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Emilie. Samedi 23/07/2011. Hyper contrôle
Au château de Tourssy, l'attente s'éternisait. Plus l'heure H approchait, plus l'atmosphère du sous-sol, devenait électrique. Cybor laissait défiler sur son écran les ordres de bourses et les commentaires en direct des médias. Les journaux télévisés et les Web T.V. discutaient âprement des différents phénomènes politiques se déroulant simultanément sur la planète.
Au rez-de-chaussée, les super cerveaux dirigeants de la Planète au travers de leurs multinationales, vivaient des instants pénibles. Mimi renvoyait sur l’écran de Cybor, toutes les informations Netword, balancées sur la Toile. Il y en avait des quantités phénoménales. Heureusement le petit computer ne laissait passer que les données choisies par le Programme Cyber Ingénéeries, sélectionné par Emilie. Cette barrière évitait l'asphyxie par abus d'anarchie.
Généralement, ce n'est pas l'accumulation des nouvelles fraîches qui met les intéressés au courant. C'est au contraire par leur élimination, que l'on peut se faire une idée sur la marche des évènements. Le contrôle prend sa force dans le choix du Circuit, qu'il soit rigoureux, ou laxiste.
Emilie se souvenait de la triste histoire de ce chef de gare français, reconnu responsable dans les années 1985, d'un grave accident ferroviaire qui avait fait des centaines de morts et de blessés. Elle avait commencé à la raconter à Jules, lors de leur dernière rencontre, au Jardin d'Acclimatation, devant la fosse aux ours.
Voyant que le pauvre garçon était en train de se ronger d'inquiétude l'ongle du majeur de la main droite jusqu'à l'os, elle décida pour détendre l'atmosphère de lui raconter toute l’histoire.
-- Cela s'est passé pendant le mois d'Août 1974. Les vacanciers avaient pris d'assaut les trains. Les locomotives étaient encore dirigées par des chauffeurs humains. Les contrôles se faisaient de façon archaïque, avec des passages à niveaux et des garde-barrières. Les convois roulaient sur des voies uniques. Celles-ci se dédoublaient sur de petites portions pour laisser se croiser les machines. Les manœuvres étaient réglées à la seconde près.
Ce soir là, Charles Romant, un homme de grande expérience, responsable de la gare de Fervaux, s'apprêtait à faire partir, comme tous les soirs à la même heure, la Micheline de dix huit heures quarante cinq. Il ne lui restait plus qu'à contacter par téléphone, son collègue de Soorts, la ville voisine, pour vérifier qu'au même moment, celui-ci envoyait bien son T.M.V.vers Fervaux.
En effet, les deux véhicules roulant sur la même voie, devaient à mi-chemin, bifurquer chacun de son côté sur un dédoublement de quelques centaines de mètres. Le minutage était parfaitement calculé. Or, le téléphone de la gare de Soorts était occupé. Si Roman n'envoyait pas sa Micheline à temps, tout le trafic avoisinant, se perturberait de proche en proche.
L'embouteillage monstre risquait de bloquer, en pleine vacances d'été, des centaines de trains sur toute la superficie de la France et de se répercuter sur toute l’Europe. C'était impensable. Romant ne se sentait pas le courage de déclencher une pagaille pareille.
Mais le téléphone était toujours occupé. Que fallait-il faire? Jamais, depuis des années, les deux trains n'avaient eu le moindre retard, ni au départ de Ferveaux, ni au départ de Soorts. Oui. Que faire ? Emilie prise par son récit, regarde son auditoire. Mais, bien que tout le monde écoute avec intérêt, personne ne se mêle d'avancer une réponse hasardeuse. La conteuse poursuivit.
-- La situation était délicate. En tant que chef de gare, Romant avait toujours privilégié l'efficacité cybernétique, et ce particulièrement dans son travail. La décision de traiter son information au mieux, pouvait choisir, soit le 1C. appelé Circuit de Rigueur, ou le 2C. qui représente le Circuit de Facilité. Une Logique de Rigueur Universelle, reconnaît que les deux traitements ont une valeur égale. Une seule chose est importante, l'individu ne doit surtout pas se tromper dans son choix.
Pourtant, l’erreur de jugement, ne porte pas dans la résolution d'adopter une mauvaise solution, mais bien dans celle de choisir un mauvais Circuit. Comme le chef de gare n'avait jamais connu, au cours de sa longue carrière, un seul retard sur l'horaire de l'un ou de l'autre convoi, il opta pour le Circuit de facilité et fit partir sa machine.
Lorsque le téléphone de Soorts se libéra, Roman apprit de son collègue que le T.M.V. venait de partir en retard, pour la PREMIERE fois de son histoire. Les deux hommes surent à cet instant même que les deux véhicules allaient se heurter de front, à grande vitesse.
Cela nous paraît à peine croyable aujourd’hui, mais à l’époque, les téléphones portables n'existaient pas encore, pas plus que les signaux de détresse électronique placés sur les voies. Il n’y avait aucun moyen de prévenir les conducteurs des machines. Lors d'un danger quelconque on ne pouvait bénéficier d’aucune signalisation. Rien, il n’y avait rien à faire.
Romant se précipita dans sa voiture pour faire des signes aux engins devenus mortels. Hélas, il eut beau faire des appels de phares pour stopper les bolides, il ne put qu'assister à leur télescopage. L'accident fit quatre vingt morts et plusieurs centaines de blessés.
Il y eut un procès. On évoqua l'erreur humaine. On plaida la fatigue du cheminot en ce mois d'Août étouffant et surchargé. On parla de mauvais jugement d'appréciation de la situation. Les syndicats de la SNCF accusèrent cette dernière de vétusté, de négligence, de mépris envers ses employés.
En réalité, la faute se situait dans le fait que Roman avait sélectionné le mauvais Circuit. En effet, il n'était pas coupable d'avoir pris la décision de faire partir son train sans confirmation, mais plutôt de ne pas avoir choisi, à ce moment PRECIS, le Circuit de Rigueur numéro 1C. En effet, un Circuit n'est ni bon, ni mauvais en soi. Tout dépend de l'instant. On peut même dire que le numéro 2C appelé Circuit de Facilité sera intéressant et utile, beaucoup plus souvent que l'autre.
Imaginons, par exemple, une mère de famille inquiète de savoir ce qu'elle va faire pour le déjeuner, hésite entre des carottes et des pommes de terre. C’est le Circuit de Facilité qu'elle doit, dans ce cas, privilégier. Dans le cas contraire, elle risque de dialoguer avec elle-même, pendant des heures. Avec un Circuit de Rigueur, elle se doit d’être rigoureuse et de peser le pour et le contre.
-- Les carottes, pense - elle, ont plus de vitamines, mais les pommes de terre sont beaucoup moins cher. Toutefois Isabelle n'aime pas les carottes. D'autre part, mon mari m'a demandé de faire des économies. Mais si je tiens compte de la venue de ma belle-mère qui… etc.
Si la maîtresse de maison continue à discuter indéfiniment avec elle-même, dans un raisonnement de Rigueur trop drastique pour la situation présente, il y a de fortes chances pour que le dîner ne soit jamais prêt à l'heure. Elle risque d’être grondée pour son retard, alors qu'elle n'est coupable « QUE » d'avoir élu le mauvais Circuit, celui qui était dans ce cas précis, était beaucoup trop drastique, pour traiter une information de peu d'importance.
Jules écoute cette explication avec beaucoup d'attention. Il fait très chaud dans la pièce et Charlene présente des signes de fatigue évidents. Elle transpire abondamment, en respirant bruyamment. Ses yeux se révulsent. Mais personne ne fait attention à elle.
Le Spaceword se déchaine sur l'écran du petit appareil. Il dévoile les tous derniers évènements se déroulant dans les Empires Multimédias. Les internautes affolés s'échangent des Cyber Informations sur le Cyberspace du Cybermonde traversant tous les Cybersystèmes du Cyber Net.
Tanguy, devant ces myriades d'échanges, s'épouvante. Ferré frissonne de désir. L'infirmière est au bord des larmes devant le malaise de Charlene qui reste intraité. Même Bar semble respirer difficilement. Seule Emilie se sent comme un poisson dans l'eau. Mimi surfe diaboliquement. Elles échangent leurs réflexions et les projettent directement sur les cerveaux des autres, par le biais des machines.
Les ondes sonores perçues par les auditeurs spécifiques, sont captées par leur système nerveux. Elles se retransmettent jusqu'au nerf auditif et sont amplifiées par les cavités membraneuses de la boite crânienne qui forme caisse de résonance. Comme il est dit avec humour. Mimi se montre rassurante une fois de plus.
-- Ne t’inquiète pas. Toutes les informations que vous saisissez sur l'écran de Cybor sont fausses, répète une fois de plus l'IA/P. C'est moi qui répand de par le monde, ces nouvelles truquées. Je contrôle en ce moment même, les médias et les banques.
-- Mais alors, tu peux dominer la terre? S'effraye Jules.
-- Pourquoi le ferai-je? Toutes ces transactions, ces OPA, ces stock-options, ces échanges de bons au porteur, de travellers cheques, ces luttes d'influence, ne sont que des signatures sur des bouts de papier. Et parallèlement, les opérations « clear » camouflées par Clearstream, glissent en filigrane, à l’insu du FMI international. n'ont pas de valeur réelle.
Mais ce n'est pas facile de séparer l'idée d'une valeur, de celle de LA VALEUR. Qui, elle-même se départage entre la valeur des gens et celle des choses. Car il y a plusieurs sortes de valeurs. Celle que l'on s'attribue par rapport à soi. Celle que l'on s'attribue par rapport aux autres. Celle que l'on donne par rapport à l'argent. Celle qui est réelle par rapport à la situation du moment.
Or, l'objet faisant partie intégrante de l'individu, comme le temps et l'espace, a la valeur fluctuante du temps et de l'espace. Lorsque les gens nantis perdront la notion de l'argent et ne garderont plus que celle de la valeur, le chaos monétaire renversera l'équilibre fictif.
Voilà ce qu'implique une monnaie franche le Nad par exemple, de nada égale RIEN.
Cette monnaie nouvelle que Tavernier, Frank et Lisbeth avaient créé, est basée sur la seule notion de la valeur que chacun donne aux autres choses, aux autres personnes, ou pensées, ou biens matériels, culturels ou spirituels.
Si tu meurs de soif dans un désert, tu seras capable de donner tout ce que tu as, même une fortune, pour un verre d'eau. Pourtant cette boisson n'a pas de valeur lorsque tu te trouves à côté d'une fontaine inépuisable.
-- Trois mille morts en Chine, prononce tout haut Cybor. Son écran montre des images de bagarres sanglantes. Pékin est en ce moment en train de vivre un carnage. Les troupes de Bao Diang, se sont emparées de la ville. Elles pillent, massacrent, violent tout sur leur passage.
-- Mimi, comment fais-tu ça? S'étonne Emilie. Si tout est faux, c'est alors que tu peux manipuler en direct la planète toute entière? Tu viens d'inventer le moyen que nous cherchons les cousins et moi, depuis notre naissance, afin de nous passer des médias traditionnels.
-- Pourquoi veux-tu te passer des médias traditionnels, s'enquiert Jules.
-- Parce que avec Lisbeth et Fred, nous voudrions faire connaître LUR. à un maximum de gens. Hélas ! C'est trop nouveau comme raisonnement. Les médias sont instaurés par une société, pour faire connaître, non pas les expressions nouvelles, ni même les évènements nouveaux, mais pour aider l'individu, à créer par leur présentation, des expressions et évènements très proches de ceux déjà présentés comme adaptables à cette société.
-- Alors, comment faire connaître à une société, des expressions ou évènements nouveaux, qu'elle ne peut ni créer, ni aider ses membres à créer, ses médias étant inadaptés? Insiste Jules.
-- Bonne question. Cela nous intéresse tous, approuve Bar. On peut imaginer que des médias nouveaux réussiraient à s'installer de force, comme le fait Mimi maintenant. Mais comment employer utilement et lucidement ces médias nouveaux dont le langage ne pourra être compris, ni des anciennes sociétés, ni de leurs membres? Voilà la réponse que nous avons besoin de creuser sur l'île de Carpo, une fois que nous nous y serons réfugiés. C’est là que nous complétons et parachevons le programme des G9.
-- On ne pourra vraiment rien faire avec eux, déplore Emilie. Reconnaissons le. On ne peut que manipuler la presse, qu'elle soit écrite, parlée, télévisée, internautée.
-- CHUT ! Mimi réclame le silence. Hermelin est en train de nous parler.
La carcasse du robot, dessine son ombre immense sur l'écran de Cybor. La vision de sa corpulence inspire le respect. Il fait un geste en direction des spectateurs. Sa tête, en forme de grille pain se tourne vers eux. Il se prépare soigneusement à parler.
-- Je me trouve actuellement devant la crique située au nord de celle du château. Les C.B.Commands arrivent aux alentours de la propriété, côté ouest. Nous sommes tous prêts à l'attaque. Les derniers détails sont au point. A vous de nous donner le signal de départ.
-- Bien reçu, répond le P.C. informatique.