L\\\'Enfant qui venait du futur

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Bess. 20 Septembre. 1985. Punition.

Bess. 20 Septembre. 1985. Punition.

A force de s'échapper sur les collines, en grimpant vers le ciel au milieu des pins crissant de cigales, ils avaient perdu l'habitude de la hiérarchie. C'est un grand malheur pour des enfants ordinaires qui se coupent ainsi les chemins tous tracés de leur avenir. Ils font alors sauter les ponts de liaison, les rapports sociaux. En vivant cette liberté totale, ils deviennent des hors-la-loi, au destin de navigateurs solitaires.

Même ceux qui ne sont pas faits pour elle, devenus plus tard dans leurs drames journaliers des adultes esclaves de l'habitude, ne peuvent plus l'oublier. Ils s'en souviennent toujours comme d'une drogue prise dès le premier jour des vacances.

Bess entraînait les enfants de la Bastide, pour se joindre aux gamins des bidonvilles situés près du château d'eau. Les expéditions forcenées se terminaient souvent par des batailles rangées. Dans ces escarmouches, elle prenait toujourspartie pour les plus faibles. Alors, en changeant de camp, elle faisait figure de traître.

Ils choisissaient des endroits escarpés face au vent, avec le soleil pour vis à vis. Là, perchés comme des aigles sur les rochers, ils épiaient patiemment les mouvements des sentiers, les frémissements des buissons frôlés par les insectes et les lapins. Le bruit désossé des klaxons presqu'inaudibles sur les routes invisiblessoulignait le décalage du lointain et du proche.

Repus d'écrasement, suspendus dans l'air, ils se laissaient enfin glisser dans des vallées de cailloux roulants sous les talons, en avalanches plus rapides que leurs culbutes. Ils surgissaient de la montagne, aussi pelés et écorchés qu'elle, derrière des mas inconnus, isolés dans les aboiements des chiens alertés. Ils évitaient les routes, les habitudes, les acquis, routines, affirmations.

De retour à la maison, Bess gardait ces attitudes sauvages, intraitables, insoumises devant les murs d'incompréhensions réciproques et infranchissables.

A la moindre inattention elle filait entre les doigts, repartant inlassablement se déchirer dans les ronces, se dissoudre, calmer ses révoltes par la suppression de toute contrainte, dans l'odeur du thym, dans l'oubli de l'identité, dans l'effacement de soi.

Lorsqu'un promeneur surprenait les vagabonds, ils restaient sans voix, refusant de dire leur âge, leur nom, leur adresse, de peur que l'on ne remplace leur indépendance par une étiquette figée, piquée en banderille, au travers de leur corps épinglé en insecte de collection.

Un soir qu'ils étaient allés plus loin que de coutume, ils se perdirent dans le soir, par une nuit sans lune, malgré leur parfaite connaissance de la montagne. Les gendarmes alertés les retrouvèrent le lendemain, près du Trou du Diable, faille de 600 mètres de profondeur.

Bien que distant de douze kilomètres du littoral, le gouffre rejoint la mer abruptement. Passant par plusieurs couloirs souterrains, il servit de charnier pendant la dernière guerre. A cette même époque les pécheurs retrouvaient parfois dans leurs filets, des corps torturés flottants au large. Le gouffre avait une terrible réputation.

Malgré le noir total, les enfants avaient évité la chute par miracle. Devant leur effroi, les parents décidèrent, à l'unanimité, de leur pardonner. Ils furent même tous réconfortés.

Tous, sauf Bess qui, installée dans son univers à équilibre stable basé sur la logique de l'instant, ne voyait pas sa faute. S'estimant non coupable, elle refusait, à l'inverse des autres enfants, de demander pardon. Pour marquer le coup, elle fut privée de la journée de plage du lendemain.

Le jour dit, les autres jeunes sont partis fièrement, arrogants dans leur stupide bonne conscience. Ils font la nique à Bess. Jusqu'au dernier moment, celleci croit être de la partie.

Finalement, elle les voit disparaître au détour de l'allée, dans les bruits de moteur et les cris de joie. Elle reste là, mâchoire tombante, surprise, déçue. Plantée, furieuse au milieu de ses jouets préparés en confiance, elle piétine les moules à sable en forme de crabe, de coeur, de fleur. Elle shoote dans les seaux, les pelles en plastique, les bouées vertes à tête d'éléphant.

Sa colère vient surtout de s'être laissée piéger en pleine espérance, d'avoir donné aux autres, par la création de son désir de plage, la possibilité de lui faire du mal en l'en privant.

Aucun remord dans ces considérations. Qu'elle ait ou non, mérité la brimade n'entre pas en ligne de compte. Bess en veut à son père, aux autres, à la terre entière. La faute, si faute il y a et elle la nie, appartient de toutes façons à la veille. Elle ne peut trouver aucun rapport entre sa souffrance actuelle et la journée de la veille. De toute façon, la petite fille d'hier et celle d'aujourd'hui n'ont rien à voir entre elles. .

Raclant avec rage la terre du chemin elle fait voltiger les graviers, en cherchant à déchirer ses espadrilles selon sa bonne habitude. Elle est punie.

PUNIE ! Elle hoquette.

Finis les jeux dans l'eau au milieu des éclaboussures, les batailles de sable avec Emilie sa cousine. Supprimées les courses après le ballon roulant devant le blanc de la vague. Effacés les châteaux de sable dur, devenus soudain granuleux par une brutale inconsistance mouillée coulant en filets marrons entre les doigts. Annulé le goût salé sur les lèvres, le soleil brillant dans l'écume, le cri des mouettes…. Terminés les etc... Et tout le reste…

La contrariété d'errer sans but, de regarder les lapins essoufflés respirer rapidement dans leur cage en remuant le nez, de tourner en rond autour des carpes du bassin, en partageant leur ennui, lui colle aux épaules. Elle ressasse tous les griefs, les dus, les mécomptes. Elle inscrit les déficits, les manques, la privation essentielle…

Subitement, devant cet étalage de déceptions retournées sans cesse contre elle, elle a une illumination. Il semblerait qu'ils aient réussi ce « tour de force » de la faire se torturer elle-même, par ELLE-MEME ! En reconnaissant la valeur de la punition, elle accepterait donc le défi d'en pâtir par ordre d'en haut ?

Sans ce projet d'une journée au bord de l'eau, elle serait restée dans le jardin, avec toutes ces merveilles encore mal assimilées, scarabées noirs et lourdauds, brindilles de lièges et d'eucalyptus se poursuivant dans le vent, traîtres aiguilles de sapin tassées en tapis glissants, rondes petites bêtes à Bon Dieu, sauterelles pointues venues d'une autre planète. Elle aurait joué comme la veille, comme demain, sans songer à d'autres plaisirs.

Elle aurait répondu au sifflet bref des gamins de la vallée par des plaisanteries.

Elle leur aurait jeté par dessus la rambarde, des pommes de pins et des insultes. Elle serait descendue probablement les rejoindre pour une virée dans le verger de madame Pichelet, redoutable personne qui corse l'aventure en y plaçant des pièges à rat.

Galvanisée par un sursaut libératoire, elle décide de résister au marasme. Elle REFUSE une fois de plus, ce Processus de Pensée Manichéen qui parle de bien, de mal, de devoir, de punition et qui s'avère capable de la faire souffrir pour RIEN. Il lui suffit bêtement d'effacer le souvenir de la sanction et avec lui, l'envie de ce qui aurait pu être et qui n'est pas... De ce qui a été et qui n'est plus

Un formidable bruissement de joie l'envahit. Dans le plaisir de ses deux bras lancés vers le ciel, elle comprend avec violence que le bonheur est de nouveau à portée de sa main.

Son cri de guerre de l'indien partant en lutte contre l'ennemi, fait taire les cigales dans le silence figé d'une seconde :

-- HHOUAAAAAA !

Elle ne sait plus que choisir. Elle peut aller chercher ses copains de zone pour un pataugeage dans le bassin d'arrosage, ou pour une descente branlante dans le téléphérique fait de caisses à savon, avec la peur que l'engin la lâche du sommet du sapin.

Elle décide finalement de leur faire piller le garde-manger de la cave et de terminer les folies par une promenade sur le toit de la Bastide, entre les lucarnes, le long des tourelles. La distraction est dangereuse et d'autant plus prisée qu'elle est absolument défendue.

Les gamins sont éblouis. Les glissades le long des gouttières les enivrent. La vue vertigineuse qui plonge sur le village, groupé autour du petit clocher de l'église, les suffoque…. Ils s'étonnent devant tant de surprises… les retraités binant leur jardinet sans se savoir observés de si haut, les religieuses tournant dans le cloître lointain…

Et plus loin encore, les auvents, terrasses, charpentes, cabanons, bungalows, pavillons colorés formant de minuscules paquets brillants tassés derrière le barrage empli d'une eau verte, lisse, les bâtiments de guerre se tassant dans le port comme des jouets….ces paysages dessinés sous leurs yeux, tels qu'ils ne les avaient jamais vu auparavant.

Toutes ces images presque virtuelles font oublier à Bess, sa déception.

Elle ne pense plus à la plage désirée en vain. Plus rien n'existe que la tuile qui retient son pied, la vigne vierge autour des saillies, le rire nerveux des gamins surpris par cette promenade dangereusement insolite, le ciel avec son seul nuage discret, blanc, immobile.

Là où elle n'est pas, un trou noir s'installe à la place, sans but, sans réalité autre que la vie qui explose. On punira, tout à l'heure, une autre fillette pour l'escalade du toit, le gaspillage éhonté des provisions. Une Bess à laquelle elle se refuse de penser. Comme elle refuse de penser à celle qui a été punie tout à l'heure.

Elle prend, puis elle paye. Telle est sa devise.

Voilà pourquoi elle ne joue jamais aux gendarmes et aux bandits. C'est parce qu'elle est un perpétuel voleur. Elle le sait confusément. Elle dérobe tous les jours, à cette multitude étendue derrière les taillis de la colline, dessinée en villes, en autobus, en phrases plates : « bonjour – madame – et – dis – merci »… des instants perdus pour la société.

C'est pour cette raison là qu'elle se cache la nuit sous les buissons, le jour au sommet des hauts noyers balancés par le vent, dans la maison en ruine au moment des pluies, et l'été, dans les bassins naturels que la source creuse dans la pierre, là où le mot « NU » perd toute consistance

Par moment, il lui faut revenir à la Bastide. Les us et coutumes, ces codes secrets qui s'établissent entre membres d'une tribu, d'un groupe, d'une ethnie, l'enferment de nouveau. Comme une porte qui se replace dans ses gonds, ils se referment sur elle, avec la lourde grille du jardin.

Lorsqu'elle en a assez, elle saute vite le mur, pour courir dans la colline faronnaise, oubliant Marseille et ses ruches de béton dans la compromission des vacances. Elle prend le droit d'échapper à toute règle dans la liberté des champs de lavande.

Elle « efface » la tradition. Elle trace le cercle magique. Elle oublie les essences nauséabondes du dehors. Elle retrouve l'ignorance du paradis oublié, tout en sachant ce qu'elle vole aux autres dans le sentiment fabuleux du bien-être.

C'est devenu une manie. Elle veut décider « à chaque instant », de se débarrasser des vêtements gênants. Elle préfère fuir, ignorer l'avenir, rester dans l'enfance du présent, avec les attardés, les simples d'esprit. Elle boude les personnalités affirmées, les hommes juges, les chevaliers liges, les cerveaux gendarmes, pour faire des hors-circuits, des happenings innocents. Elle ignore complètement le traditionnel fléchage pompeux des habitudes.

Ce qu'elle aime ? C'est préparer régulièrement des concours de graffitis, seules voix de liberté populaire artistique. Elle organise des lancers de bouteilles sans message dans les caniveaux, des expos sauvages de boîtes d'emballage vides, accompagnées de photos témoins, au moment des vernissages « IN », dans les galeries de peintres célèbres.

Elle veut faire partie de cette majorité stupide qui n'a rien compris, qui ne sait pas protester. Elle se fond dans cette masse muette et ignare, allant dans son désintérêt social, jusqu'à aider les autres à l'exploiter, en attendant qu'il se passe autre chose.

Quoi ? Elle ne sait pas encore. Elle s'obstinera à rester, « pour toujours » un enfant de trois ans. Le reste ? Ce n'est pas son problème.

Elle ? Elle veut seulement jouer dans les garrigues.

Lisbeth. Dimanche 21 Décembre 2008. Douze heures.

Il pleut toujours et c'est toujours Dimanche. Je pense passer une bonne journée tranquille, au chaud, devant un bon, un vrai feu de cheminée de campagne. A Paris. Et sans rendez-vous ! Le pied.

Il faut dire que l'hiver est terrible cette année. Mon petit jardin est recouvert de neige et complètement gelé. Je pense à tous ces pauvres gens sans logis. Et je dis merci, merci à la providence… les astres… je ne sais pas qui vraiment… ou mon ange gardien ? Si j'en ai un…

Hélas ! Le téléphone sonne. C'est Nico qui me demande s'il peut revenir cet aprèsmidi, avec la bande, pour parler du futur bouquin. Je ne peux rien refuser à Nico. Nous travaillons beaucoup ensemble, avec Frank sur le contenu des ateliers. Il m'annonce qu'il est allé ce matin sur mon blog et qu'il adore ! Comme depuis quatre ans nous étudions mes formes de pensées non traditionnelles, je suis flattée et je le lui dis.

Pendant que je le remercie, je me rends compte que cette façon d'écrire en direct, ne me plait pas du tout. Ce serait comme si je voulais expliquer d'une façon intime, quelque chose à quelqu'un... me raconter en quelque sorte, pour me mettre en avant….

Je réalise tout à coup que c'est vraiment le cas. Ce n'est pas comme « si c'était » pour me mettre en avant… « C'EST » réellement, pour me vendre aux autres. J'ai horreur de ça. Je n'ai pas besoin de chercher à plaire. Je me moque de l'opinion d'autrui, à condition qu'elle ne soit pas trop violente à mon égard. Bien sûr, je préfère que l'on me dise : « Bravo » avec un joli sourire, que « Tire-toi vilaine » avec un grand coup de pied au derrière.

A part ces extrémités, moins on me juge, mieux je me porte. Je fais quand même attention à n'avoir pas trop de tâches sur mon pull, d'être habillée cool et passe-partout, afin de passer presque inaperçue pour être à l'aise et libre le plus possible.

J'ai horreur des trucs chichis pour se faire remarquer : la petite montre Vuiton, le sac Cartier ou le contraire… les affaires à faire au moment des soldes…

et les virées dans les magasins, y compris les pharmacies et les supermarchés.

Je préfère raccommoder mes chaussettes, rafistoler n'importe comment le bas d'une manche avec une agrafeuse, acheter des pommes de terre par brouettes une seule fois dans l'hiver et les stocker au fond du jardin… Tout, plutôt que de faire l'effort de fréquenter des boutiques, quelles qu'elles soient.

Bref, tout ce qui m'empêche de parler avec moi-même, pour faire passer la parade avant tout, m'enquiquine. C'est tellement formidable de dialoguer avec cette Grande Personne… qui me plait par dessus tout, qui ne s'énerve jamais quand je lui pose des questions, qui m'écoute indéfiniment comme une adulte bienveillante.

Elle me console lorsque je pleure… et me gronde lorsque j'abuse : « Comment ! Il y a des milliards de personnes qui meurent de faim et tu pleurniches parce que tu as cassé ta biscotte ? » Alors la Petite Personne, qui est en moi, hoche la tête en répondant penaude :

« C'est vrai ».

L'ennui, c'est que la plupart du temps, la « Petite Personne » ignore cette merveilleuse et formidable « Grande Personne ». Elle oublie même alors, qu'elle existe. Il me faut une circonstance valable, une déception, un énervement, pour qu'enfin je l'entende. Pourtant elle est là. Elle vit. Je le sais. Comme je sais que j'ai une maman et un papa intérieur.

Ceux-là n'ont rien à voir avec mes « vrais » parents extérieurs, à qui je peux parler du fond de moi-même, ou au téléphone, de temps en temps, quand je pense à eux avec amour. Mais je ne peux pas les appeler en direct, pour leur dire : « Au secours ! Je ne vais pas bien ». Ils sont trop fragiles. Je  leur ferai du mal. Par contre, ceux du dedans sont toujours là, flous, imperceptibles, présents… prêts me consoler maternellement ou me protéger paternellement. Avec eux, je peux pleurer copieusement, et me plaindre, gémir, crier comme un bébé…

J'ai aussi un petit camarade avec qui je discute. Il est placé un peu à ma droite et au dessus de mon épaule. Il suffit que je pense à lui et il est là. Même si je suis à la place du passager, en voiture sur l'autoroute, il flotte à soixante centimètres de la vitre, à cent à l'heure. Comme une sorte de petit ange gardien.

Mais je ne dois jamais rien lui demander. Ma requête serait refusée. Je dois juste le remercier, quand tout va bien. C'est-à-dire, parfois jusqu'à vingt fois par jour.

Pourtant, le vrai dialogue permanent se fait avec moi-même. Je vais jusqu'à parler tout haut quand je suis seule. Et je me réponds. Une question apporte des réponses. Une réponse amène mille questions. C'est une conversation infinie. C'est pour cela que je ne suis jamais seule. Je ne sais pas si tout le monde est comme moi ?

Je suis donc entourée d'une foule de gens invisibles avec qui je corresponds, mais un à la fois seulement. La conversation familière et toujours chaleureuse n'est pas la même avec chacun. Mais je n'ai jamais de problème, avec personne. La seule difficulté que j'ai concerne le rapport que j'entretiens avec mon corps. Il ne fait partie de moi que d'une façon indirecte.

Car, je sens que mon corps n'est pas « MOI »… il est « à moi ». Je le dis sans cesse. Il me sert de moyen de locomotion, comme une voiture. Je suis le conducteur. Sur le siège arrière se trouve la Grande Personne. Le gardien voltige à l'extérieur. J'ai un contact direct avec ce moyen de locomotion qui est mon corps et que j'adore parce qu'il est costaud, dynamique. Je le trouve formidable… bien qu'il soit fabriqué artisanalement avec un support animal, ses besoins et ses pulsions hormonales, physiques.

La situation m'énerve de temps en temps lorsque je ne le contrôle pas… ou mal.

On peut le comparer à une magnifique machine, qui aurait quelques défauts de fabrication. Une fois de plus, j'explique le scénario en détail à Frank. Je ne peux pas m'en empêcher, et lui il en redemande. Par masochisme ? Cette histoire de corps qu'on habiterait pour avoir un minimum de support le fascine.

Mais surtout pas au point d'y adhérer…

Je me tue à lui expliquer : Ce serait comme si, en arrivant sur terre, on avait pris la première chose qui nous serait tombée sous la main pour nous installer dedans… un gorille herbivore… un bonobo ? Bravo pour la manoeuvre. Maintenant il faut faire avec et ce n'est pas de la tarte. Il risque de s'emballer et s'énerver pour n'importe quoi, des détails le plus souvent.

Bon. S'il rouspète pour l'entretien du véhicule, d'accord. C'est normal. Il faut lui mettre du carburant pour qu'il marche… Pas trop gras pour pas qu'il s'encrasse. Mais lui, il va crier : « Du caviar avec l'essence, sans quoi je hurle ! »

Pour les soins, c'est pareil. Un pneu crevé ? Le moteur qui cogne ? On va chez le garagiste du coeur ou des jambes cassées. Pour la carrosserie attention, point trop n'en faut.

Un peu de toilette si nécessaire, sans exagérer. Ma grand-mère disait : « Cessez de laver ces enfants à tout bout de champ. La peau est auto-nettoyante en quatre heures. Si vous la frottez trop souvent, le derme se dégénère. Plus vous lavez, plus elle s'encrasse, plus elle sent mauvais et plus il faut la laver.

Donc, vous amenez votre voiture une fois par semaine sous le jet d'eau et basta.

Quel besoin de la lustrer à donf, de lui mettre des enjoliveurs partout, des chiens qui remuent la tête sur la plage arrière ? Après vous avez tendance à vous identifier avec le support et vous recherchez les compliments comme si votre Ferrari c'était vous… La merveille ! !

Alors que ce n'est qu'une machine….

Bien sûr, certaines ne sont que de vieux tacots avec des ratés dus à l'âge ou à des handicaps. C'est embêtant, mais ce n'est pas vous. Il faut songer à prendre des distances.

Je dis ça, mais ce n'est pas toujours facile. Parce que c'est une machine « animale ».

Elle fonctionne comme un animal. Justement… Il lui faut du répondant en accord. La bouffe, la reproduction. C'est bête. Je ne vous le fais pas dire. On n'a pas encore réalisé qu'on pourrait se cloner. Si de plus la réincarnation existe, c'est Byzance. On peut alors choisir de là-haut, une cellule de Zidane, l'Abbé Pierre, Sarkozy ou Mimi Mathy cette petite merveille.

Et à la réincarnation suivante, on change de support avec les quelques qualités innées qui brouillent un peu sans plus, les cartes de l'acquis primordial. Parce que les « fanas » de la réincarnation, et y en a, vous diront que l'esprit choisit «là où » il va se glisser, dans quel sexe, quelle époque, quel environnement, quelle famille avec ce que cela comporte comme gènes ancestraux, et le reste….

Et si, par miracle et par hasard, grâce au continuum espace/temps, on peut revenir du futur (je ne vise personne, suivez mon regard… c'est de Moi, dont je parle », on a la vision de deux mondes parallèles, vécus peut-être même simultanément.

Tous ces « SI » qui peuvent mettre Paris dans une bouteille et mon esprit dans les corps successifs ou simultanés de Bess et de Thomas, m'ont toujours fascinée.

Non, je ne fume pas la moquette. Je ne me drogue pas, ni avec du hash, alcools, LSD, cigarettes, cafés, thés, coca-cola, tisanes décontractantes, hallucinogènes, etc. Simplement, ce que vous voyez avec des substances illicites, moi je les vois sans aucune drogue.

C'est tout. Et en beaucoup plus logique.

Normalement, je me débrouille assez bien avec tout ça.

Sauf avec la sexualité… Pour les habitants de la Ville du Futur, la sexualité n'est qu'un jeu. Notre corps est bien considéré comme un corps d'animal, mais on joue à le découvrir à travers ses sensations. Là bas, en « 3012 », c'est magique !

Mais aujourd'hui, en ce « 11 Janvier 2009 », ce n'est pas le cas. Et toutes les complications se perpétuent depuis la nuit des temps.

Dans cette époque où nous vivons, tout le monde croit que nous devons nous plier aux exigences de notre enveloppe corporelle. Mais pas du tout. Enfin presque. Parce qu'il y a ces maudites réactions hormonales dont j'ai fait la connaissance à l'âge de deux ans.

Je m'en souviens comme si c'était hier…On avait mis une petite piscine en plastique remplie d'eau, à tiédir au soleil, sur la terrasse de la Bastide, notre vieille maison ancestrale. Je pataugeais dans ma nudité de corps de bébé… avec mes petits jouets en plastique… sans penser à rien d'autre, qu'à ce bonheur simplement physique de l'instant.

Une amie de ma mère a débarqué avec sa tante et ses trois enfants. Les petits garçons et les fillettes, se mirent à tripoter mes jouets sans délicatesse. L'ambiance devint vite exécrable. Je voulais sortir de là… Je trépignais. Ma mère vint me chercher avec une serviette de bain….

Mais dans une puérile fierté maternelle devant ma beauté de rêve, elle m'exhiba, comme un « OBJET », devant la foule.

Le soir, dans mon petit lit, je me remémorai la scène avec rage, Je serrai les poings…

les mâchoires…mes cuisses l'une contre l'autre. On m'avait présentée avec ostentation comme une « chose », devant la foule. Nue, j'avais été violée par les regards.

Que j'ai eu ce jour-là deux ou vingt ans ne changeait rien à l'affaire. On m'avait tripotée, passée de mains en mains. La colère me submergeait. Et brusquement, entre mes jambes, un plaisir violent d'orgasme se déclencha, gratifiant et nauséeux, avec la sensation d'être reconnue, à la fois, comme beauté et comme objet.

J'ai lu dernièrement, un article proposant la sexualité comme héritage de l'éducation. Elle ne démarrerait donc pas avec la génitalité ? Elle ferait donc partie intégrante de la vie psychique ? Dès la toute petite enfance, nous baignons dans des sensations diffuses de plaisir ou de déplaisir et nous avons des exigences pulsionnelles qui demandent à être satisfaites ?

Pourquoi pas ?

L'attention des adultes, deviendrait le terreau de notre rapport à la sensualité et de notre contact avec l'autre. Celui-ci sera alors perçu comme respectueux, bienveillant ou au contraire menaçant, dévalorisant. Si un espace de l'intime et du secret n'est pas préservé, l'enfant va adopter un comportement défensif, l'empêchant d'avoir une sexualité « normale », dirait-on ? On oublie que notre corps d'animal, réagit sans que nous en ayons conscience.

Et puis surtout, qu'est-ce que le normal ? Ce jour là, cette impression d'être considérée comme un objet ne m'a rendue ni maso, ni sado, bien au contraire. Elle m'a seulement fait connaître de façon intellectuelle ces états, me permettant d'y échapper.

Par la suite, je pris l'habitude de rechercher régulièrement cette sensation. C'était facile et immédiat. Je la reproduisait avec un mélange de surprise et de satisfaction. Cet état de faits m'intriguait et en même temps il me comblait par l'énergie sainement animale qu'il suscitait.

Il me suffit de quelques secondes et rien d'autre que la simple pression de mes cuisses sur mes parties génitales, pour que cet orgasme se déclenche, accélérant mon rythme cardiaque… avec la vision d'un être humain acceptant d'être traité comme un objet, donc existant en « objet ».

Mon enveloppe animale réagit comme telle, sans me demander mon avis. Des images d'amour ou de recherche, bien ciblées, pourraient donc mener au même résultat ?On en parle pas.

J'aurais bien aimé discuter de cette histoire, avec quelqu'un.

M'amuser à ce passe-temps avec des mécanismes complémentaires m'intéresserait.

Malheureusement, personne, pas un être à mille lieux à la ronde, homme, femme, ou enfant de mon âge, n'a jamais accepté de partager avec moi, ni cette idée… ni ces trouvailles ludiques, mystérieuses, insolites, gênantes, violentes, dérangeantes, gratifiantes. Peut-être un psychanalyste, payé pour se pencher sur mon cas ?

Mais ce n'est pas seulement d'une oreille dont j'ai besoin… Ni seulement d'un sexe non plus d'ailleurs. J'ai plutôt envie de camarades de jeu qui, avec l'écoute de mes demandes… se mélangeant aux leurs…s'aventureraient dans ces méandres inconnus… sans cesse renouvelés… toujours surprenants et savoureux de la découverte…

Alors la sexualité ne serait plus qu'une expérience de plus, très superficielle. Je pense que c'est impossible à trouver, sauf en 3012 époque à laquelle on reste toujours un enfant, même à cent cinquante ans.

Alors que devient désormais ma vie sexuelle actuelle, considérée sous un angle dit « normal », me direz-vous ? Si tant est que la normalité existe… et que surtout cela puisse intéresser quelqu'un… Ce dont je doute.

Je vous répondrai qu'elle est nulle. Et qu'elle l'a toujours été. A part quelques rares aventures qui me prennent, si j'ose dire, toujours par surprise. Mais en réalité… de surprise, il n'y en a finalement jamais.

La solution la plus simple serait de pouvoir en discuter librement. Mais je crois que la difficulté est alors énorme !

Quel est l'homme qui, conscient de son rôle de mâle, aimerait, ou même « oserait » parler de ces choses ? Je n'ai jamais réussi avec quiconque, à aborder le débat, de près ou de loin. Ni ce sujet, ni aucun autre non plus d'ailleurs.

Quoiqu'une femme dise, l'interlocuteur a souvent tendance à l'envoyer promener.

Donc ma vie amoureuse… tout au contraire de mon existence ludique.. est inintéressante. Non que je n'ai pas de succès. Au contraire, dans la rue, la foule se retourne sur mon passage. Je mets cette admiration sur le compte de mon air avenant, et joyeux.

J'imagine qu'ils me trouvent sympathique. C'est tout.

En effet, n'ayant pas le gabarit mannequin, je ne vois pas pourquoi on s'intéresserait à moi pour mon physique. Je fais un mètre soixante huit. J'ai des mollets de facteur, des chevilles courtes, de larges épaules. Mais dans l'ensemble, l'aspect général est avenant.

Quand j'ai eu dix huit ans et la permission de sortir jusqu'à une heure du matin, ma mère, terriblement inquiète tant que je n'étais pas rentrée, attendait dans sa chambre, pour que je vienne lui dire bonsoir. Il m'arrivait souvent de lui dire avec joie, que j'avais rencontré un ami merveilleux… un « cerveau »… qui écoutait mon discours sur la discontinuité.

Je le trouvais génial. Et puis deux ou trois semaines après, je débarquais, effondrée, pour annoncer : « Maman, j'ai perdu un bon copain ».

Le pauvre garçon en avait finalement eu marre, des « formes de pensées nouvelles » et de mon fameux raisonnement sur « l' Instantialisme ». Il avait fini, 40

comme tous les autres… à me mettre la main aux fesses, en me disant : « Bon.

Maintenant, il faut conclure ». Il faut le comprendre… La patience a des limites.

Oh, j'en ai assez de pleurnicher. Le bonheur est dans l'instant.

J'aime vraiment cette existence… les gens… les choses… les plantes… les animaux… J'adore vivre le moment présent… et j'ai horreur du passé.

Passons à autre chose.

Je vais aller chercher un peu de bois dans le jardin pour entretenir un feu d'enfer. C'est indispensable, vu ce gel hivernal. Vivement l'année 2009. Elle ne pourra pas être plus glacée que celle-ci.

Après je retournerai sur mon blog, pour écrire un chapitre sur la vie de Thomas dans sa Cité Future de 3012.


25/04/2011
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