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Thomas. 2 Juillet 3009. 6h du matin.
Thomas. 2 Juillet 3009. 6h du matin.
Le bracelet de son IAP frissonne légèrement. Thomas se réveille. Il fait encore nuit. Brusquement, il réalise qu’on est mardi et que l’expédition extérieure, dirigée par Nathan, Ben et Praddy, l’attend au Centre de Contrôle. Il saute du lit et trépigne de joie, en tendant les bras vers la paroi bombée, et brillante d’étoiles, qui lui sert de plafond.
En un clin d’oeil, il est prêt. Il vérifie sur son bracelet-montre, son état général qui est, comme d’habitude, bon sur tous les plans. Il n’a pas besoin de passer au Contrôle quotidien de Psycho-physio. Ils sont au courant minute par minute. Il leur enverra un message plus tard pour leur expliquer son faux-bond de la matinée.
Devant le sas de passage vers l’extérieur, il retrouve toute l’équipe, déjà prête. Nathan, le responsable lui sourit. Il le connaît bien. Ce n’est pas la première fois que Thomas, toujours partant pour ce genre d’expédition, participe à une sortie.
C’est Valentin qui aujourd’hui seconde Praddy ce super pro chargé de tous les détails matériels : conditions de survie, organisation de la marche, du fléchage, du couchage, des rapports avec les conditions météo, la flore, les éléments climatiques, etc.
Quand à Val, Thomas l’adore. C’est un merveilleux animateur, drôle, plein d’idées. Ben, dit BD, est un Indien de pure souche, alors que Thomas à peine métissé, est blanc avec la peau mate. BD tient le poste de spécialiste flore et faune.
C’est un rôle important, car il est interdit de toucher aux plantes et aux animaux, sous peine de détruire l’équilibre écologique.
Cette consigne contrarie énormément Thomas qui est amoureux du moindre brin de vie, du ver de terre, au moucheron. A sa dernière sortie, il avait écrasé maladroitement une fourmi. Il en avait été malade pour trois jours.
La traversée du SAS se déroule de façon banale. La troupe vêtue de tenues et de « sur-combinaisons » style camouflage, les bagages et les appareils de contrôle passent rapidement au travers. Ils se retrouvent dehors, en même temps que le premier rayon de soleil. Le retour sera plus compliqué, à cause de la désinfection, et de la dé-stérilisation du matériel et des corps.
La première bouffée d’air naturel suffoque presque Thomas. Les odeurs, la brise caressante, le remplissent de surprise toujours renouvelée. La première image qui le frappe, est ce petit arbrisseau vivace, jaune et rouge, couvert de fruits noirs et verts. Il le contemple si souvent de l’intérieur de la cabine placée au dessus du SAS de sortie qu’il le connaît par coeur.
Pris d’amour, Thomas pour lui dire bonjour, appuie sur son tronc, sa main dont il a enlevé le gant.
-- Oh, non ! S’écrie Nathan… pour le principe seulement. Car il sait que le jeune garçon va passer son temps à tripoter à tour de bras, les herbes et les bestioles les plus repoussantes et souvent dangereuses.
Cette première journée est idyllique. La marche se fait dans des sous-bois, qu’ils n’attaquent au coupe-coupe, que s’ils n’arrivent pas à se glisser au milieu des ronces. Praddy choisit l’emplacement du camp pour la nuit, dans une sorte de clairière touffue. A eux cinq, ils installent le fil émettant des radiations répulsives autour de la tente.
Assis sur des nattes, ils entament une veillée autour d’une lumière artificielle ondulant à la manière d’un feu de bois. Ils boivent de l’eau, grignotent quelques barres chimiques énergétiques, nécessaires à leurs organismes et délicieuses au goût.
C’est alors que, dans le silence de la nuit, ils entendent un léger gémissement, sortant d’un buisson situé près de la barrière. On aurait dit le pleur d’un enfant.
-- Mon Dieu regardez, là-bas, s’écrie Thomas, en désignant une petiteboule de poils, bouger maladroitement, coincée par les branchages. Ils devinent un jeune lionceau qui ne cherche même pas à se débattre.
Le garçon a bondi, et avant toute interdiction il a pris le jeune animal dans ses bras. Le bébé lion cache sa tête au creux de son épaule. Thomas a une furieuse envie de l’embrasser.
-- Non. Je sais, il ne faut pas! Pas de sympathie. C’est trop dangereux pour mon équilibre et pour sa vie à lui. Juste un peu d’empathie… Et puis, il craque et se met à le dorloter, au grand dam de Ben.
-- Il a faim, dit Nathan, résigné. BD lui prépare une boisson ressemblant à du lait et fabrique une tétine avec les feuilles d’une sorte de séquoia exotique.
-- Tu sais, rigole Valentin… tu dois le laisser mourir, puisque sa mère l’a abandonné.
-- Et en quoi cela peut-il servir l’écologie, qu’il meure ? S’énerve Thomas.
-- Comment vas-tu faire, lorsque nous reviendront en Ville ? Insiste Nathan.
-- Je lui construirai une cage, près du SAS et je viendrai lui donner à manger tous les jours. Et puis quand il sera grand, je lui redonnerai sa liberté.
-- Oui, dit BD qui connaît ses classiques. J’ai lu ça en Archives. Il y a eut une histoire comme ça, dans les années 2000, avec une petite fille qui vivait en Afrique. Mais je ne crois pas que cela se soit bien terminé. Ils ont été séparés. Ce fut terrible.
-- Enfin le lion a été sauvé par la fillette ? Oui ? C’est le principal !
Alors pourquoi je ne pourrais pas faire pareil, moi ?
La nuit s’est terminée, avec le lionceau baptisé Alpha, on ne sait pourquoi,
blotti dans les bras de Thomas. Celui-ci ne l’abandonna pas et il le trimballa sur son dos, pendant les trois jours de l’expédition de contrôle.
La petite bête eut droit aux cris de joie émerveillés, et pleins d’admiration de Thomas, devant la moindre brindille, le plus petit insecte serpentant entre les feuilles, ou la vision des ailes transparentes d’une mouche posée sur le dos de sa main.
Puis il fallut reprendre le chemin du retour. A quatorze heures, vendredi, l’expédition prit plus d’une heure de retard pour installer à l’arrivée, une cage pour le petit lion. Sous les yeux effarés d’une foule, alertée par l’insolite spectacle et massée dans les cabines intérieures, situées au dessus et de part et d’autre du SAS, les randonneurs se livrèrent à une opération inédite, dont on se souviendra longtemps.
Elle fut fixée sur image pour la postérité, par les dizaines de prises de vues que les spectateurs ahuris enregistrèrent sur leur boite « IAP ».
Avant d’entrer, Thomas embrassa encore l’animal et les aventuriers passèrent le premier cloisonnement, pour y abandonner tout objet ou vêtement.
Dans le deuxième « SAS », ils furent soumis au traitement habituel : douches, vaporisations, nettoyages, récurages. Puis, en cabine stérile, il fut vérifié que nulle particule venant de l’extérieur, n’était restée accrochée à leur peau. Et enfin, ils purent arriver en salle d’habillage.
Une fois revêtus des combinaisons appropriées, jaune pour Thomas, verte pour Val, orange pour Nathan, BD et Praddy, les cinq randonneurs purent enfin retrouver la liberté harmonieuse et équilibrée de leur Ville Bulle bien aimée.