L\\\'Enfant qui venait du futur

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Bess. Lundi 10/10/2011. Le VIOLONNEUX.

 

 

 

 

 

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            Le sixième soir de cette série de contes vit arriver une foule avide de féeries, qu’on croyait même pas que ça pouvait exister. La renommée de Granie dépassait les frontières faronaises. On vit de même  débarquer des belges du norsse et aussi des chinois, qui savent à peine même ce que c’est que la France. Tout ce monde formé d’amis et d’amis d’amis avait débarqué  très tôt dans la propriété,  parfois même dès potron minet pour être sûr d’avoir de bonnes places. Et y s’étaient étalés à la fraîche sous les oliviers pour  se faire la sieste longue qui rend gaillard jusqu’à la venue de la nuit.

 

            Bref, lorsque la vieille dame débarqua avec son couffin empli de laine et d’aiguilles à tricoter, car elle ne reste jamais sans faire plusieurs choses à la fois, ils étaient déjà plus d’une soixantaine assis par terre  pour les enfants et sur des chaises de toile pour les plus délicats, à se tendre les oreilles en pointes afin de ne rien manquer.

 

            Sans en avoir l’air, la vedette de la soirée monta légèrement d’un ton, sa voix déjà précise et nette,  pour que tous y z’y entendent jusqu’au dixième rang placé dessous le figuier centenaire. 

 

            --  Je vais profiter de cette belle nuit qu’on voit les étoiles briller jusqu’aux plus petites comme des diamants sur du velours noir, pour vous raconter l’histoire du violoneux magique. Cela se passa par une journée semblable à celle-ci. C’est une aventure que la petite Bess d’autrefois a entendu de la bouche de la  Fée Lumière Elodie, celle qui aime se promener dans le petit corps dodu d’une belette ou d’une taupe. Ils étaient tous les deux, Tienet et elle sous les arbres argentés du plateau, là où qu’y a le silence de la beauté des troncs droits comme des « i ».

 

            Tout à coup, Elodie se dressa devant eux. Elle avait mis sa plus belle tenue de toile en dorures. Elle avait eu envie de les remercier une fois encore de l’avoir sauvée. Alors, elle frappa de sa baguette, le vieil  olivier noueux qui s’ouvrit comme la semaine d’avant. Et devant eux l’image des anciens temps revint sur le sol pierreux. De là haut, on voyait s’étager jusqu’à la ville, les mas, les masures, les bastides emplis de bergers, de bouscatis, de potagers et d’arbres fruitiers. Ils avaient les costumes d’autrefois avé les coiffes et les jupons de toile.

 

            Cette année là sur le Faron, il y a bien longtemps, l’hiver avait été plus beau que de normal. Au moment des feux de la Saint Jean, il se présenta une chose tellement curieuse qu’on en parle encore et qu’on en parlera encore longtemps.

                                                                                                                                                

            Les  Bastidans de l’époque avaient organisé comme chaque année, ici même à l’emplacement de la  Bastide de l’Aigle où vous vous trouvez, la grande Fête du Feu. A cette époque on allumait encore les fagots  de façon rituelle. Selon la coutume on frotte rapidement deux morceaux de bois sec qui enflamment une mèche soufrée de moelle de sureau. Et la première étincelle donne le signe de départ des réjouissances.

 

            Cette fois encore les cris et les rires fusaient dans une ambiance survoltée. Les jeunes s’en donnaient à cœur joie, virevoltant, sautant au dessus des brasiers à plus qu’ils s’en trouvaient avoir le viroulet. Et   lorsque toute l’assistance en eut assez de s’échauffer fort les escourdes et les pinceaux, on s’installa très confortablement comme ce soir, pour festoyer autour des flammèches toutes en bélugues. Le moment des contes et chansons était arrivé.

 

            --  Or, leur montra la Fée Elodie avec le geste gracieux de sa baguette sur le creux du vieux tronc d’arbre, il se trouvait que dans l’après-midi, on avait vu débarquer un jeune homme d’une si grande grâce que tous les autochtones l’avaient regardé avec surprise et les femmes avé l’émotion en plus. Après  avoir posé son sac,  il avait dit bonjour à chacun dans une grande amabilité.

 

             Une fois la nuit venue, il s’était mit à voltiger comme tout le monde, par dessus les feux, avec peut-être plus de légèreté et de beauté que les autres. Après, il avait goûté aux herbes d’acacia confites, aux fleurs  de courges farcies, siroté les fameuses liqueurs de gelée royale mélangées de suc miélé, grignoté les ortolans  nains dignes des festins des dieux, et enfin écouté les conteurs les plus légendaires.

 

            Puis ce fut son tour. Or il resta bouche cousue. Ce qui était de la dernière des malpolitesses.  Consternation générale ! Jamais de mémoire de Faronins, on n’avait vu un invité refuser de donner son écot d’un conte, d’une chanson, d’une recette de poterie, de dessin ou de cuisine.

 

            On insista. On le pria tellement et tellement que les auditeurs en vinrent presque aux insultes.

Mais lui ne répondait rien. Le front barré, muet comme s’il descendait des carpes, il restait cuoû plomba à regarder les panissoûns s’exciter contre lui.

 

            Finalement, alors que l’atmosphère devenait toufourasse, Magaloune une petite de seize ans, fine  comme un fil de toile d’araignée s’agenouilla devant lui pour le supplier d’offrir une quelconque piade. S’il ne savait rien faire, qu’au moinsse il l’avoue. Pour faire cesser le charivari, il pouvait peut-être se présenter en disant au moins qui il était, d’où qu’il venait et pourquoi il ne faisait rien s’il ne savait rien faire.

 

             Alors, ému sans doute par cette supplique, le jeune garçon se lève gravement. Il sort de son sac un violon galbé. Lorsqu’il se mit à jouer dans le silence rétabli, on aurait cru entendre chanter les anges du paradis. C’était tantôt le rossignol, tantôt les vagues de la mer venant mourir sur le sable, tantôt le souffle  du vent dans les blés, tantôt le chant des sirènes. On voyait frissonner les nuages et monter derrière les pins la silhouette élancée des elfes et des fées.

 

             On croyait entendre au loin le résonnement assourdi des tams tams venant du désert et le cri  modulé des Targuis. Montant de la mer, le bruit des drakkars vikings accostant, accompagnait le claquement du pas des chevaux grimpant la côte. Ils venaient de partout et de toutes parts, les ancêtres lointains, tournés vers le sommet de la crête.

 

             Les  chevaliers au regard brûlant derrière leurs haumes, les bergers vêtus de laine aux mille moutons de transhumance, bardes, troubadours, guerriers des Croisades venus de Gaule et de Germanie,  Peulhs  enveloppés de bleu, Tziganes, peuplades de l’outremer asiatique et australe tous, évoqués par la mélopée envoûtante montaient à l’assaut de la montagne.

 

            Puis la mélodie légère devint de plus en plus captivante. A tel point que hommes, femmes, enfants et même vieillards se mirent à se trémousser en  harmonie frémissante. Ils tournaient, tournaient de plus en plus vite tels des derviches. Leurs corps vibraient, tendus comme des arcs.

 

           Ils ne pouvaient plus s’arrêter. Les chaussures s’usaient. Les pieds meurtris se déchiraient sur les pierres. Mais ils gambillaient, se démenant dans un rythme d’enfer, levant et descendant bras et jambes en cadence. Ils guinchèrent comme ça jusqu’à ce que l’aube se lève. A ce moment là, voyant couler des larmes de fatigue sur les joues de Magaloune, l’Emmasqueur cessa de jouer et ils tombèrent tous épuisés, par terre, sur place, s’endormant jusqu’à la nuit suivante.

 

             Le soir venu, lorsque les mets abondants eurent de nouveau été servis et que chacun se fut restauré copieusement, vint le moment des joutes gestuelles, musicales et verbales. L’un après l’autre les chanteurs chantèrent, les baladins théâtrèrent avec force, les conteurs parlèrent des pays de bout du monde qu’ils avaient traversés et des faits étranges qu’ils y avaient vus. Mais quand vint le tour du Visiteur, une fois encore celui-ci resta muet.

 

             Bien sûr, par prudence, personne ne lui demanda ce qu’il savait faire. On le savait bien, coucarin !  Malheureusement un petit galopin déquimiméli, un «  De – quoi – je - me-mèle », du nom de Ricou, arrivé dans la soirée sans être au courant de  l’affaire de la veille le provoqua.

 

            --  Oh ! Toi qui ne dis rien ! Tu n’es pas muet pourtant ? Tu as bien su demander le pain et le vin ! Montre-nous donc ce que tu sais faire.

 

            Oh pôvre ! Ce qu’il savait faire, il le leur resservit tout de suite. Pareillement que la veille, même  sérénade, même figure, même folie à faire voleter les jupons, titiller les espinchons, vibrer les pauvres ciboulots, jusqu’à ce que Magaloune se traîne à ses pieds avec son beau regard mouillé de suppliques.  Alors tous, comme des pantins lâchés par la main du marionnettiste, ils s’écrasent de fatigue sur la caillasse.

 

            A la nuit suivante, l’adolescent musicien était toujours là. Mais cette fois-ci les Faronais veillaient au grain. Quand un nouvel arrivant se pointait sur la Corniche, « méfie », on se le prenait à part. On lui disait de se la boucler. Et il se la bouclait. Ce qui fait que, lorsque tout le monde se fut bien gobergé, ripaillé,  égosillé et que le tour du jeune estrangersse arriva, Césaïre le Patriarche, c’est à dire le plus vieux des Papés  se leva pour prononcer le discours suivant :

 

             --  Mon garçon, il est de coutume chez nous que les hôtes que nous recevons à notre table et sur nos  bancaous  payent leur  tribut avec quelques descriptions pastorales, artistiques, culinaires ou de quelque tout autre talent.

 

             Or la romance dont tu nous a régalés hier et le jour d’avant serait capable de nous tuer si elle se répétait encore. Vaï ! Nous préférons que tu te la gardes dans ton violon et nous te faisons grâce de ce merci-là.

 

             Par contre si tu voulais nous contenter, tu pourrais nous rendre un fameux service. Voilà l’affaire.  Ici sur le Faron nous aimons de beaucoup les animaux et ça bien même avant que notre Noé les ait sauvé du déluge ici même sur notre fatche Montagne. Mais trop c’est  trop ! En effet, depuis quelques temps nous  avons une chienne pleine de charmes nommée Loretta.

 

             Elle a attiré tous les chiens des environs. Ce qui ne serait rien s’ils n’avaient apporté avec eux leurs familles de puces. Depuis nous nous grattons la couenne jusqu’au cœur du poil. Ce qui nous importune sans cesse de longue et infiniment.

 

            Tu nous a offert deux nuits durant une musique pour humains qui nous a charmés irrésistiblement.  Ne pourrais-tu aujourd’hui nous interpréter une musique pour puces ? Ainsi, en les emmenant derrière toi,   jusqu’à une contrée assez lointaine, tu nous en débarrasserais pour un bout de temps.

 

             Voilà ce que demanda le Vénérable Vieillard à l’Insolite Etranger. Le discours ayant été fait avec une grande politesse, le Jouvenceau réfléchit un long moment dans l’attente générale. Comme Magaloune le fixait de ses beaux yeux tendres, il se leva.

 

             Il connaissait en effet, toutes les ballades ensorcelantes. Il y en avait pour les chats, pour les cabris, pour les oiseaux, les rats, les humains, les sorcières et il y en avait bien sûr, aussi, une pour les puces. Il sortit donc son violon fin et racé.

 

             Il se mit à chasper une mélopée profondément lancinante qui envoûta  aussitôt les bestiaux en question. On les voyait descendre le long les braies, sortir de dessous les jupons, bondir hors des estrasses, émerger du dos des chiens par escouades pour se précipiter amoureusement sur les traces du Charmeur.

 

            Le Virtuose se dirigea alors vers le bas de la montagne, suivi par un ondulant serpent de bestioles. Collées à ses talons, les bêtes abhorrées disparurent dans le lointain du loin. 

                                                                                                                                                        

             Et de ce jour les Faronnais n’eurent plus à subir que les assauts normaux de régiments modérés de Nières normalement nombreuses.       

 

             On a dit par la suite que le jeune Enchanteur a été vu ici ou là, voltigeant de l’archet.

 

             Il marche toujours, entraînant derrière lui un cortège de plus en plus nombreux de puces en  multiplication exponentielle. Aux dernières nouvelles, elles auraient été recensées du côté de la Russie. Tous les habitants des environs de Moscou en ont déjà entendu parler.

           

            Quand aux Faronais ils n’en font plus du tout allusion dans leurs récit, de peur qu’un jour, se rappelant à son bon souvenir, le  Maudit Irrésistible Violoneux ne revienne avec son escorte d’insectes parasites par trop indésirable. 

 

             Et alors là, conclut Granie, terminant le conte du Violoneux de la Fée Elodie, j’en vois un  paquet  d’êtres trop sensibles, se gratter suggestionnés depuis un moment. Je propose pour oublier tout ça qu’on écoute les Amis de la Bastide des Bardes qui ont apporté leurs violons, leurs flûtes et qu’on en profite pour lever la jambe, comme aux Fêtes de la Saint Jean, en allumant un bon feu pour sauter par dessus, oubliant tout ce  qui n’est pas ici et maintenant. Selon la devise de notre beau Faron.

 

                                                                                                                                             


10/10/2011
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