Lisbeth, Samedi 20 Décembre 2008. 10 heures du matin
Lisbeth. Samedi 20 Décembre 2008. 10 heures du matin.
C’est décidé. Ce matin, je commence un Blog sur Internet. Il est urgent de sortir de ce début de dépression que je traîne depuis trois semaines. En quelque sorte, je vais me faire ma psychanalyse moi-même. Je n’y trouverai que des avantages :
1) C’est gratuit.
2) Je n’aurai pas à courir Paris, avec sa circulation et ses stationnements impossibles.
3) Si j’ai une urgence, mon psy (c’est à dire moi), sera là illico.
4) Et comme c’est moi que l’analyse concerne, je n’aurai pas l’esprit encombré par d’autres dossiers.
5) De plus, comme je suis la personne la plus importante au monde (je suis bien placée pour le savoir), c’est à moi de voir, à chaque instant, ce qui, dans ma vie, est grave ou pas.
En conclusion, je vais régler mes problèmes, dans le présent, au jour le jour, avec moi-même et mon environnement. Comme le dit la formule « Ici et maintenant ».
Je sais bien que c’est contraire aux règles fondamentales de la psychanalyse. Mais le passé est trop sujet à interprétation, donc pas vraiment fiable. Je vais tirer un trait dessus Pour y arriver, il va falloir que je décrive l’impression que je ressens vaguement depuis ma naissance, cett désagréable sensation de malaise.
Voilà l’histoire :
Je voudrais bien savoir pourquoi et comment, étant un petit garçon de douze ans, aux cheveux noirs et aux prunelles sombres, vivant en 3012, je suis revenue en 1980, dans le corps d’une petite fille aux cheveux blonds frisés et aux yeux clairs.
Nous sommes presque en 2009. Cela fera bientôt vingt neuf ans que les souvenirs de ces deux enfances me tracassent. D’habitude, je me garde bien de parler de ça. Même en plaisantant et je vis avec bon an, mal an. Je n’ai pas envie de passer pour une folle. Mais, un fait nouveau est arrivé brusquement, sans que je m’y attende.
Hier j’étais chez moi, en train de bosser avec mes camarades de travail habituels, Nico, Frank, Michel et Gauthier, sur les Ateliers de Formation de Formateurs que nous dirigeons, lorsque, sans y penser, je leur ai dit que j’allais créer un Blog, pour parler de mes souvenirs des années 3.000. Alors, ils ont hurlé de rire et m’ont dit : « Va voir un psy. »
Puis ils m’ont interrogée. J’ai eu la faiblesse de leur parler de ce que je prends pour des souvenirs. Ils ont été tellement intrigués qu’ils ont décidé de revenir aujourd’hui, à dix huit heures, pour prendre des notes. Ils veulent en faire un bouquin de science fiction intitulé : « L’enfant qui venait du futur », le titre de mon blog. Je voudrai bien y recevoir des mails… Donc pourquoi pas ?
Mais pour être sûre de ne pas me laisser influencer par leurs critiques, leurs sarcasmes, je décide de noter en parallèle sur ce Blog, mes propres interrogations.
Car, il faut bien dire que cette histoire remontant aux années 3009, n’est pas simple.
A cette date, je vivais dans une Ville merveilleuse, équilibrée, qui à l’heure actuelle n’a pas son pareil. J’avais alors neuf ans. J’étais un jeune garçon , au teint mat, aux yeux noirs, appelé Thomas. Je faisais partie des pré-ados, avec les occupations et les préoccupations des jeunes de mon âge. Je me souviens très bien de mes deux meilleurs amis, Milo et Léa. Puis un jour de 1980, je suis revenu dans le corps de cette petite fille, appelée Elisabeth, ou Bess. J’ai donc maintenant, le souvenir de deux enfances.
Jusqu’à présent, cela ne m’avait pas vraiment tracassée. Je me suis toujours sentie normale. Mais normale par rapport à quoi ? De plus, je ne crois pas à la réincarnation. Ou plutôt, ni j’y crois, ni je n’y crois pas. Ce serait presque comme si j’avais rêvé, ou inventé cette histoire. A partir d’aujourd’hui, je vais enfin comprendre « vraiment » pourquoi j’ai ces souvenirs à la fois vagues et précis d’une vision du futur. Ils sont tellement différents de ce que je vis actuellement en 2.009. Je raconterai mon enfance de fillette, en alternance avec celle du jeune Thomas, né dans ces années 3000 d’où je reviens. Elles sont radicalement opposées.
Je me prépare aussi à répondre aux questions de mes amis. Pour préparer la réunion, je fais un petit feu dans la cheminée. J’ai placé sur la table quelques biscuits, des fruits, de l’eau minérale. Je ne suis pas bonne cuisinière, ni cuisinière du tout d’ailleurs. Ils le savent. Ce qui sous-entend qu’ils n’arriveront pas les mains vides et qu’ils vont mettre de la pagaille partout. Tant pis. C’est déjà tellement en désordre. Mon atelier de peinture déborde jusque dans le living.
Mais j’adore ça finalement vivre en bohème, comme dans mon enfance.
J’aime bien cette petite maison sans luxe, dans laquelle je vis. Elle est composée d’une grande pièce, et de plusieurs mezzanines. Face aux larges portes fenêtres qui font toute la façade, trône une vieille cheminée en poutres apparentes. Je raffole surtout du jardin sans vis à vis, entouré d’arbres immenses, situé non loin du vingtième arrondissement de Paris.
Le quartier, style ville de province est assez génial. En ce moment même, la Mairie que je vois par la fenêtre de la rue, s’illumine par intermittence, escalier style Empire, toit et cave compris. Elle ressemble à un sapin de Noël bon marché. Au coin de la rue, la boulangerie, sous une avalanche de boules et de guirlandes brille, de mille feux scintillants.
Mais, pour ne pas faire mentir le dicton « Pas de vraie beauté sans contraste », il fait un temps de chien. Les passants, tête basse, résignés au pire, car c’est surtout lorsqu’il fait beau que l’on a peur qu’il pleuve, piétinent une boue gluante et glaciale. En face de ma porte, Monsieur Tracchi, l’irascible droguiste-mercier, proche d’une retraite qui verra disparaître son petit commerce, donne des coups de balai, à des chiens qui arrosent d’une urine jaunâtre, son pas de porte. Du premier étage, le turc de l’immeuble d’en face, regarde avec concupiscence, la petite boutique qui devienra bientôt son chiche kebab.
Un groupe de Pères Noël passablement éméchés, discutent le bout de gras, comptant entre deux rots à l’ail, la maigre recette matinale. L’un d’eux, sa perruque sur l’oreille laissant passer des mèches grasses, grises et frisées, lutine mamans et fillettes en chantant « Mon beau sapin », d’une voix de fausset, sur l’air d’ « Il est né le Divin Enfant ». Soutenu physiquement, moralement et vocalement par ses compagnons en robes et bonnets rouges sales, il fait peur à voir. Son ivresse le rend euphorique. C’est attendrissant.
Je continue la description. Trois clochards entourés de chiens-loups galeux cherchent à dévoyer lestristes fidèles de l’Armée du Salut, que les trompettes protestantes n’arrivent pas à dérider.
Pendant ce temps là, le petit Maurice troisième fils de Monsieur Lévi cherche, jusque sous l’étalage de melons, sa kipa perdue devant l’échoppe de l’épicier arabe. Une forte musique raï, sortie du soupirail, perce les tympans des passants. L’ambiance musicale étincelante de cacophonies religieuses et autres, ne laisse pas de surprendre dans cette époque laïque. Mais, Noël, c’est la fête pour tous, sans distinction.
La vue en enfilade que j’ai depuis la fenêtre du rez -de-chaussée de ma cuisine est assez surprenante. Les éclairages de la Salle des Fêtes classée Monument Historique, font un petit halo au dessus du square. On a l’impression que les arbres eux -mêmes sont illuminés.
J’aime beaucoup ce coin en temps normal. Mais il faut avouer que la journée s’annonce exécrable. J’ai renversé de la tisane sur mon jean, la tasse s’étant retournée dans ma main. Je me suis éclaté le doigt sur la grille du jardin et cerise sur le gâteau, une de mes chaussures est allée se cacher sous le divan. Les objets sont très joueurs cette année.
Pourtant, cet ensemble de faits n’est pas suffisant pour justifier une baisse de tonus sur un moral qui, d’ordinaire est bon. Je mets donc ma mauvaise humeur sur mon début d’essai d’auto- psychanalyse et sur le compte des veilles de fêtes. Je hais les consécrations, quelles qu’elles soient en général et Noël en particulier. Je sais de quoi je parle. Pour me remonter le moral, je pense me faire une nouvelle tisane, mais par flemme, j’y renonce.
Par contre, je regarde avec amour le chat galeux du voisin, grimper sur le toit de mon cabanon. Il faut que je fasse très attention à ne laisser aucune fenêtre ouverte. Il s’obstine à squatter ma maison. Lorsque je le chasse avec de grands gestes, il s’en va, sans se presser, levant les yeux au ciel, en secouant les épaules, de l’air de dire : « Ah, voilà ENCORE la mégère qui s’énerve ! La pauvre ». Il ne me craint pas du tout.
Un soir, en me couchant, je l’ai même retrouvé dans mon lit, la tête sur l’oreiller et le corps lové sous les draps. Lorsque je l’ai découvert au bout d’un quart d’heure d’inattention, j’ai poussé un cri terrible qui n’a pas troublé l’animal.
Ce dernier a pris tout son temps pour d’extraire des duvets, descendre l’escalier et se diriger vers la sortie en balançant les hanches.
J’adore les animaux, mais je ne peux pas souffrir qu’ils dépendent de moi. Un exemple : Je n’ai jamais pu faire de l’équitation. Comment forcer un cheval à aller à droite quand il veut aller à gauche ?
Mission impossible pour moi. Je m’égarais régulièrement chaque fois, en milieu de forêt, perdue, sans repère, loin du groupe. Une fois même, en pleine nuit, je n’ai retrouvé mon chemin, que grâce à un paysan qui m’a raccompagnée jusqu’à la route nationale. Après, plus personne ne voulut faire équipe avec moi, surtout Frank. Le Club m’a priée de renoncer au sport équestre.
C’est comme pour les plantes. Lorsque les jardiniers des Murs à Pêches de Montreuil arrachent ce qu’ils appellent , « les mauvaises herbes », je frissonne.
Qu’ont-elles de si malsain qu’il faille les tuer ? Je les trouve aussi belles que les autres. Mais comme les autres sont comestibles, on s’en sert comme des objets.
Elles valent du pognon puisqu’on les utilise pour les manger. Ce que je déteste.
J’adore la nature, à condition de la regarder sans y toucher.
Cela viendrait-il du fait que je me souviens de ces années 3.000 ? A cette époque, on refuse de se servir de la faune et de la flore, ou même d’avoir des contacts autres que visuels ?
Je vais en parler à Frank qui adore tellement jardiner et à Nico amoureux fou de ses trois chiens. Je sais que cela va être dur pour eux, de réfléchir sur le pourquoi d’une Ville harmonieuse et équilibrée, mais coupée du monde animal et végétal.
En attendant, je vais raconter sur mon blog, le moment ou l’histoire de mon enfance de petite fille a démarré. Je m’en souviendrais toujours. C’était le jour anniversaire de mes trois ans. Le début d’une longue lutte contre un environnement que je croyais plein de tendresse commençait.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 4 autres membres