Lisbeth. Mercredi 21/09/2011. Nickie. Il y a les Dimanches.
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Je repense à mon cousin Nickie. C’est bizarre qu’il ne me donne pas de nouvelle de Carpo. Il faut dire que c’est un garçon si timide et angoissé. Je me souviens de l’aventure qu’il m’avait racontée l’année où il avait passé son bac.
Je l’interrogeai très souvent à l’époque. J’adorai relater, ses bizarres emplois du temps.
Ils étaient si réfléchis, mis au point si minutieusement. Pourtant ils semblaient cahoter au petit bonheur la chance. Je croyais m’y voir, c’était doux. Le cheminement de sa pensée, ressemblant à la mienne, observatrice à l’extrême, me fascinait. Je pouvais en remplir des centaines de pages.
Il venait d’avoir dix sept ans et quelques, ce qui n’était pas un avantage pour lui.Tout au plus une vague interrogation. Tout lui faisait mal, le soleil, le regard des passants. Ses orteils le faisaient souffrir particulièrement. Ses santiags marrons n’avaient pas suivi sa croissance.
Il s’était offert une collection de boutons, surtout autour de la bouche et en gerbe entre les sourcils. Son meilleur ami Abel, avait une paire de pavillons décollés et une petite amie qu’il sortait le dimanche. Vous me direz qu’une tête de Babar n’est pas, à priori, un critère de séduction. Mais pas pour Abel, ni pour les filles. C’est ce que pense Nick. En effet, des oreilles décollées n’ont jamais empêché d’avoir une nana (la preuve). Tandis que des boutons oui (la preuve).
A cette époque précise, la tante de Nick tenait une boutique de fringues pour dames fortes et elle conseillait en même temps ses clientes pour leurs soins de beauté. Elle mit sous le nez de Nick le magazine « Jeune et jolie » qui a de multiples recettes. Certaines, préconisées contre les pustules, sont faites à base de produits au soufre et à la cannelle qui sentent l’œuf pourri. D’autres mixtures ne sont guère mieux. Elles rebuteraient une sorcière même professionnelle.
Pourtant Nick n’en veut surtout pas. Mais, comme dit sa mère, tant pis s’il refuse de se soigner ! C’est son affaire. Et tant pis pour lui.
Il se trouve aujourd’hui au coin de la rue Saint Florentin et de l’Avenue Fresles. Une petite bise n’arrive pas à décoller sa mèche moite. Il ne sait pas « qui » il attend. Il sait « où ». C’est tout. Rien d’autre. Son copain Abel lui a dit :
-- Attends demain à cinq heures, au coin de la rue Saint Florentin et de l’Avenue Fresles. Tu ne le regretteras pas.
C’était hier. Impossible de savoir ce que ça voulait dire. Une seule chose était certaine, il avait eu beau insister, Abel s’était agacé :
-- Tu verras bien, idiot. Je t’envoie quelqu’un. Et sois aimable. Tu te plains toujours d’être seul le Dimanche.
Cela fait bien maintenant dix minutes que Nickie guette. Qui ? Il ne sait pas. Peut-être une fille, allez savoir. Non Abel ne lui aurait pas fait ce coup là. Ce serait trop terrible ! Et puis il y a une angoisse supplémentaire. Abel lui a dit qu’il ne pouvait pas espérer être repéré, sans avoir un signe distinctif quelconque, n’importe quoi, un œillet à la main, une calendre de voiture, ou une pochette rose en éventail ? Il a trouvé ça ridicule et n’a rien apporté de spécial. Inquiet, il cherche des yeux, sans oser bouger.
I l y a quatre coins de rue, en vérité, et il n’est pas persuadé que le bon, soit celui du kiosque à journaux. Les gros titres tournants lui font presque mal à la tête. Bah, finalement, c’est trop sot ! Il fait froid. Nick ne veut pas attendre davantage. C’est sa dignité qui s’entame. Et il s’en va. Il part. C’est dit. Tant pis. Mais, brutalement, tac, un jeune ado, assez petit et blond, avec une tête hautement orgueilleuse, sort tout à coup de derrière la guitoune, et lui barrant la route.
-- C’est moi, Gab. Tu es bien Nick ?
A peine dit, le garçon est parti à toute vitesse pour remonter la rue, sans même s’occuper de savoir si Nick le suit. Il n’y a rien au monde de plus stupide que de marcher derrière quelqu’un que l’on ne connaît pas, pour aller on ne sait où, faire on ne sait quoi.
Il avait eu juste le temps de remarquer que Gab portait un insigne de parachutiste. La chose l’avait terriblement impressionné, intimidé presque. De toutes façons, Nick n’avait déjà pas une très bonne opinion de lui-même. Il savait qu’il n’était pas beau. Il ne réfléchissait pas pour savoir s’il était intelligent ou non. Il savait qu’il ne l’était pas.
Et de plus, il avait des habitudes assez honteuses la nuit, ce qui le fatiguait et lui donnait terriblement mauvaise conscience, on ne sait pourquoi. Il aurait bien aimé avoir l’attitude dégagée et désinvolte, le pas ferme d’un type décidé. Comme Gab, par exemple.
En fin de compte, il décide qu’il avait tout à gagner à suivre le mec. Ils remontent le cours Belzunce pendant un moment, puis ils entrent dans un cinéma qui jouait « La fille en blanc », un film russe, sous-titré en croate. Il craignait le pire. Ddès le départ, Gab, lui avait dit avec autorité :
-- Tu payes ou non ?
Et Nick qui avait boité assez bas pendant toute la fin du parcours, heureux de cesser cette course infernale dans des chaussures de torture, sortit l’argent pour payer les places. Le film était mauvais. On s’en serait douté en voyant seulement les affiches. Pourtant la salle était pleine, à cause de cette pochetée de vedette anglaise pourrie qui faisait tant parler d’elle.
Le sujet était pitoyable, presque pathétique. On voyait pendant tout le début et même après, une patte d’araignée glisser sur une feuille de papier avec un bruit intense de cloches sacrément dissonantes. Dans le genre tendance, là c’était réussi. En tous cas, au moins, ils étaient bien au chaud, pour un bon moment.
Maintenant ils se sont tirés de ce cauchemar. Nick se trouve devant une glace à la menthe dans un bar pour nord africains. Il attend que Gab soit revenu des toilettes. Gab lui a demandé avec fermeté : Tu as assez d’argent pour payer les glaces ?
Derrière eux, deux marocains parlent fort en arabe. Ils ont l’air de s’engueuler. Nick n’aime pas bien les glaces à la menthe, mais il n’y avait que ça, ou des cassates avec des fruits confits très collants. Près du radiateur, il fait presque trop chaud. Il pense que demain il va falloir qu’il retourne au boulot, enfin au bahut. Pour une fois, ça lui est égal. Il ne sait pas pourquoi.
Quand Gab revient, Nick remarque qu’une tâche de savon orne son pantalon en plein devant sa braguette. Cela lui redonne confiance. En craquant des cacahuètes dans la soucoupe de Nick, Gab lui demande :
-- On se donne rendez-vous pour dimanche prochain ?
Devant le bar, deux filles gloussent et se parlent à mi-voix, avec des petits cris poussés à l’extrême. Il n’ose pas se retourner pour découvrir pourquoi et avec un acharnement angoissé, il se gratte un de ses boutons, son préféré
-- A dimanche alors, dit Gab sûr de lui, en lui tapant sur l’épaule.
-- Bon, répond Nickie.
Maintenant il faut qu’il rentre à pied pour aller chez lui et c’est vachement loin. Il n’a plus assez d’argent pour prendre le bus. Il n’en veut pas à Abel. C’aurait pu être pire. Par exemple, Gab aurait pu être un pédé, ou une fille…. Ou ne pas venir.
L’essentiel, c’est que c’était un Dimanche passé avec quelqu’un, et finalement pas n’importe comment. Quoique…
Enfin c’est ce que Nick m’a dit. Quand il m’a raconté ça, j’ai adoré son histoire, et moi Lisbeth qui aime affronter le danger, bien que je sois tellement froussarde, si peureuse que la moindre chose inconnue me terrifie, je trouve finalement que ce Nick est un héros.
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