

 

FIN  DU  DEUXIEME  VOLUME.


28/07/2011
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