Page 18
Delpierre. Libreville. Vendredi 03.07.09. Nlles Constructions.
Delpierre. Libreville. Vendredi 03.07.2009.
Pour leur arrivée au Gabon, la météo avait été clémente. Au départ des USA, il faisait vingt-sept degrés, et vingt-huit degrés en arrivant en Afrique. Le climat était quand même, un peu plus humide au débarquement qu'à l'embarquement.
L'ambassadeur avait bien fait les choses. Ils furent accueillis, à leur descente d'avion, par un représentant de l'ambassade qui les mena tout droit à l'hôtel « Laico Okoume Palace Hôtel ». Leurs places avaient été réservées par les soins de l'ambassade selon les désirs du père de Gérard.
Les précautions s'avéraient plus qu'utiles, car trouver un hôtel en ce moment, dans la capitale Gabonaise, relevait de l'exploit. Un grand nombre de journalistes étaient encore présents à Libreville.
Les obsèques d'Omar Bongo venaient juste de se terminer. Mais une grande majorité de reporters était restée là, pour couvrir l'événement de la passation de pouvoir.
Il ne faisait guère plus chaud ici qu'en Amérique. Mais comme l'hydrométrie y était nettement supérieure, on avait l'impression qu'il faisait vingt degrés de plus. Alors qu'en réalité, il n'y avait que deux à trois degrés de différence.
Aussi la toute première chose, dont Gérard et Maggy eurent envie, sitôt arrivés dans leur chambre d'hôtel, fut de passer sous la douche et surtout se changer de vêtements.
Avant de les quitter, le conseiller d'ambassade, qui avait tenu à vérifier lui-même le confort des chambres réservées, leur dit qu'une auto prêtée par « Europcar », avait été mise à leur disposition. En effet, l'hôtel se trouvait quelque peu isolé entre l'aéroport et Libreville. Il leur rappela qu'une voiture officielle viendrait les prendre dimanche à 10 h du matin, pour assister à la réception de l'ambassade donnée en leur honneur.
Il y aurait, outre le personnel et la famille de l'ambassadeur de France, un bon nombre de représentants d'ambassades étrangères, ainsi que les personnalités les plus représentatives de la communauté française. En y ajoutant sans doute, les représentants des grandes familles gabonaises, le tout, devrait bien faire, plus de deux cents personnes.
Perchée au septième étage du bâtiment, la suite classée « luxe » était pour l'endroit, relativement correcte. Douchés et revêtus de tenues plus amples et plus légères, afin d'éviter la forte impression de chaleur, notre couple se lance à l'assaut de la capitale. Commandant un taxi à la réception, il partit se plonger dans un bain de foule.
La migration saisonnière de la diaspora Gabonaise via l'Europe, avait commencé. Grâce aux nombreux sympathisants du président défunt, venus le saluer pour une dernière fois, elle s'était multipliée. La ville grouillait de monde et les voitures avaient du mal à se frayer un chemin, au milieu du flot ininterrompu des passants.
Leur taxi parvint difficilement à les amener au centre de la ville. Maggy et Gérard, en nage, ruisselaient déjà de tous leurs pores, lorsque la moiteur étouffante de l'après-midi, s'abattit sur eux.
Ils passèrent pourtant toute la journée du samedi à déambuler dans les rues de la capitale. Lors d'une halte dans une brasserie du centre-ville, le patron de l'établissement leur expliqua qu'à un mois près, ils avaient manqué la fête des cultures. A ce moment là, l'ambiance de la capitale y était plus gaie.
Des restaurants à ciel ouvert fleurissaient un peu partout, surtout autour du complexe sportif « omnisport », situé dans la banlieue sud de la capitale. Des tables posées sur tréteaux, entourées de bancs en bois étaient dressées directement sur les trottoirs.
On pouvait goûter à la gastronomie locale, qui hélas offrait encore de la viande de brousse. Ils flânèrent tout l'après-midi, à l'assaut des boutiques, en profitant de leur soi-disant voyage de noce.
Le dimanche matin, comme prévu, un véhicule vient les chercher pour se rendre à l'invitation de l'ambassade. Monsieur l'ambassadeur les accueillit en personne. Il tenait absolument à les voir, avant l'arrivée des autres convives.
L'accueil fut très cordial et sans protocole. Le fait que Gérard soit le fils d'un collègue, épargna au couple les salamalecs d'usage. Le diplomate les questionna sur la façon dont aux USA, et chez l'américain de base, la mort du président Gabonais était perçue. Maggy dut décrire l'atmosphère de la rue et parler des déclarations du dernier G8, en passant soigneusement sous silence leur participation.
L'Ambassadeur était aussi très désireux de connaître l'ambiance diplomatique de l'Ambassade de France aux Etats Unis. Il interrogea longuement Gérard sur son père, sur le personnel. Finalement, il se permit de leur parler de la politique locale, afin d'éviter tout dérapage devant les hôtes locaux ou étrangers. Il les renseigna aussi sur les sujets à éviter avec telle ou telle personne. Enfin, vers onze heures, les premiers invités arrivèrent et ce fut le bal des présentations.
Le couple n'attendait rien des personnes qui leur étaient présentées. Il espérait seulement repérer les gens qui pourraient, par leur connaissance du pays, leurs relations ou leurs professions, les aider dans leurs recherches.
Le fait que Gérard, de par ses liens familiaux, fasse en quelque sorte partie du corps diplomatique, facilita les échanges, et déclencha un véritable engouement. Les « époux » furent très sollicités. Chacun voulait recevoir le couple chez lui. Cela correspondait tout à fait au but recherché par Gérard. Sa parfaite connaissance du milieu diplomatique lui était, dans ce cas-là une aide précieuse.
Tout le gratin de la capitale était présent. Quelques personnes venues de l'intérieur du pays, de Lambaréné… de Port-Gentil… de Masuku ou Franceville s'étaient même déplacées. Maggy et Gérard acceptèrent deux ou trois invitations et firent de vagues promesses à ceux qui leur semblaient sans grand intérêt.
Maggy ravie, était visiblement très à l'aise. Elle évoluait avec grâce, un peu comme si elle avait passé toute son existence dans cette ambiance. Il faut dire que le milieu diplomatique ressemble fort à celui de la banque. On y rencontre tout autant d'individus malhonnêtes, imbéciles, et incapables qu'ailleurs. Dans les deux groupes, on y parle « affaire », en permanence. Comme un poisson dans l'eau, elle était donc loin d'être dépaysée. Par contre Gérard, pour les avoir trop fréquentés, en avait une sainte horreur.
La journée s'acheva aussi bien qu'elle avait commencé. Vers 17 h, tout ce beau monde prit congé et l'ambassadeur tint à inviter le couple le soir même, en privé, dans sa propre maison. Gérard accepta, visiblement enchanté. Comme il le supposait, il se tramait quelque chose au Gabon. Et si la France était partie prenante, le diplomate devait être le premier au courant. Avec un peu de chance, il se laisserait peut-être aller à faire quelques confidences.
Cependant, le soir venu il fut atrocement déçu. Car même si l'ambassadeur savait quelque chose, il se garda bien au cours du dîner, de leur faire part de quoi que se soit. Comme il était hors de question de dévoiler leurs projets, le couple s'en retourna à l'hôtel, sans rien avoir de plus à se mettre sous la dent. Ils promirent simplement à son excellence, de lui rendre une dernière visite avant leur départ.
Ils passèrent le jour suivant, à traîner dans le quartier français. Allant de bar en bar, ils jouaient la comédie du couple en balade, affublé de tout l'appareillage du parfait touriste. Se renseignant sur les curiosités locales, les édifices à visiter, les deux amoureux offraient l'image irréprochable de vacanciers ordinaires.
Tout en faisant mine de se passionner pour la vie locale, ils se renseignaient sur les conditions de travail dans la région, et s'il y avait de l'emploi pour tout le monde. Ils apprirent ainsi que l'activité du port et de l'aéroport s'était considérablement développée depuis quelques mois.
De gros travaux avaient débuté près de Masuku et des convois ininterrompus entre la capitale et Franceville, sillonnaient le pays de jour comme de nuit. De l'avis général, d'énormes caisses de matériel en tout genre transitaient par la capitale.
De toute évidence, ils avaient trouvé ce qu'ils étaient venus chercher ! Ils décidèrent donc de passer encore quelques jours à Libreville même, pour ne pas attirer l'attention. Ils pensaient surtout, qu'il était imprudent de se rendre directement à Franceville.
C'est Maggy qui, de nouveau trouva la solution. Au nombre des invités du dimanche, était présent un certain Paul Guérin. En plus d'être fat et vaniteux, celui-ci était aussi propriétaire de plusieurs agences immobilières. Il faisait partie de la liste des gens qui les avaient invités.
Delpierre s'empara du bristol et composa le numéro d'appel.
-- Monsieur Guérin ? Ici Gérard Delpierre. Nous nous sommes rencontrés, lors à la réception de l'ambassadeur, dimanche dernier. Vous souvenez-vous de moi ? Nous avons l'intention de profiter le plus longtemps possible des charmes du pays. Aussi, nous avons pensé, ma femme et moi, qu'une location saisonnière de deux à trois mois, serait idéale et nous permettrait ainsi, de recevoir à notre guise.
Si un de vos employés pouvait nous seconder et nous conseiller dans nos recherches, nous gagnerions un temps précieux. Il va de soi, que nous prendrons à notre charge toutes les dépenses engagées et ceci bien sûr, quelque soit le résultat de notre prospection…
Nous vous en serions reconnaissants cher monsieur, mais nous ne voulons absolument pas vous déranger. Si votre emploi du temps est trop chargé, nous ne voudrions en aucun cas le perturber.
Evidement, si vous insistez, nous serions ravis. Et croyez-moi mon Cher Paul, que nous resterons vos éternels débiteurs !
Maggy qui avait comprit à demi-mot le sens de la conversation le traita d'artificieux et d'hypocrite, tout en se moquant de lui.
-- Eh bien, tu en as fait des boniments pour arriver à tes fins ! Mais tu aurais pu nous éviter la corvée de supporter le personnage, pendant nos recherches ?
-- Je sais. Ce sera loin d'être une sinécure. Mais au moins, notre couverture n'éveillera pas les soupçons. Il va faire courir le bruit, qu'il cherche un nid pour les deux « tourtereaux ricains », comme il nous nomme déjà !
-- Tu avoueras que ce prétexte est quand même meilleur que celui que tu voulais utiliser à notre départ, et qui consistait à te servir bêtement de ta carte de presse ! Je reste persuadé que nous en apprendrons beaucoup plus avec ce procédé.
Bonne joueuse, Maggy reconnut sa défaite. Malicieusement elle ajouta un petit commentaire.
-- Tu as parfaitement raison, Darling ! Aussi je te laisserai le choix et l'initiative de la conversation, si conversation il y a ! Elle s'esquiva précipitamment vers la salle de bain, pour éviter la répartie de son compagnon. Sa voie étouffée lui parvint à travers la porte.
-- Et le départ de cette tournée idyllique est prévu pour quand ?
-- Demain à l'aube ma chérie. Tu pense être prête pour neuf heures ?
Heureusement, le ruissellement de la douche lui évita d'entendre la réponse.
Jeudi, à neuf heures du matin, Paul les attendait dans le hall de l'hôtel. Gérard et Maggy étaient prêts. Leur cicérone, fanfaron mais ponctuel, les reçut avec un sourire sympathique. Il fallait au moins lui accorder ce mérite. Il remonta aussitôt d'un cran dans l'estime que le couple lui portait.
Il leur proposa, pour ce premier jour de coopération, de leur montrer quelques propriétés situées près de la ville. Trop proches selon lui des quartiers populaires, elles ne devraient pas retenir leur approbation.
Ils ne pouvaient qu'être d'accord, Guérin étant « l'homme de terrain ».
Effectivement le soir venu, ils se rendirent compte, deuxième bon point pour lui, que son jugement n'était pas usurpé. Ponctuel et professionnel ? Sa côte de popularité montait rapidement.
Avant de se séparer, Paul Guérin leur préconisa de quitter leur hôtel lundi. Il leur proposait de passer le week-end à se reposer et à récupérer. Il leur offrit d'aller chercher la voiture qui les attendait chez « Europcar ». Il était prévu de partir avec deux véhicules. En bon spécialiste qu'il était, il avait parfaitement planifié leur itinéraire, pour en faire une virée complète à l'intérieur du pays.
Incontestablement, il gagnait à être connu. Lorsqu'il parlait boutique, l'impression négative qui lui collait à la peau depuis la Garden Partie diplomatique, s'estompait comme par enchantement.
Le lundi matin Paul, toujours aussi précis qu'à son habitude, assis au bar de l'hôtel devant les restes d'un solide petit déjeuner, les attendait pour définir ensemble leur périple. Il avait d'ailleurs parfaitement tout organisé, décortiqué, minuté. Le parcours, le restaurant, l'hôtel… rien n'était laissé au hasard, ce qui épargnait pas mal d'hésitation.
Ils se trouvaient en quelque sorte embarqués dans une sorte de voyage organisé, contrairement à tous ces circuits déstructurés pendant lesquels, les participants redoutent le terminus. Dans ce cas précis, pour le couple, le but ultime de l'excursion, était justement le terminus, Franceville.
La visite concernait Lambaréné, Port-Gentil, Moanda et enfin pour finir Masuku…Ils avaient visité une quinzaine de propriétés, toutes aussi belles les unes que les autres et honnêtement le choix était vraiment cornélien !
Les plus intéressantes, trois grandes résidences de Port-Gentil, étaient absolument époustouflantes de beauté. Mais ne voulant pas s'éloigner de leur objectif, Gérard jeta son dévolu sur une propriété plus modeste située à la périphérie de Franceville.
Afin de justifier sa décision, voyant que le quartier était moins peuplée que Port-Gentil, il prétexta qu'un endroit plus calme leur permettrait de mieux se reposer. Leur guide fit semblant de les croire à demi-mot.
Il pensait plutôt à un problème d'argent, mais sans pour autant le leur faire ressentir, en parfait homme de l'art, qu'il était. Après tout, il faisait tout de même une très bonne affaire. Et tout le monde était content.
Tout au long du parcours, Paul leur confirma que les files de camions qu'ils croisaient sur la route Libreville/Franceville, et Port-Gentil/Franceville avaient toutes, d'après lui, un rapport avec les grands travaux entrepris par le gouvernement Gabonais. Les ouvrages étaient financés par des crédits Européens, ce qui était excellent par ailleurs pour ses affaires.
-- Nous avons eu beaucoup de chance, déclara-il, de trouver encore libre, quelque chose de convenable. Gérard comprit qu'effectivement ce n'était pas qu'un simple argument commercial.
Bien que plus modeste que celles de Port-Gentil, la location avait une surface au sol de deux cent cinquante mètres carrés, disposés sur deux étages, avec un parc de trois hectares et demi. C'était déjà très bien pour une maison de vacances.
De bonne facture, elle possédait tout le confort. Entièrement meublée, le linge de maison était remplacé à chaque changement de locataire. Située à l'écart des mines de manganèse et d'uranium, loin du chemin de fer, et guère éloignée de la ville, Masuku ou Franceville était une ravissante capitale universitaire de province et l'endroit était vraiment parfait pour un couple de jeunes mariés.
Tenant à prendre une nuit de repos avant de faire les cinq cents kilomètres de retour sur la capitale, Paul resta la soirée du vendredi avec ses clients. Se transformant en guide touristique pour l'occasion, il leur fit les honneurs de la localité.
Après leur avoir certifié qu'il enverrait tous les papiers nécessaires au contrat et empoché les traveller's checks, prouvant qu'on pouvait être homme du monde et néanmoins homme d'affaires, Paul les abandonna le soir venu, dans leur nouvelle habitation.
Au matin, il leur rendit une dernière visite, s'inquiétant pour savoir si l'acquisition leur convenait et devant leur affirmation, il les quittât en leur souhaitant un bon séjour.
Le repos auquel Maggy et Gérard aspirait, était cette fois bien mérité. Ils venaient d'avaler, pas loin de mille cinq cents kilomètres en cinq jours. Avec en plus la chaleur, les routes endommagées par les convois sur la N3, la promenade n'était vraiment pas une simple ballade de santé.
Le 4 X 4 Land Rover qu'ils avaient loué, n'était pas du luxe. Il leur fallut deux jours pleins pour se remettre sur pied.
Le couple ne commença ses investigations que le lundi. Tous les deux jouaient parfaitement leur rôle d'amoureux, très épris l'un de l'autre. La situation ne leur demanda que peu d'efforts. Dans le passé, leurs missions communes n'avaient guère dépassé le stade de la semaine. Leurs relations n'avaient jamais eu le temps d'évoluer.
Cette fois-ci, cela faisait déjà presque un mois qu'ils travaillaient ensemble et déjà, ils se comportaient comme un couple, beaucoup plus au sens propre, qu'au figuré d'ailleurs. Conscients du fait que leur relation évoluait plus sérieusement qu'autrefois, ils ne semblaient pas s'en plaindre. Emportés par un bizarre sentiment de griserie, la situation n'était point pour leur déplaire.
La petite commune de Franceville se prêtait parfaitement à une escapade amoureuse.
Ressemblant à une ville de province Française, elle s'étageait entre collines et montagnes. Le climat n'était pas aussi étouffant que dans le reste du pays. L'inhumation de l'ex-chef de l'Etat était terminée, la petite cité, tranquille et hospitalière avait retrouvé son calme.
Il y faisait bon vivre. Le Campus de l'U.S.T.M (Université Scientifique et Technique de Masuku), était une curiosité locale avec sa roche véritable relique du passé, datant, de l'âge de la formation de la terre, ayant paraît-il, plus de trois milliards et demi d'années, ce qui constituait une des principales attractions de la ville.
Franceville était une cité prospère, accueillante avec des rues larges et dégagées, n'ayant aucun rapport avec les avenues fourmillantes et grouillantes de la capitale. De nombreux étudiants, en provenance d'autres pays Africains, venaient gonfler cette petite communauté urbaine.
Les constructions immobilières sortaient de terre un peu partout, surtout en périphérie de la ville et un bon nombre de nouvelles sociétés s'installaient progressivement en fonction de cet essor rural exceptionnel.
Il y avait presque un mois que Gérard et Maggy étaient arrivés à Franceville.
Ils avaient trouvé le site qui les intéressait. Derrière la vallée qu'occupait Masuku, une autre cuvette s'étendait sur une dizaine de kilomètres carrés. Les travaux allaient semblait-il, bon train.
Ils ne purent s'en approcher. D'une part, ils ne voulaient pas se faire remarquer, et d'autre part l'accès, bien entendu interdit, était même gardé de jour comme de nuit.
Le simple fait que ces ouvrages soient surveillés en permanence, semblait indiquer que cette activité présentait un intérêt tout particulier. Le vol ne faisait pas encore partie des coutumes locales.
Les constructions qui sortaient de terre, faisaient penser aux structures d'une ville émergente.
L'architecture plutôt avant-gardiste, semblait s'enraciner profondément dans le sol. La future ville s'élevait en hauteur. Mais elle paraissait également s'étaler dans le sous-sol… un peu à la manière de certaines villes Canadiennes, dans desquelles les gens, lorsque l'hiver est trop rigoureux, vivent enfouis sous terre. Ils prirent quelques photos.
Pourtant celles-ci ne leur apprirent rien de plus que l'observation visuelle, si se n'est le fait qu'elles confirmaient l'hypothèse d'une ville naissante.
Delpierre en arrivait à ne plus rien comprendre du tout. Et Maggy, pourtant si perspicace d'habitude, y perdait aussi son latin.
Aucune trace de ce silo qu'ils espéraient tant trouver. S'étaient-ils fourvoyés en privilégiant la piste d'une Banque de cellules enfouie dans le roc? Ils avaient beau s'échiner, examiner les images agrandies, ils ne voyaient nulle trace de centre cryogénique sur les clichés. Maggy, ne s'avouant jamais vaincue, objecta à juste titre :
-- Ce n'est pas parce qu'une chose ne se voit pas, quelle n'existe pas… jusqu'à preuve du contraire !
Je dirais même plus… la curieuse tendance du site à s'enterrer anormalement, pourrait bien cacher ce type d'appareillage. Et au contraire, l'enfouissement pourrait même être un atout ! En sous-sol, la température baisse. A moins cinquante mètres, elle ne doit pas dépasser huit à dix degrés. Et avec une bonne VMC, ou ventilation mécanique contrôlée, le matériel cryogénique ne devrait absolument pas souffrir. Au contraire, il devrait se trouver en condition optimum de fonctionnement.
Intérieurement, Gérard bénit la bonne idée d'avoir embarqué Maggy dans cette aventure ! Son enthousiasme et sa bonne humeur motivaient les recherches. Quand toutes les pistes semblaient coupées, elle avait toujours ce déclic, lui permettant de rebondir.
Les photographies ne leur apprenant rien de plus, ils décidèrent de poursuivre leur enquête auprès des ouvriers du chantier. Ces Gabonais de Franceville devaient certainement, devant une bonne bouteille, se laisser aller à quelques confidences.
Mais, quelques jours passés en leur compagnie dans les bars de la ville, ne leur apportèrent rien non plus. Pour eux, ce qu'ils construisaient n'était qu'un ensemble de bâtiments, avec un aspect un peu plus moderne qu'à l'accoutumé rien de plus.
Ils concentrèrent alors leur enquête sur les techniciens. Les Européens et Gabonais ne fréquentaient pas les mêmes endroits. Ils côtoyaient surtout les brasseries et pubs de la cité. Les amener à des confidences, allait demander plus de doigté.
Après les avoir observé quelques temps, et épié des conversations qui se déroulaient en français, durant lesquelles il y était surtout question de froid commercial et industriel, Gérard se hasarda.
-- Quelle chance nous avons ! Faire tant de kilomètres, pour tomber juste sur des Parisiens… Il s'exprimait dans la même langue que la leur, mais avec un fort accent du faubourg. Il s'avança la main tendue.
-- Gérard Delpierre... Ma femme Maggy... Nous sommes ravis de rencontrer des compatriotes, dans ce trou perdu.
Il avait eu le temps d'entendre les plaintes de quelques-uns d'entre eux.
Dans un ensemble parfait les cinq personnes attablées se levèrent à l'approche de Maggy et la saluèrent.
-- Des touristes français, ici ? On vous croyait tous repartis après les obsèques du président… de peur sans doute des problèmes dus aux futures élections ?
-- Nous ne sommes pas des vacanciers comme les autres, reprit Gérard, mon père est diplomate français à Washington. Il a bien connu le président défunt, mais il n'a pu se libérer de ses obligations pour venir à l'enterrement. Comme nous devions partir en voyage de noces en Afrique ma femme et moi, il nous a délégués pour le représenter auprès de la famille Bongo.
-- Et nous en profitons pour visiter le pays, surenchérit Maggy… Ce qui explique notre présence en ces lieux. Ils échangèrent quelques banalités, et très vite le courant s'établit entre les deux groupes. Après deux ou trois jours de fréquentation, ils en arrivèrent au tutoiement, surtout avec un dénommé Luis Vargas, plus curieux que les autres.
-- Dis-moi Gérard, comment connais-tu si bien Paris, alors que tu as passé toute ta jeunesse en Amérique?
-- Mon père a tenu a ce que je fasse trois ans de fac à la Sorbonne, car mon anglais était meilleur que mon français. Comme je rencontrais très souvent des étudiants du cours Raspail au cours de mes virées dans le quatorzième arrondissement, c'est d'eux que je tiens ma connaissance approfondie de la Capitale.
-- Et depuis, je me partage entre Paris et les Etats-Unis. Et vous, qu'est-ce qui vous a amenés ici ? Un voyage professionnel de fin d'année ?
-- Non, on bosse ici, nous construisons une véritable usine à gaz.
Nous ne comprenons pas trop d'ailleurs, ce qu'elle représente. Car si on n'installait ici que du froid commercial, on comprendrait, ce serait normal.
-- Mais en plus de la climatisation, et de l'installation de chambres froides, on nous demande de créer en sous-sol, d'énormes installations de froid industriel. Nous ne comprenons vraiment pas pour quel usage !
-- Pour couronner le tout, les électriciens employés sont vraiment au top, car toute l'alimentation est d'origine solaire. D'ailleurs, une centrale solaire est en construction au nord de la rivière N'Passa et à l'ouest des plateaux Batéké, elle est presque terminée, c'est en outre, une première mondiale, passé la voir, elle vaut le coup d'œil.
-- Les cavités d'anciennes mines de manganèse abandonnées, sont utilisées pour y installer leur matériel ! Une partie du froid industriel de la nouvelle ville fonctionne déjà. Il est branché momentanément sur la centrale de Franceville.
-- Mais pour la suite, lorsque tout sera prêt, l'ensemble sera basculé sur l'installation solaire. Celle de Franceville ne sera pas assez puissante, pour subvenir à l'ensemble des appareillages. En tant qu'un des plus bavards, Luis Vargas était intarissable.
-- Les gabonais qui bossent sur le site ne comprennent pas non plus, ce qui se passe. Ils pensent qu'il s'agit d'une excroissance de la ville en vue de décentraliser la capitale.
La question qui brûlait les lèvres de Delpierre était de savoir qui était ces « ils », mais il ne pouvait pas la poser ouvertement. C'est encore Maggy, qui lui vient en aide.
-- Et les vacances, c'est pour quand ? Vous devez bien rentrer de temps en temps ?
-- Oui, tous les trois mois. Nous travaillons un mois et nous avons ensuite un mois de congé. Nous en avons pour plusieurs années de boulot.
Le job est très bien payé, mais en échange, durant ces congés, il nous est interdit de parler de notre travail.
-- Les journalistes seraient trop ravis d'apprendre la nouvelle. Et ils ne tarderaient pas à rappliquer pour savoir ce qui se passe.
-- Les architectes et les maîtres d'œuvres, rentrent-ils plus souvent ?
-- Non. Ils sont à la même enseigne que nous. Et ils sont tenus à la même discrétion. Seuls les maîtres d'ouvrages, c'est-à-dire les commanditaires… qui se nomment eux-mêmes le « GF9 » allez savoir pourquoi… vont et viennent à leur guise.
-- Ils nous boostent sans cesse pour faire avancer les travaux, sous prétexte que les premières cellules doivent arriver prochainement.
D'ailleurs, on se demande bien de quelles cellules ils parlent !
-- Pour moi, il s'agirait d'un centre expérimental de recherche scientifique sur des manipulations de cellules de plants OGM. Cela expliquerait tout ce froid… et la ville que l'on construit dessus, pour loger le personnel et les familles…
-- Elle pourra en effet, accueillir au moins dix mille personnes. Cela seul justifierait le black-out que l'on nous impose !
Ce jour là, une fois rentrés chez eux, Maggy et Gérard reconnurent que les techniciens avaient relativement bien résumé la situation.
Par contre, le chercheur qu'ils avaient rencontré la semaine précédente, ne leur fut d'aucune utilité. Si l'approche des frigoristes avait été aisée, avec lui ils avaient fait chou blanc. Ce mec était une tombe. Il était même très soupçonneux.
A peine quarante-huit heures après leur rencontre, il fuyait déjà le couple comme s'il avait eu la peste. Nos deux journalistes en arrivaient à se demander s'ils n'avaient pas été démasqués.
Vers la fin du mois d'août, ils eurent la confirmation de leur soupçon. Les frigoristes, eux aussi semblaient leurs tourner le dos. Il n'était plus question de traîner dans le coin. Ils décidèrent donc de plier bagages. De toute façon, ils en savaient assez. Ils sentaient qu'ils ne pourraient plus rien tiré des ouvriers du chantier.
Le samedi 30 août, ils prirent la route pour Libreville. Ils avaient cinq cent douze kilomètres à faire, avant de se replonger dans l'enfer tonitruant de la capitale. Vers midi, ils avaient retrouvé les rues encombrées et surchauffées de la ville.
En début d'après-midi, ils se présentèrent à l'ambassade. Ils appelèrent le deuxième secrétaire, prétextant qu'ils ne voulaient pas déranger l'ambassadeur. Ils lui demandèrent d'excuser leur départ précipité. Maggy avait reçu de mauvaises nouvelles de son père et ils étaient inquiets pour sa santé. Ils devaient trouver, le plus rapidement possible, un vol pour les Etats Unis, via Paris.
Le deuxième secrétaire, tenant absolument à faire du zèle et à leur rendre service, leur proposa de les recevoir chez lui, pour qu'ils puissent se restaurer et se reposer quelques heures. Il se ferait même une joie de les conduire ensuite, à l'aéroport.
Les vols pour la France décollant au milieu de la nuit, il se chargeait de leur trouver deux places dans le premier vol pour Paris.
Gérard était assez fier de lui. Il savait par expérience que le premier secrétaire était celui qui remplaçait en « toutes » occasions l'ambassadeur. Par contre, le deuxième secrétaire, chargé de toutes les corvées du week-end, n'était en principe, « jamais » dans le secret des dieux. C'était la dernière roue du carrosse en quelque sorte.
Leur départ ressemblait plus à une fuite qu'à un retour de voyage de noces. Il était probable qu'ils avaient été repérés à Franceville. Heureusement, leur absence de Masuku ne serait pas remarquée avant lundi ou mardi.
Et éventuellement, même si l'ambassadeur était lui aussi, dans la confidence de ce qui se tramait à Franceville, il n'apprendrait leur départ, que lundi en fin de matinée.
En ce qui concernait Paul Guérin, Gérard ne pensait pas qu'il était dans le coup. Mais, lui rendre les clefs de la résidence dans l'après-midi, risquait de l'alerter. En parler, même innocemment, pouvait compromettre leur retour. Gérard décida de remettre le trousseau au secrétaire, juste avant de prendre l'avion. Il n'y aurait donc à ce moment-là, qu'une seule personne au courant de leur départ.
A chaque guichet, une file impressionnante de voyageurs se pressait.
L'aéroport était noir de monde. Plusieurs guichets ne prenaient même plus de réservation. Tout était complet. Les vacances touchaient à leur fin. Beaucoup de gens rejoignaient la France.
Maggy commençait à s'inquiéter. Elle glissa à l'oreille de Gérard.
-- Tu es sûr que l'on pourra partir ?
Gérard sur le même ton lui répondit : Ne te tracasse pas. Regarde plutôt ce qu'est capable de faire la « diplomatie Française » en action.
Le deuxième secrétaire avait remonté la file d'attente jusqu'au guichet. Accompagné d'un porteur chargé de leurs valises, il présenta à l'employé sa carte de corps diplomatique et demanda à parler au responsable des réservations. Il interrogea ce dernier à voix basse… lui tendit les deux tickets…
Le responsable s'en empara, s'éloigna… et revint au bout d'un quart d'heure, avec les deux billets. Le deuxième secrétaire rejoignit le couple et l'entraînant à l'extérieur, dit d'un ton tranquille :
-- Evitez de vous montrer jusqu'à l'embarquement. Et surtout ne parlez à personne, même dans l'avion, de la manière dont vous avez obtenu vos cartes. Deux voyageurs vont chercher à savoir pourquoi leur vol a été reporté à demain soir.
Votre embarquement est prévu pour dans trois quart d'heure environ, et votre départ pour zéro heure trente. Vos bagages ont été enregistrés. Essayez d'être parmi les premiers à la porte, lors de l'embarquement.
Je me chargerai personnellement de rendre clefs et voiture à M Guérin. Je vous souhaite un bon voyage et un prompt rétablissement au père de Madame.
Il leur serra la main et s'éloigna sur le parking.
- Tu appelles cela de la diplomatie ? Moi je parlerai plutôt de réquisition !
-- Plains-toi, Maggy ! C'est peut-être la première fois de ta vie que tu as été confondue, avec une « valise diplomatique » !
-- Il me reste à espérer que se soit la dernière !
Delpierre, bien que cherchant à prendre la situation à la légère n'en demeurait pas moins encore, assez nerveux. Maggy lui en demanda la raison.
-- C'est simple. L'aéroport n'est pas très grand. Et en cette soirée de fin du mois d'Août, nous assistons au grand retour… soit celui qui concerne les Gabonais, soit celui des derniers touristes pour Paris. Le risque d'apercevoir des têtes connues n'est pas à négliger. Nous ne serons vraiment tranquilles que dans l'avion.
Ils évitèrent le bar, la cafeteria et le restaurant, tout en surveillant l'entourage, ils restèrent à l'abri des regards, derrière un pilier d'angle de la grande salle, loin du bar, des toilettes et de la porte d'entrée.
Delpierre ne pensait pas qu'ils étaient vraiment en danger. Mais au cours de ses enquêtes, il avait appris à être prudent. Deux précautions valaient mieux qu'une.
A l'heure dite, ils se présentèrent à la porte, en exhibant leurs cartes d'accès.
Il restait un dernier obstacle à franchir : le service de police ! Mais en cette date de grand retour, Delpierre comptait sur la nonchalance des fonctionnaires. En effet, ceux-ci ne jetèrent qu'un vague coup d'œil sur leurs identités et sur leurs papiers.
Finalement, ils furent enfin invités à poursuivre leur route.
L'avion partit à l'heure prévue. Et ce n'est que lorsqu'il quitta enfin la piste, que les deux voyageurs purent se détendre complètement. Une demi-heure plus tard, ils dormaient à points fermés.