L\\\'Enfant qui venait du futur

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Bess. Le Pays moco, lundi 19/09/2011

 

 

 

 

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            Je viens d’aller me coucher avec un mal à la tête terrible. Tous ces calculs concernant les différentes mathématiques floues, me font peur. Non pour ma survie personnelle, car il me semble que je navigue là dedans depuis ma naissance, comme dans du beurre. C’est si clair et si facile pour mon cerveau. Non, C’est en pensant aux autres que je commence à paniquer.

 

            A peine couchée, je me suis précipitée sur le récit familial de la Bastide, raconté par ma Granie. Cela m’a fait du bien de le relire. Je me retrouve encore une fois sur mon cher Faron, dans l’ambiance magique de mon enfance méridionale. Merci à la Providence qui m’a donné ce cadeau féerique. Je reprend la première page :

 

          --  Sur le Faron, cette montagne magique, commença Granie en épluchant des châtaignes, devant le feu de la grande cheminée de la Bastide, il n’y a pas que les Fées qui cohabitent avèque les héros des légendes.

 

          La célèbre conteuse, grand-mère des petits enfants groupés autour d’elle, attirait depuis longtemps une foule d’auditeurs avides de légendes inédites et insolites que le Mont avait inspiré. Le silence attentif s’installait alors pour une grande soirée.

 

          --  On trouve aussi, continua la récitante de sa voix claire, les autochtones mocos. Et pour avoir la nationalité moco, c’est pas difficile… Il suffit de parler avé l’assent, et té, tu es moco illico. Mais hélas, et très malheureusement, l’accent ça se perd de nos jours, avec l’Internet et la télé. Aujourd’hui, je vais vous faire un peu d’historique. Voilà l’affaire :

 

          Ici, attirés très vite par la réputation du coin, les voyageurs du monde entier ont afflué. Nous avons eu les Kermocos des Lices, les Fouchtifouchtras, friands du quartier de la Belle de Mai, les Bobos de la Garde, les Chtimocos de Siblas, les Yavolmocos de Claret, côté-Ouest-Sud-Sud-Ouest, et les Moscsirtalkis qui s’installèrent à la Tour Blanche, parce qu’ils avaient plein de monnaies dans les poches.

 

          Les uns prirent une situation de berger, d’autres celle de braves cultivateurs, comme mes ancêtres. Ils se construisirent des cabanes. Certains, si trèsse courageux firent des Batisses aux murs plus épais que mon « bras - du - coude - à -l’épaule ». On appela ces derniers, les Bastidans.

 

           Au milieu de toutes ces familles, il y en eut une qui s’installa sur le Rocher de l’Aigle Noir. On racontait beaucoup d’histoires sur cette Bastide de l’Aigle. Il y avait comme un sort. Du plus loin qu’on s’en souvienne, il n’y naissait que des filles.

 

          Et Boudiou, ne me faites pas dire que les petites n’avaient pas de père. Oh que si, elles

en avaient. Mais c’étaient toujours des « béléus d’estrangersses » venus du nord ou de l’autre côté des mers d’Azur. Au début, ils arrivaient en Vikings, Huns, Maures..  Puis ils débarquèrent comme Saxons, Italiens, Bretons, Basques, Savoyards… Venus pour un jour, ou juste pour une ballade, ils se rencontraient une gentille « Babie » et ils restaient alors pour toujours… en se l’épousant avé le beau Païsse.

 

          L’aînée de chaque couvée de filles de la Bastide de l’Aigle, prenait chaque fois le nom de Babette, Babe, Babé, ou Baillette qui veut dire bisou en langue provençale. On l’appelait aussi Bebette ou Mamzelle Bette lorsque l’enfant méritait des bouffes… Qu’on ne lui donnait jamais d’ailleurs. Parce que sur le Faron, les pitchounets, on ne les frappe pas. Même avé les plumes.

                                                                                                                                      

          On retrouve ainsi, au cours des représentations qui se donnent sur notre belle colline, ceux qui  ont reçu dans leur mémoire, le témoignage des époques passées. La créativité de chacun y fait assaut de beaucoup d’invention, autour des récit de leur pays lointain. A partir de ces bases qui sont le ferment même de l’humanité : « le voyage, la fête, l’effort vers l’harmonie, les retrouvailles, les racines, le souvenir des vies passées, la poésie, le rire, la joie de vivre »… se dresse l’histoire même de notre humanité.

 

          Notre aventure commence avec l’historique de ce coteau abrupt qui domine la ville de Tholon, appelée plus tard par les Romains Toulon. Peu de gens connaissent son aventure. Pourtant, elle forme le centre d’une multitude de contes inédits, racontés au début en provençal, cette langue d’OC, qui aurait pu devenir notre langue nationale, mais qui fut frappée d’un terrible maléfice.

 

          Car, lorsque Marguerite de Provence apporta sa province en dot, au Roi de France, elle  ne savait pas qu’elle allait tuer dans l’œuf, une langue mythique. Et alors, vers la fin du 19ème siècle, le français commence à se répandre dans  la population méridionale. Les nobles et les bourgeois qui ont les moyens de l’étudier, l’imposent comme langue officielle. Et le provençal, langage si pur, est assimilé à du patois.

 

          La mosaïque qui résulte du brassage devint, ce  que l’on peut appeler en effet un pittoresque « pataquès ». Non seulement l’accent s’instaura avec force, la plupart du temps,  mais de plus, les mots se mélangèrent, s’abattardirent… Les tournures de phrases et les particularités grammaticales originales continuèrent à se glisser dans le langage de tous les jours. On oublia le beau provençal de Mistral et on parla donc, désormais, Méridional ! Mais on ne l’écrivait pas, puisqu’en classe on punissait celui qui s’en servait. D’où la difficulté, lorqu’on veut le transcrire, de lutter contre les règles drastiques, quasi morales, imposées dès l’enfance. Et ce n’est pas fini. Même encore, à l’heure actuelle, la bagarre continue.

 

           Et enfin, comment écrire dans une langue qui n’a pas d’écriture officielle ? En effet, ce mélange hybride, désigné sous le titre de « Français régional de Provence »,   est réinventé, chaque jour, par chacun. Et à la limite, il n’a ni barrière, ni passé. Seulement un PRESENT. Essayons de le garder ? Hélas, c’est déjà trop tard. Le pays moco commence lui-même à parler soit le pointu langage de la télé, soit à répéter les termes banlieusards : Té bâtard, encuve ta mère…

 

          De toutes façons, les accents comme autrefois au moment des brassages, sont multiples. Le chinois, le turc, le portugais, l’arabe se répondent d’un côté à l’autre du cours Lafayette. Et qui peut dire vraiment que c’est moins bien ? Ce serait parfait si au milieu de toute cette musique, on pouvait encore entendre celle qui nous a bercés depuis le début des temps, la belle langue d’Oc.


19/09/2011
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