THOMAS. Samedi 22 Janvier 3009. 7 Heures du matin.
THOMAS. Samedi 22 Janvier 3009. 7 Heures du matin.
Le jeune garçon se réveille ce matin avec le souvenir de son rêve de la nuit. Il se revoitde nouveau, comme la veille, avec Léa et Milo dans la Salle des Archives, endroit privilégié.
C’est dans ce lieu qu’ils avaient repéré les désastres créés par les générations primitives despremiers temps. Ils pouvaient ainsi faire la comparaison entre l’image d’une terre massacrée jusqu’en 2050 et les jungles environnant la Ville Bulle actuelle.
En émergeant de ce cauchemar, il se retrouve, figé devant le grand écran qui hier, leur a montré des images de la guerre de 1940. C’était affreux. En débarquant sur la côte française, les hommes tombaient comme des mouches sous les rafales des balles de mitrailleuses.
Heureusement, la projection n’avait duré qu’une minute.
Ce mauvais rêve reproduisait exactement ces instants où la veille, les trois Pré-Ados avaient eu, par permission spéciale, le droit de visionner des reportages de guerre. Le fait était exceptionnel pour des jeunes de neuf ans. Mais leur Chef de Groupe avait jugé qu’il était enfin possible de répondre à leur demande.
En effet, Thomas et ses amis, fascinés par la flore luxuriante de la vie extérieure de la Cité, voulaient tout connaître de son environnement et de ses origines. Cela faisait maintenant presque deux ans qu’ils avaient réussi à participer, malgré leur jeune âge, aux expéditions de protection externe. La nature, petit à petit était devenue leur principale passion. Thomas aurait même voulu la protéger. Mais ce projet n’était pas acceptable.
L’ordre absolu était de lui laisser vivre sa vie, sans que l’humain puisse lui imposer quoique soit. Les sorties visaient uniquement la surveillance des alentours de la Ville, au niveau des mouvements de terrains ou des incendies.
Les trois amis passionnés par cette planète magnifique s’intéressaient par conséquence, à l’étude de son passé. Ils n’avaient, jusqu’à présent, eu accès en Archives, qu’à des faits neutres la plupart du temps, comme les élections de 2007 en France, le sommet Ecologique Mondial de 2009. Abattu, Thomas se frotta les yeux. Il revoyait les images des corps tressautant sous les impacts mortels. Ce souvenir de la veille, renforcé par son rêve, le mit mal à l’aise. Pourtant Rem, l’actuel responsable des Archives, leur avait fait faire, comme prévu, après la projection, une séance de décompression. Il fallut à l’adulte plus de trois quart d’heure pour répondre à toutes leurs questions. Pourtant l’appel au calme n’avait visiblement pas suffit pour remettre leurs esprits en ordre.
Il faut dire que, dans les Villes Bulles du Futur, on ne connaît pas l’agressivité.
Tout contact avec cette violence que l’humanité pratiquait par le passé doit alors être analysé, afin que les individus puissent la rejeter comme néfaste pour l’harmonie de leur équilibre.
Seules des recherches sur les événements antérieurs pouvaient montrer, avec précision, ce qu’autrefois, l’être humain véhiculait de nocif pour sa santé. Heureusement, tout le monde n’avait pas accès aux Archives, car chaque découverte un peu brutale demandait un déconditionnement immédiat qui, parfois comme pour Thomas ce matin là, ne suffisait pas.
Son mal-être était si fort qu’avant de passer au contrôle physio - psycho journalier, il se décida à retourner voir Rem. Pendant qu’il enfilait la tenue reconnaissable de la période Pré-Ado, qui concerne les jeunes de neuf à treize ans, il appela en « simultané », Milo et Léa.
Aussitôt son Robot cloné « XY », gros comme une montre attachée en bracelet à son poignet réagit au son de sa voix et lui passa ses deux camarades.
Seule Léa avait bien dormi. Mais elle accepta de les rejoindre en Salle d’Archives.
« XY » organisa le rendez-vous avec Rem, pendant que Thomas finissait de se préparer.
A huit heures du matin, le soleil déjà chaud tapait sur le haut du dôme. En actionnant le treillis métallique qui ne laissait passer pour la nuit qu’une lueur tamisée, Thomas vit que des nuages s’amoncelaient vers l’Ouest. S’ils éclataient sur le vitrage, l’économie d’énergie permettrait d’aspirer par les tuyaux souterrains, moins d’eau de mer que ces derniers jours.
Une fois enfilée la tenue jaune clair qui l’enveloppait de la tête aux pieds comme une deuxième peau, il ouvrit la porte de sa chambre. Cela faisait deux mois qu’il avait quitté le Centre d’Apprentissage des Enfants, réservé aux jeunes de trois à neuf ans.
Avant, c’est-à-dire de la naissance à trois ans, les bébés sont élevés en pouponnières, puis jusqu’à neuf ans, en crèches familiales. Cela avait été à la fois dur et enivrant pour lui, de se retrouver, du jour au lendemain, dans un lieu individuel. Il n’était pourtant coupé des autres, que s’il le voulait bien. La paroi de verre permettait de visionner une immense partie des espaces situés sous la Coupole.
Il pouvait l’occulter avec des volets souples de mailles serrées, faits dans la même matière que ceux qui recouvraient en permanence sa salle de soins et d’entretien du corps.
En sortant sur le petit palier donnant, d’une part sur le double escalier roulant, menant aux étages supérieurs et inférieurs et, d’autre part sur les barres de descentes doublant les toboggans, il vit que la Ville était déjà en pleine ébullition.
Il se souvint que la journée était consacrée à la musique. Il avait promis à Leny de la classe des Ados, de passer l’après-midi avec toute la bande.
Cela lui laissait bien le temps de filer à la Salle des Archives pour y passer les minutes nécessaires à un rééquilibrage musclé grâce à Rem, puis de monter sur la balance du Contrôle Physiologique pour sa mise au point journalière et enfin de déjeuner au petit Resto B. des grandes Salles de Sport.
Il se rappela tout à coup, qu’il avait promis d’aider Lister en Cabine de Gestion au sujet des ordures ménagères. Il ne pouvait faillir à sa promesse qu’en cas d’empêchement grave, ce qui n’était pas le cas. Cela ne lui prendrait qu’une heure ! Et puis il aimait bien l’adulte Lister, chargé ou plutôt choisi pour surveiller la Vision Principale de la Ville. Car, comme pour toutes les occupations de la Cité, chacun ne s’engage que s’il le désire et seulement pour le temps de son choix. Pour Lister, le momentané durait depuis plusieurs années, ce qui lui permettait d’avoir un extraordinaire bagage de connaissance précieuse.
Thomas se laissa glisser jusqu’à l’ascenseur. Il vit passer au dessus de sa tête, dans des oeufs de télésiège, la fille qui lui avait dit bonjour l’avant veille à la piscine. Elle était sympa. Il lui fit un signe, mais elle ne le vit pas. Il sourit à la vue de son béret à carreaux roses et rouges.
Artistiquement, ça lui plaisait. La coiffure faisait contraste avec la combijaune clair.
La journée s’annonçait intéressante finalement. Même son malaise le passionnait.
Comment était-il possible qu’une simple vue d’hommes tués à la guerre puisse le troubler au point d’être obligé de se faire aider psychologiquement ?
C’était fabuleux de se découvrir à ce point fragile et en même temps de voir qu’il gardait sa joie de vivre.
Il contempla son corps souple et dynamique avec satisfaction. Il aimait beaucoup son enveloppe charnelle, ce moyen de locomotion. C’était sa propre voiture en quelque sorte. Il fallait absolument qu’elle reste en bon état. C’est pour cela qu’il la conduisait chez Rem, puis
ensuite au Centre de Contrôle Physio. Il l’emmenait chez le garagiste en quelque sorte.
Le réparateur s’occupait de l’esprit troublé par les images nocives pour son estomac et le contrôle technique vérifiait l’état d’une machine corporelle qui n’était pas lui, mais à lui. Le constat une fois de plus était grisant.
L’immense Salle des Archives était comble. Une majorité d’Ados branchés vpar des oreillettes aux CDTones de la musique des années 2.019, se remémorait le Mil de Bord Fill, et celui des groupes de Coard, afin d’être en phase avec le concert prévu pour l’après-midi.
Toutes les périodes des temps passés allaient être représentés par des joueurs expérimentés des amateurs imprévus, ou même des improvisateurs en paroles et en sons.
Thomas aperçut Leny qui pérorait. Mais il ne le dérangea pas. Il se dirigea tout droit à la cellule de décompression pour y retrouver Léa et Milo qui discutaient déjà avec Rem. Son moral étant meilleur, il se sentait déjà moins le besoin d’une séance supplémentaire. Mais pourtant, il s’étendit sur le bas flanc molletonné, à côté de ses amis.
Face à eux, un écran diffuse des flashes colorés, qu’ils perçoivent même au travers de leurs paupières closes. Une musique monotone imite le bruit des vagues et le chant des oiseaux. Sur une chaise longue, Rem placé face à eux répond à leurs questions. Celle qui revient le plus souvent dans ces sortes d’entretiens, porte justement sur la violence. Les habitants des Villes Bulles ne la connaissant pas, ne pouvaient en saisir la portée.
-- Pourquoi, demande Milo, jusque dans les années 2.100, les hommes, par pays, villes, ou groupes, ont-ils utilisé l’agressivité dans tous les domaines ? Il paraissait encore plus secoué que Thomas. Rem commença à répondre à la première question.
-- Depuis près de mille ans, nous ne pratiquons plus la violence. A cette époque là, nous avons commencé à réaliser ce futur visualisé dans les années 2.OOO, par un petit groupe d’individus. La base s’appuyait sur une nouvelle façon de penser, appelée « L’Instantialisme ».
Puis, nous avons mis beaucoup de temps, entre le moment où il fut demandé à tous les êtres humains de « penser » un Avenir équilibré harmonieusement et celui où on commença à le mettre en place. Il s’était passé plus de temps encore, entre la décision de poursuive les guerres et celle de lancer cet Appel International en faveur de notre avenir.
Evidemment, avant 2010, les hommes cherchaient encore à améliorer un présent, qui n’ayant aucun avenir était lamentable. La famine faisait mourir des millions de gens, bien que les réserves soient immenses. Les conflits tuaient chaque jour une foule considérable de civils et de militaires.
Or, l’amélioration n’est pas la solution. Lorsqu’un système est vicié, et s’il ne l’avait pas été cela se serait su, il faut l’éradiquer. Surtout ne jamais chercher à l’arranger. Cela ne sert à rien. Ce ne fut qu’en 2009, que le projet de dessiner cet Avenir harmonieusement équilibré, fut lancé.
Le temps que les plans se réalisent, les concepteurs du projet et les groupes humanitaires continuèrent à essayer de sauver le plus de gens possible, que ce soit ceux mourant de faim, de maladies, de blessures, ou ceux décédant sous les armes des combattants des multiples camps.
Mais vous pouvez vérifier tout cela en Archives « Catégorie Histoire ». Vous y êtes souvent fourrés. Je vous passerai donc les détails.
En ce qui concerne le côté psychologique et non chronologiquement historique, savoir pourquoi nous ne connaissons plus la violence est une question simple qui a une réponse simple, une réponse Lapalicienne :« A l’heure actuelle, nous ignorons les conflits, parce que nous ne savons pas qu’il pourrait y en avoir. Le seul fait d’avoir regardé une minute de guerre violente avec bruits, cris, fureur et morts d’hommes, vous a perturbé si violemment que vous êtes ici, en ce moment pour me demander de l’aide. C’est la réaction normale de tous ceux qui font la découverte de ce genre de brutalité ».
Nombreux sont ceux qui viennent trouver la Cellule de Rééquilibrage physique et psychologique, pour n’avoir vu que quelques minutes de film d’espionnage, de bagarres avec assassinats, grands frissons policiers, meurtres récurrents… ou même pour n’avoir regardé que de banales séries américaines des années 2.000, présentant un homme parlant à un autre, avec brutalité dans un contexte de groupe, au sujet d’une chemise sale, ou autre baliverne.
Je ne parle pas de tous ces journaux de l’époque, des reportages, ou même de simples bandes dessinées pour enfants. Sur un journal de programme télévisé, il a été relevé, pour une seule soirée de Décembre 2008, la vision de quatre mille meurtres, six génocides, vingt deux spectacles de torture, quarante cinq films hard, soixante douze exposés de crimes et cinq émeutes, matées à coups de fusils, par la police du coin.
-- Mais je vous en ai assez dit, termine Rem, en coupant la musique et les flashes de couleur. Je vois que vous allez mieux. Ce n’est pas le moment d’en rajouter. Allez vous détendre avec la Fête de la Musique. Je ne veux plus vous voir dans les Archives avant huit jours, au moins.
Les trois Pré-Ados réconfortés se retrouvent sur le parvis de la Grande Halle et l’enthousiasme de la jeunesse environnante leur fait reprendre le dessus.
C’est la fête, n’est-ce pas ? Quelques soient les moeurs et les coutumes, la « Fête » s’écrit toujours avec un grand « F » chez les jeunes de tous âges. Surtout en 3012. Car, les habitants d’une Cité d’harmonieux bonheur…
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