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Lisbeth. Dimanche 2/10/2011, Suite du stage.
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Le dimanche matin se passa en confessions analytiques. J’entendis les sons de cloche de chaque malheureux. C’est fou ce que les êtres humains peuvent avoir vécu d’évènements incroyables dans leur enfance. A croire qu’ils le font tout exprès pour alimenter le fond de commerce des Parsant et C°.
Lorsque vint mon tour, je parlais de mes migraines, exposant donc ainsi, le pourquoi de ma venue. Mais aucun des participants n’étant migraineux, je n’avais pour eux, QUE des maux de tête, de temps en temps. Pas de quoi fouetter un chat face aux drames vécus par les autres. Frank Parsant ne vint pas à mon secours. Au contraire.
Les consignes disaient de se vêtir sport. J’avais mis, (c’est un détail mais il est important de le préciser), le seul jogging propre qui me restait. De couleur bleu pâle, assorti à mes baskets mauves et à un tee shirt rayé bleu et blanc, je me sentais clean.
Hélas, lorsque je commençais à parler de mes problèmes, les « Maîtres » me coupèrent la parole, pour me faire remarquer, d’un commun accord, que je faisais un peu chochotte.
-- Si tu recherches le raffinement avant tout, pas étonnant que tu somatises avec des douleurs de crâne. Sois plus à l’écoute de toi-même et de ce que tu as dû subir dans ton enfance. Tu es à peine adulte et tu fais encore attention à coordonner des vêtements de fillette.
Je leur demandais aussitôt si, en m’habillant en sombre, j’aurais moins mal à la tête. L’impertinence ne leur plut pas. Ils en profitèrent pour me mettre tout de suite à contribution de façon énergique. Heureusement, les participants ne semblaient pas partager leur hargne. Ils la mettaient sur le compte de la « recherche d’efficacité » en vue de traitement.
Et quel traitement !
Partagés en deux groupes, nous nous sommes attaqués, dans l’après-midi, à la thérapie proprement dite. La première moitié se coucha sur des tatamis, la deuxième, dont je faisais partie, s’agenouilla à la tête des patients pour prendre le rôle des psychothérapeutes.
Nous comptions « un, deux, trois ». Nous claquions des mains, et nous n’avions plus qu’à écouter dégoiser les malades, sans jamais les couper, sauf pour les encourager à continuer dans leurs délires à se tortiller ad vitam.
Sournoisement, Frank m’avait donné comme patient, un charmant jeune homme d’une vingtaine d’années. Il savait ce qu’il faisait. Moi pas. Au début, tout se passa correctement.
Il parlait. Je répondais d’un ton paterne, comme le faisaient les thérapeutes : « Oui. Et ensuite? »
Mais très vite, je m’aperçus que, malgré ma voix doucereuse, le garçon prénommé Serge, commençait à s’énerver terriblement. J’espérais que les consultants allaient s’en apercevoir et viendraient à mon secours. Mais pas du tout. Serge s’agitait de plus en plus. Et puis sans coup férir, brutalement, il me prit à la gorge, me serrant le cou à m’étrangler, en hurlant :
-- Je t’aurais salope. J’aurai ta peau.
Je cru mourir asphyxiée. Dégagée in extremis par les deux Parsant et un appariteur musclé dont je découvris le rôle à cette occasion, je m’effondrais dans le recoin le plus reculé de la pièce en regardant les trois hommes maîtriser à grand peine l’échevelé.
Un peu plus tard, le débrifing m’apprit que Serge qui, tout à fait calmé, écoutait en souriant son histoire, avait un grand contentieux avec sa mère, blonde aux yeux verts, mon portrait tout craché, en plus âgée. C’est pourquoi, il avait été décidé en haut lieu de me le confier pour pousser le rappel douloureux de son enfance au maximum.
J’essayais, sans résultat, de dire qu’il avait manqué me tuer. On évacua le dilemme en répondant que les thérapeutes étaient là au bon moment pour me sauver. J’étais vivante? Non? Et c’était bien la preuve que je n’avais pas été étranglée ?
Par contre Serge avait pu régler une partie de ses problèmes enfantins, grâce à ma présence. J’aurais dû me montrer fière et reconnaissante d’avoir été choisie pour le faire profiter de ce bénéfique éclaircissement thérapeutique. En effet, l’ensemble des adeptes convaincus, me précisa :
-- Tu sais bien que nous occultons les pièges accumulés dans notre enfance et qui nous tiennent pourtant terriblement à la gorge. Je rajoutais in petto : « Et même en ce qui concerne Serge, à la mienne aussi ».
Les Professeurs exposèrent alors la théorie, de façon plus complète qu’ils ne l’avaient fait jusqu’à présent : « l’être humain n’a pas de nature, mais une histoire ». Cela veut dire qu’il
est tributaire de son passé. Chaque instant est le produit d’une rencontre entre la totalité de son expérience et une « réalité » dans laquelle le passé découpe ce qui lui correspond et lui convient. C’est sur ce découpage qu’il base une signification qui va déterminer ses actions. J’aurais voulu qu’ils ajoutent : « Et vice versa ».
J’étais quand même éblouie. C’était bien par ce discours, si proche de ma pensée, que les Parsant m’avaient intéressée dès le début. Je pris la parole pour leur dire mon admiration totale.
J’en profitais en même temps, pour aller plus loin dans leur dialectique, surtout pour ce qui parlait de fatalité : « Nous serions donc déterminés par notre enfance ? » Par l’éducation erronée que l’on nous dispense à tort. Emportée par mon dynamisme, je m’écriais :
-- Oui et non. En effet, c’est bien moi qui décide dans le présent de ce que je ressors de ces mémoires et dans quel état. Là, je suis d’accord avec vous. Mais cela ne sert à rien de vouloir me souvenir du passé, puisque je le transforme à mon gré, en ne choisissant que les fiches mortes confirmant mon attitude du moment.
Lorsque vous dites que : « Chacun de nous sait ou devine qu’il vit le présent en fonction de son passé », c’est tout le contraire. C’est moi qui vais chercher dans mes mémoires ce qui va créer mon instant présent.
Une fois de plus, ce n’était pas la bonne réponse ! Je m’en rendis compte tout de suite. Le regard de « Maurice Parsant père » n’était pas amène. Gênés les participants regardaient ailleurs, cherchant à ne montrer aucun intérêt particulier pour mon affaire.
Pendant cinq minutes nous luttâmes pied à pied. En vain. Je ne réussis pas à leur montrer que leur doctrine ne tenait pas debout, puisqu’on retourne dans « LE » passé qu’on se choisit pour et par l’instant.
Voilà pourquoi, lorsqu’on est en pleine forme, on ne se souvient pas des incidents malheureux. Et recto - verso. Je ressortis l’histoire du Prix Nobel dépressif. Les Parsant se cramponnaient à l’idée que sous relaxation profonde, l’individu parvenait au nœud gordien de son malaise, de ses échecs, de ses souffrances.
J’étais obligée de reconnaître qu’ils avaient raison sans doute sur ce point. Je me souvenais de la sensation de froid sur mes épaules de toute petite fille, abandonnée dans une pièce vidée par le déménagement en cours.
Dans ce souvenir, étais-je arrivée directement dans ma Mémoire Bibliothèque, pour atteindre un passé pur tel que je l’avais vraiment vécu ? Pourquoi pas ? Mais alors, à quoi ça sert ? A part replonger, encore et encore, au hasard, comme en psychanalyse et enfoncer le bouchon de plus en plus dans la merde pour mettre des photocopies déprimantes dans toutes les Mémoires.
De cette façon, chaque fois qu’on veut un élément pour comparaison, on tombe toujours sur une de ces vilaines images inventées qui, recopiées à l’infini, nous pollue la tête. Ce qui serait le contraire du but recherché !
Mais quel est-il en fin de compte ce fameux but ? Sur quoi se baser pour juger enfin de l’irrationnel ? Je me souviens de ces moments incernables situés à cheval sur une simple décision arbitraire. Ces soirées de théâtre, par exemple où j’arrivais pour jouer devant deux cents personnes, avec une grippe de quarante de fièvre, mal partout, prête à m’évanouir. A peine les trois coups frappés, j’étais guérie. J’oubliais toute douleur jusqu’à ce que le rideau s’abaisse une dernière fois sur les applaudissements de rappel. A partir de cet instant, j’étais de nouveau presque mourante, et je rentrais chez moi en me demandant si je n’avais pas rêvé !
Même combat au sujet de ces migraines que j’arrivais à maîtriser juste le temps d’arriver à la pharmacie pour acheter de l’aspirine ?
Oui, le pouvoir de l’esprit est fantastique ! Mais qui dit de façon « précise » que c’est le pouvoir de l’esprit qui se manifestait là ? C’est peut-être une onde extérieure à moi qui me drive ? Ou mon ange gardien « Elias » ou tout autre personne, ou un zéro de première qui prend les choses en mains, sans que je m’en mêle, ou un extra terrestre, ou le chat, ou l’hystérique de Janet ?
Je n’aime ni le flou, les mystères, le paranormal, la psychanalyse, les hochements d’épaule, les explications foireuses, les affirmations contradictoires, sauf pour leur sauter dessus et essayer de les cerner. Or que disent ces fameux Parsant ?
Ce qu’ils racontent est très intéressant, mais j’aurais voulu qu’ils écoutent aussi mes propres propos. Leurs théories et la mienne ne sont pas incompatibles. Il était intéressant de les confronter. Hélas ma défense ne fut pas étudiée. Il n’y a pas que l’hypnose légère sur terre que diable pourtant ! Tout le monde n’a pas la joie d’être soigné par des psychothérapeutes de valeur comme eux.
Heureusement, car grâce à ma méthode, tout un chacun peut se traiter seul. Au mieux, il peut se faire aider par mon fascicule de positionnement instantiel, et se fabriquer une I.A.P. Je dis bien « au mieux » et en plus à tout moment, sans l’aide de personne ! C’est quand même plus simple ? N’est-ce pas ? Et moins cher !
Je cessais finalement de discuter. Quelque part, ils avaient raison. Mes migraines ne peuvent pas se guérir, puisque je refuse de plonger dans mon VRAI passé à l’état brut qui pour moi n’existe plus. C’est alors de ma faute. Ils disent qu’une fois encore ma rébellion m’empêche de lâcher prise.
Mais, d’un autre côté, j’arrive jour après jour, à repousser, parfois péniblement, le spleen, la dépression et peut-être bien pire. Je ne voudrais rien faire qui puisse compromettre cet équilibre magique. Comme par exemple commettre la folie de m’appuyer sur un hypothétique retour à des sources passées, dont personne ne me garantit l’authenticité.
A la fin du week-end, nous sommes repartis pour laisser la place aux stagiaires suivants. Je rentrais sur Paris, dans la voiture de Gabriel. Sa femme était venue le chercher. Elle me força à prendre la place du mort. Elle se mit à l’arrière entre une amie qui l’avait accompagnée et Elisabeth cachée derrière son double.
De temps en temps, Gabriel me prenait la main en clignant de l’œil vers son épouse qui lui rendait sa grimace en serrant la main de son amie. Mais tout semblait normal pour tout le monde.
En mari triomphant de sa psychose, il avait dû raconter qu’il avait vaincu son démon et qu’il pouvait me serrer la main, sans honte, la tête haute. Nous avons croisé les nouveaux qui, chargés de leurs propres maux, nous faisaient des signes d’amitié.
J’avais envie de leur crier : Les fous, c’est par ici. Mais ils devaient le savoir. Il n’y avait que moi pour penser que la folie n’existe pas. Je ne l’envisage que comme l’acceptation de celui qui se reconnaît être malade, ou comme le jugement de celui qui juge l’autre comme étant fou. Ce n’est qu’une idée de moi sur moi et mon voisin…. Enfin si tu vois ce que je veux dire ?