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Lisbeth et Emilie. Mercredi 27 juillet 2011 La victoire.
Les pales de l'hélicoptère vrombissent. La machine monte d'abord lentement à la verticale. La vue panoramique de la pelouse du château, découvre la carcasse d'Hermelin écroulée sur des corps, que les gendarmes essayent de dégager. L'infirmière qui a drogué Emilie, est penchée sur eux. De la cabine de pilotage, on voit les bâtiments s'éloigner de plus en plus vite. L'appareil se dirige droit vers le soleil.
-- Où va-t-on? Demande Emilie, en tripotant de droite à gauche les oreilles du chat qui fait semblant d'être furieux, mais qui en réalité adore ça. Bar décrit l'ile de Carpocanium, située dans l'océan indien, derrière une barrière de corail, entre St Paul et les Iles Cocos, devant Libreville au Gabon.
-- Carpo appartenait à un propriétaire australien, John Facette. En 2009, elle a été rachetée par le père de Maggy Delpierre que nous avions alerté Gérard et moi, pour que nous puissions en faire une base de mise au point de l’éducation des bébés clonés. Les premiers clones, nés grâce au G9, sont encore élevés en milieu stérile, dans plusieurs pouponnières disséminées de ci, de là, en Europe et en Afrique.
L’Ile considérée comme un atoll à moitié submergé par les bagues, ne figure pas sur les cartes. Elle est pourtant relativement grande, et abrite une cinquantaine de maisons entourées de parcs et jardins. Près de la mer, on y a construit une bulle en verre dont la moitié sort de terre et qui rappelle celle qu’André Courrèges avait construite sur la Place du Trocadéro pour montrer ce que sera l’architecture future.
Cette Ile est très fertile. On peut y faire pousser toutes sortes de plantes comestibles, ou médicinales. Son sol est formée de foraminifères, ces squelettes de cellules marines. Au début des temps, à force de s'entasser au fond de l'eau, ces bases calcaires ont commencé à faire des gros tas. Au bout de milliers et de milliers d'années, des chaînes montagneuses se sont élevées hors de l'océan, comme par exemple, les Alpes.
Plus tard, des bouleversements géologiques dressèrent encore plus haut, ces montagnes au dessus des eaux. Les pierres calcaires avec lesquelles sont construites les pyramides d'Egypte, sont presque entièrement composées de carcasses de nummiulites. Ces protozoaires colossaux, atteignent parfois dix à quinze centimètres de diamètre.
Au cours des millénaires, les carcasses des radiolaires déposés en nombre incalculable au fond de la mer, se sont transformées en pierres. Elles ont formé des couches sédimentaires de poussière fossile. Quand on récupère cette poudre et qu'on la mélange à de la nitroglycérine, on peut fabriquer de la dynamite.
-- Les protozoaires, ce sont des sortes de petites bêtes? Questionne Lisbeth. Elle se passionne comme d'habitude, par tout ce qu'elle voit. En même temps, elle pousse une exclamation émerveillée, devant un vol magestueux d'oies sauvages que lui désigne Hermelin.
-- Oui. Par sa forme constamment changeante, un autre protozoaire vivant il y a plusieurs milliards d'années, l'amibe, évoque ses premiers et lointains ancêtres, les Protistes. Ce sont des êtres vivants unicellulaires, à noyau distinct, tel que la Paramécie, l’Euglène ou l’Amibe. Les Protistes chlorophylliens sont des protophytes, les autres des protozoaires. Un peu plus tard, ils s'enveloppèrent d'une carapace pour se protéger. Ce furent les radiolaires et les foraminifères.
D'autres se regroupèrent pour mieux survivre et constituer des colonies. Ce sont surtout les volvox et le corail qui entourent et protègent efficacement notre Ile Carpo. Personne, aucun bateau, aucune barque, ne peut franchir leurs barrières.
L'hélicoptère avait mis le cap sur le sud. Une légère brise insuffisante, n'arrivait pas à le faire tanguer.
-- La merveilleuse histoire des Protistes, continue Bar, ne s'arrête pas là. Au cours du temps en se réunissant, ils se transformèrent peu à peu et perdirent leur individualité. Tout doucement, se créa un processus d'évolution et des êtres de plus en plus compliqués apparurent. Ainsi naquirent les méduses encore très simples, mais quasiment immortelles.
Puis les poissons et baleines, déjà aussi perfectionnés que l'homme, vinrent les rejoindre. En effet, notre corps se compose de plusieurs milliards de ces cellules. Elles se rattachent les unes aux autres et sont toutes aussi indispensables les unes que les autres.
-- Quel sont les gens qui vivent sur Carpocanium? Interroge Jules.
-- Un groupe d'une centaine de personnes y circule. Ces individus restent quelques jours ou parfois plusieurs mois. Certains d'entre nous, sont sédentaires depuis le début de la création de la colonie. Cela va faire bientôt trois ans que Jim Facette, le neveu de l’ancien propriétaire, devenu notre coordinateur y habite.
Il est d’ailleurs en relation avec les constructeurs de la nouvelle Ville Bulle LURES que nous sommes en train de faire construire incognito, près de Franceville, en face de notre Ile Carpo. En effet, nous craignons que les discussions actuelles des membres du G9, au sujet de la gestion de la Ville Bulle originelle, ne ternissent l’idée première de la description qu’en a faite Lisbeth dans son Blog.
Quand à moi, mes occupations dans le monde, me retiennent trop souvent loin de l’Ile.
Je le regrette. C'est un lieu merveilleux à tous points de vue. La faune, la flore, le climat, y sont exceptionnels. Mais c’est surtout le travail que nous y faisons pour enseigner aux futurs éducateurs comment élever ces futurs enfants équilibrés et harmonieux, en attendant qu’étant arrivés à dix huit ans, ils puissent gérer leur ville eux-mêmes. Il ne faut pas oublier qu’il faut leur science devra être complète, allant de la physique, à la biologie, en passant par la gérance d’une république sans chef.
C’est ici, à Carpo que nous essayons d’expliquer aux futurs éducateurs, cette nouvelle de pensée, qui fera connaître aux bébés, l’équilibre positif qui forme les êtres heureux. Ici, l’Ile se prête tout à fait à cet espoir.
De plus, comme le climat est tempéré, grâce aux conditions climatiques particulières de l’atoll, la vie y est très confortable. Le site est aussi d’une beauté exceptionnelle. Certains jours, on peut apercevoir, sur l'océan, une traînée rougeâtre flotter au ras des flots. Elle est formée de milliers de noctiluques marins.
Par contre la nuit, leurs corps deviennent lumineux et éclairent la mer comme des millions de petites étoiles. De la taille d'une tête d'épingle ces animaux sont pourtant des géants dans le monde des unicellulaires. En effet, à la différence des autres cellules ciliées, qui ne sont visibles qu’au microscope, il suffit juste d'une loupe pour les observer.
-- J'ai hâte de les voir, dit Lisbeth. J'aime déjà les protozoaires, tels que vous les présentez.
-- Sais-tu qu'il y en a beaucoup, intervient Hermelin, sortant une fois de plus sa science. C'est dans la mer qu'apparut sur notre planète, la première forme de vie animale, il y a un ou deux milliards d'années. Ces organismes primordiaux, à partir desquels allaient se développer toutes les formes de vie, y compris l'homme, se composaient d'une seule cellule. Ce sont ces fameux protozoaires, mot qui veut dire en grec, " Premiers Animaux ".
Aujourd'hui, plusieurs centaines de milliers de siècles plus tard, on les retrouve inchangés dans la terre humide des marais d'eau douce et dans la mer. Quelques espèces seulement parmi ces bestioles sont visibles à l'œil nu. Les plus petits atteignent à peine deux ou trois millièmes de millimètre. Pourtant, en dépit de leur structure très simple et de leur taille microscopique, ces créatures accomplissent les mêmes fonctions vitales que les grands animaux pluricellulaires.
Elles respirent, elles se nourrissent, elles rejettent les résidus de leur digestion et elles se multiplient avec une extraordinaire facilité. Surprises par un ennemi, elles réagissent dans un mouvement commun de défense. Certaines sont même très agressives et n'hésitent pas à attaquer d'autres créatures pour les dévorer. On connaît actuellement un très grand nombre d'espèces, trente cinq mille, environ. Elles existent sous une variété infinie de formes.
Il y a plus extraordinaire encore. Ces espèces pratiquement invisibles à l'œil nu, sont tellement nombreuses que, si on pouvait les mettre ensemble, le volume obtenu serait plus grand que celui de tous les autres être vivants. Certains d'entre eux, morts il y a plusieurs millions d'années, sont conservés dans la pierre. Ces fossiles permirent la découverte du pétrole.
-- Par quel miracle, vous êtes-vous rassemblés sur cette Ile? Demande Emilie à Bar.
-- L'étude de ce que tu appelles Logique de Rigueur Universelle, a commencé au dix neuvième siècle, dans les années 1898. Le point de départ se situe dans les réflexions que Korzybski fit sur la Sémantique Générale. Elles offraient une possibilité d'hésitation sur les affirmations assenées par toutes les cultures en général, surtout occidentales.
En 1980, dans une petite Université du Minesota, où je terminais mes études, ils nous vint à plusieurs de mes camarades dont Jim, l'idée d'aller un peu plus loin, dans cette direction. Nous en arrivâmes à la conclusion que toute la pensée était basée, depuis des millénaires, sur la morale. Ce qui n'était pas logique.
Emilie se mit à rire, en regardant Jules.
-- Nous en vînmes à nous poser les questions du pourquoi. Qui donc aurait intérêt à ce que les choses se passent ainsi? Pourquoi ce rejet farouche de toute proposition nouvelle? Pourquoi refuser de privilégier la logique du « Chacun pour soi » ? Celle qui respecte l'autre et l'environnement, beaucoup plus que la morale, puisque c'est pour me protéger que je fais attention à tout ce qui m'entoure. Qui manipule qui ? Pourquoi ? Et enfin, qu'est-ce que la manipulation ?
-- Ne peut-on dire que « manipulation » il y a, dès qu'une action directe a lieu sur l'individu, que ce soit par autrui, ou par lui-même? Demande Jules. Le seul fait de sortir une feuille d'ordonnance du tiroir, ferait donc du médecin traitant, un manipulateur?
-- Oui. Car toute manœuvre, si minime soit-elle, entraîne toujours une variation d'énergie. Faite à des moments précis sur un même individu, elle peut même entraîner des écarts de forces, différents en qualité, en quantité. Il pourra passer alors d'une réaction positive, à une réaction négative.
Dans une approche au coup par coup, on peut avancer que la maladie, par exemple, serait un complexe peur-douleur, sans pouvoir déceler qui, de la poule et de l'œuf a commencé le premier. La seule sorte d'infirmité serait la faute qui accepte la négativité du stress.
A priori, même l'accident ne peut donc pas être considéré, comme étant une erreur. Si une voiture rentre dans la mienne, c’est moi qui ai baissé ma garde, sans le savoir. Le malaise, lorsque le seuil de saturation au stress est atteint, devient une allergie. Dès que l'individu arrive à ce seuil, le mal qui en est le symptôme, apparaît.
Plutôt que de vouloir soigner et guérir la souffrance, il est préférable de chercher à faire cesser l'agression négative. Soigner la cause organique, ne fera pas disparaître la douleur. Elle sera camouflée. Ou pire, elle sera remplacée par un autre trouble psychosomatique, avec ou sans cause organique apparente.
L'attaque qui n'est pas nocive en elle - même, le devient par auto - manipulation de soi. L'individu alors, l'acceptant sans défense, détruit la fluidité de la circulation de sa communication, donc de son « énergie ». On va le soigner avec des remèdes chimiques qui seront toujours inappropriés. C'est la méthode la plus utilisée dans notre monde actuel.
Le Commandant bavarde volontiers. Le parcours se présente pour l'instant sans embûche. La nuit envahit doucement l'intérieur ouaté de l'hélicoptère.
-- Si on prend la terminologie de Lisbeth, continue Bar, nous avons appris, grâce à son Blog de 2008, que se situent, d'un côté les Luriens logiques, dont nous faisons partie à Carpo. De l'autre les Muriens, dont les lois sont basés sur la morale et qui occupent le reste du monde. En effet, cet ensemble de raisonnements étriqués concerne la terre toute entière, et malheureusement, ces sortes de pensées, sont totalement subjectives. On ne peut les codifier de façon universelle.
Comme le dit Hubert Dreyfus, depuis que les Grecs ont inventé la logique et la géométrie, l'idée que tout raisonnement peut être réduit à une sorte de calcul, a fasciné la plupart des penseurs rigoureux de la tradition occidentale. Socrate fut le premier à formuler cette vision séduisante des choses : Faire en sorte, que toute discussion puisse trouver sa conclusion définitive une « BONNE FOIS POUR TOUTES ».
Quand à Platon, il a recours à une solution extrême : « Tout appel à l'intuition ou aux jugements de valeur, doit être absolument exclu ». Or dans l'optique d'une création commune de l'instant, entre l'observateur et l'observé, entre l'émetteur et le récepteur, entre le thermomètre et l'eau dont il prend la température, en agissant sur celle-ci avec sa propre température, une rétro – action commune se fait à chaque instant, entre l’émetteur et le récepteur du message.
Or, malheureusement, tout le monde refuse de voir la réalité en face. Chacune des parties juge justement, d'après ses propres critères seulement. Dans ce cas, une mise en formule unique n'est pas à rejeter, mais elle ne peut servir que d'étalonnage. Ainsi, chaque individu se référant à la mesure étalon, se fera une idée de sa vision, d'après la différence qu'il décèle entre son jugement et l'unité de mesure.
Ensuite, il verra la dissemblance qui existe entre cette dernière et l'appréciation de son protagoniste-partenaire. Hélas ces mises au point ne peuvent guère être utiles dans la pratique concrète. Pour résoudre avec une précision absolue toutes ces difficultés, le but actuel serait de faire une machine raisonnant comme un être humain.
Mais comme la conscience de l'individu ne fonctionne qu'en discontinuité, celui-ci ne comprendra ses problèmes qu'en fonction du Circuit aléatoire de son instant-programme, qui lui-même dépend des propositions de l'environnement.
La trouvaille de Lisbeth se place dans la construction d'une Intelligence Artificielle, qui étant « Personnelle », ne s'occupe que de son propriétaire, dans le cadre de son propre Univers Instantiel. Cette vision est insaisissable pour les esprits forts qui préfèrent dire :
-- Si le cerveau ressemblait à un ordinateur, cela se saurait.
L'IA/P elle, se moque bien de ce qui est bien ou mal « pour les autres ». Elle aide juste son co-cerveau humain à se gérer au mieux. Elle l'éclaire à chaque instant sur sa propre démarche, par une « auto – investigation » récupérant à chaque traitement d'information, toutes les données environnementales.
Nous allons avoir besoin de cette précieuse « mécanique » pour faire faire un bond en avant à notre matière grise. La précision de sa Logique de Rigueur Universelle, ne permet aucune erreur, aucune approximation, aucun flou artistique dans l'appréciation de notre estimation, vis à vis de nous-mêmes et des autres.
Lorsque le père de Maggy, en association avec John Facette, l’oncle de Jim le gros propriétaire australien qui a acheté Carpocanium, nous nous y sommes installés. Nous voulions tenter une expérience. Nous avons créé une école, une Université, un Centre de recherche, un Club de réflexion sur l'éthique du Futur. Petit à petit et, presque à notre insu, un nouveau mode de vie s'est instauré tout naturellement. Il est temps maintenant de passer à la vitesse supérieure.
-- Vous avez des gens mariés sur votre Ile, demande Jules en regardant Emilie. Je veux dire… la sexualité est permise? Enfin normalement?
-- Pourquoi ne le serait-elle pas? Bien sûr, chaque fois que l'on parle de sexe, tous les problèmes concernant l'égalité se multiplient. Car l'image de l'autre brouille notre connaissance de nous-mêmes. Voilà pourquoi nous avons une cellule de crise traitant régulièrement du sujet.
-- Ce n'est pas possible ! Le garçon s'indigne. La sexualité n'est pas une maladie, que je sache !
-- En quelque sorte si. Mais il n'y a rien de péjoratif dans le mot maladie, s'amuse Lisbeth. Le sexe se contrôle de la même manière que la santé, avec plusieurs sortes de réactions chimiques. J'ai toute une palette de sensations à ma disposition. Je choisis en fonction des gens que je peux rencontrer. Puis je commande à mes hormones de venir diminuer, ou renforcer mes pulsions en fonction du but que je me suis fixé.
-- Je suis d’accord, approuve Emilie. Je peux avoir un orgasme, rien qu’en serrant mes cuisses l’une contre l’autre, avec la décision de considérer cette sensation comme sexuelle. Le même frottement, que ce soit en faisant du cheval ou en me lavant, ne sera pas sexuel si je ne le décide pas.
La sexualité est un jeu qui n’engage personne, sauf soi-même, dans la dimension que l’on veut donner à cette découverte allant de surprises en surprises, face à notre corps d’animal. Cette nouvelle sexualisation commence d’ailleurs à se répandre dans le monde à l’heure actuelle. C’est ce que l’on appelle la « Sexualité Puérile » de l’enfant qui ne cherche qu’à découvrir la nouveauté de chaque création intellectuelle/sensorielle, pour ne garder que la liberté de décider si, une sensation est sexuelle ou non, sans construction définitive. Tout ceci dans le respect de l’acceptation de l’autre, tout en en exigeant le même respect pour soi-même.
Moi-même je peux avoir des milliers de phantasmes qui se basent plus sur la créativité cérébrale et ludique, que sur la sexologie, d'ailleurs. Mais je n'en ai pas réalisé un seul jusqu'à ce jour, ajoute-t-elle tristement après réflexion. Je l'ai déjà dit, je crois. C’est ce que tu nous avait décrit dans notre enfance et j’étais tout à fait d’accord.
-- En effet, confirme Lisbeth. Je me souviens même que nous ne faisions qu’en parler très superficiellement. La pratique ne nous intéressait pas vraiment, car personne ne comprenait ce que l’on voulait dire exactement.
-- Allo ! Le portable d'Aldo se manifeste brusquement. Qu'est-ce que l'on fait maintenant? Je crois que nous les avons semés les ordures. Ah, les enculés ! Ils m'ont pété un pneu avec leur sembles - scudes. Heureusement qu'il m'en reste encore onze.
-- Ici, contrôle-hélico, répond Mimi. Rentrez chez vous, rue de la Petite Sidérurgie. Ramenez Véra à son appartement et Bullud dans son arrondissement. Quand à vous, vous ne risquez plus rien pour l'instant. Génium ne sait pas encore qui vous êtes. Ils ont beaucoup trop de questions à résoudre au niveau du Web et des brouillages informatiques en tous genres que j'ai semé un peu partout….
Avant qu'ils ne commencent à se poser des questions, il faut d'abord qu'ils émergent de leurs embêtements. Le temps que des espions bien orientés remontent jusqu'à vous, il se sera passé suffisamment de temps, pour que nous vous les rendions inoffensifs. Et cela se fera au fur et à mesure des découvertes qu'ils feront à votre sujet.
Dites à Véra qu'elle n'a pas intérêt à nous trahir. Charlene, la femme de Ferré est avec nous. On la renverra plus tard à sa famille, lorsqu’on l’aura remise sur pied. Ferré expliquera lui-même tous les détails à Véra.
-- Pas de problème avec la môme Véra, rigole Aldo. Je l'ai dans la poche. Ou elle va bientôt l'être, corrige-t-il.
-- Dis à Bullud, que nous resterons en contact permanent avec lui. Il n'a qu'à se brancher sur la fréquence privilégiée 12.18.Z(*) Salut à tous. Et bonne rentrée. Le haut parleur retransmet en retour, le salut d'Aldo. Les bruits et les cris des C.B.Command et de leurs machines n'épargnent personne. Et maintenant Emilie, poursuit Mimi, je te passe ta mère. C'est le moment de la rassurer pour Lisbeth et toi. Cela fait trois fois qu'elle appelle.
-- Allo maman, dit docilement Emilie. Mais oui. Ne crie pas. Je pars en vacances avec Mimi, enfin avec Lisbeth et des amis. Bien sûr que je vais faire attention. Je suis majeure que je sache. Répète à papa qu'il ne s'inquiète pas pour sa banque. Je sais bien que tu le lui a déjà dit.
S'il n'arrive pas à le croire, c'est parce que mon IA/P n'a pas encore effacé tous les leurres informatiques. Ce n’est qu’une histoire de bug. Cela arrive tout le temps, mais d’habitude les clearings les cachent.
Lorsque les paravents se seront repliés, toutes les opérations effectuées, soit-disant depuis hier, disparaîtront d'elles-mêmes. Quand aux Banques, leurs systèmes informatiques n'auront rien enregistré, quels que soient les mouvement qu'elle auront pû effectuer pendant ce court laps de temps. Tout redeviendra alors comme avant.
-- Naturellement, ajoute Mimi à la mère, en se faisant passer pour Emilie, les opérationnels mettront quelque temps pour y comprendre quelque chose. Il faudra bien pourtant, qu'ils se rendent à l'évidence. L'opération n'a été qu'un énorme bluff. Ils mettront leur déconvenue sur le compte du Bug le plus gigantesque de l'année, sinon du siècle.
Même chose pour les Chefs d'Etat qui sont déjà en train de se rendre compte que leurs pays ne connaissent actuellement, aucune révolution. Leurs divers correspondants, leur ont déjà appris que tous les territoires de la planète sont hyper calmes, sauf les pays d’Afrique et de Libye qui ont saisi l’occasion au vol. J'en profite pour passer l'écouteur à Lisbeth.
-- Je suis un peu triste continue Maman, d’être obligée de vivre cet été à la Bastide, sans vous. D'accord, il me restera encore les deux garçons et Roseline. Mais ce ne sera pas pareil pour les soirées contes de Granie. Ecrivez-moi. J'ai encore beaucoup de choses à vous dire…
-- D'accord maman, je t'embrasse, et le chat aussi, répond Emilie, pressée de se renseigner sur leur heure d'arrivée. Maman ne se vexe pas. Elle a l'habitude. Elle raccroche avec un soupir. Sa grande fille est trop indépendante pour son goût maternel.
-- On va rester combien de temps dans l'hélico, demande Jules. Emilie repousse le chat qui s’agrippe à sa poitrine. De son œil de peintre Lisbeth regarde l'océan par le hublot. Elle remarque avec admiration que la couleur argentée des vagues sous l'écume, se souligne d'ondulations plus sombres. Charlene l’air étonné, a l’air de reprendre conscience.
-- Nous atteindrons Carpo dans quatre heures.
-- Si vous voulez vous reposer un peu, Commandant, dit Hermelin. Je peux prendre les commandes jusqu'à ce que nous soyons en vue de l'Afrique. Vous n'avez qu'à placer mon boîtier situé dans le portable de Lisbeth, sur le tableau de bord.
-- Bonne idée. Etienne reconnaît qu'il n'a pas dormi beaucoup depuis quelques jours. Jules regarde Emilie avec angoisse. Il pose une question timide.
-- S'il vous plait, Commandant Bar, demande Jules, vous n'avez pas envie que les rapports entre humains soient un peu plus logiques, un peu plus clairs, un peu plus confortables? Bref, quelles sont finalement nos chances? Enfin, je veux dire, qui va gagner en définitive? Les Luriens ou les Muriens? Mimi rit franchement avant de choisir une explication. Puis elle prend la parole.
-- La réponse n'est pas si simple. Lorsque nous entrons dans le monde de LUR, le choix n'est jamais tranché. Je vais t'enclencher le fameux texte de la Victoire, écrit par Lisbeth, l'année dernière, à l'occasion de la Coupe du Monde de Hand ball. Ecoute soigneusement. Tu comprendras mieux ce que veut dire le mot « Triomphe ».
La voix de Cybor prend une fois de plus, le relais. Les auditeurs se laissent prendre par le récit surprenant. Les mots évocateurs entraînent leurs esprits, plus loin qu'ils ne le voudraient. Telle une aiguille fichée dans la chair, le vrai sens de la Victoire, se plante alors dans leurs cerveaux.
LA VICTOIRE EST UN CHANT DE JOIE.
Il y a des jeux où pour gagner, il faut faire perdre l'autre.
Il y a des jeux, où pour gagner il suffit juste de ne pas perdre.
Il y a des jeux où pour gagner, il ne faut pas jouer.
Mais quel beau jeu que celui où pour gagner, il ne faut pas gagner.
Car alors la victoire de l'autre, n'est plus notre défaite. Elle devient même notre victoire.
Dès sa naissance, l'idée même de victoire n'est pas bonne. Car, cela veut dire que quelqu'un, quelque part, va perdre. Même si l'individu qui est soi, gagne, la défaite de l'autre devient sa défaite. Parce que il y a loin de la connaissance à la vie… loin du nuage à l'oiseau. Surtout si l'un des deux, croit qu'il poursuit l'autre.
Certains oublient trop souvent, qu'ils ne sont pas seuls contre tous. Lorsque l'on est seul, on l'est complètement, par rapport à soi, et par apport de soi. Personne ne guette en face. Dans la solitude ouverte complète, les tournesols éclatent davantage sous la lumière.
Dans la victoire, il y a la honte du vaincu. Et il vaut mieux connaître celle que l'on reçoit que celle que l'on donne. Car celle que l'on donne on la reçoit deux fois. D'abord, la première honte ne se vit qu'une fois, les autres n'étant que des erreurs de tactique, des transferts malodorants masochistes.
Puis la deuxième honte vient, et elle vivra pour toujours. Même si on la croit oubliée, elle s'est nichée dans l'esprit…On n'a pas à se fiche d'autrui, puisque les autres c'est moi.
Lorsque la victoire viendra pour toi, pourquoi devrais-je pleurer en recevant la défaite, c'est toi qui dois gémir. Ta lance se retourne contre ta chair fragile. Pour la protéger, il faudrait ne plus penser du tout. Car, plus l'ennemi se voit triomphant, plus son esprit se couvrira de cendres.
Même s'il se croit différent, le seul remède serait d'oublier l'enivrant cocorico qu'il pousse, dans cette grandeur proche de l'immonde.
Alors l'impuissant et la détresse, courbent tous les deux la tête. Le premier mot est la justesse. Où la victoire? Où la défaite? Où est celui qui dit qu'il sait, qu'il peut, qu'il saura, qu'il pourra? Et pas l'autre? Quel est ce bruit confus pour lui? L'écho répète à l'infini : Qui le père? Qui la descendance?
Celui qui, dressé sur ses ergots répète à jamais : « C'est moi qui le dit en premier, à tort et en puissance, oui, c'est moi qui l'ai fait ». Est-ce lui qui a raison ?
Un seul jeu, celui de l'enfance, qui noue ses doigts dans les doigts enfantins. Après, on dira qu'ici, le plus fort gagne. Puis les petits coqs vont perdre enfin les plumes qui les faisaient se dresser, en frères jumeaux de fossoyeurs. Mort à celui qui a levé le bras, en formant à deux moignons le grand V. de la gloire.
Toutes les gerbes des guerres ont fleuri aux frontons des petits soldats. Et ce n'est même pas ça la Victoire, celle que l'on promène en chantant pour faire oublier l'assassinat inculte, gonfiate qui emplit la poitrine sur un coup de dé chafouin. Un numéro de trop sur la liste, la voilà la pire bêtise, celle qui n'a plus d'alibi, le fer de lance de la patrie, les petits mamelons poilus sur la pelouse du cimetière, avec les croix rendues semblables.
Mort à celui qui montre le poing. Mieux vaudrait pour lui qu'il explose dans un ballet marin dansant. Jamais on ne peut se défendre devant les guérites mitées des gardes enclos. Mais tout bien considéré, pourquoi chercher à se confondre? Un seul mot, dit avec un dernier jeu, le plus beau, éphémère, celui qui fait rêver? Quel est-il?
Le voilà ! Il s'écrit en lettres de lumière. Quel beau jeu, que celui où pour gagner, non seulement il ne faut pas gagner, mais encore célébrer la victoire de l'autre, qui devient finalement la VICTOIRE de deux autres, en boucle sans fin, se répétant avec joie, l'un à l'autre, j'ai GAGNE.
Charlene s'est redressée. Ses yeux se sont mit à briller.
-- Je… je… commence-t-elle ». Tous les regards se tournent vers elle. Ils se rendent compte à ce moment que la jeune femme s'intéresse ENFIN à quelque chose. Emilie lui prend la main et lui passe le chat qui sourit. Sans jeu de mot.
-- C’est une vraie « Happy end » ! Hourra, crie Emilie.
-- Pour l'instant seulement, répond son IA/P. Demain est un autre jour. Mais Mimi voit bien que sa jumelle créatrice est heureuse. En effet Emilie se sent bien, maintenant, si bien que cela frise l'impensable. Pendant ce temps là, l'hélicoptère va droit, loin devant, vers le couchant, et vers cet espoir de la victoire de tous, les uns avec et pour les autres.