L\\\'Enfant qui venait du futur

Lisbeth. Mardi 28/06/2011 La solidité.

 

 

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Je croyais en la vie, en l’avenir. Mais après tout, j’avais beau grandir et frôler mes quatorze ans, je n’avais toujours que trois ans en ce temps-là, et même maintenant. Ces réflexions sur ma solitude définitive étaient encore bien loin de ma pensée. Je voyais, confusément le vide immense qui m’entourait. Je faisais des signes désespérés à ces autres étoiles qui s’agitaient dans l’espace. Et j’avais beau hurler, elles ne me voyaient pas.

 

 

Je me souviens de mes premières constatations.  Cherchant à comprendre le fiasco de mes approches, je me mis à analyser les comportements de mon mystérieux entourage social, scolaire, amical, familial. Comme un oiseau à l’affût, je repérais les moindres mouvements.

 

 

A force de regarder agir les adultes, je me rendis vite compte que j’étais totalement dépourvue de cette assurance péremptoire, visible autant dans leurs attitudes que dans leurs/propos. Moi, je me débattais pour me faire entendre. Eux, ils n’en avaient pas besoin.

 

 

Je me voyais minuscule, fragile, hachurée. Ils paraissaient solides comme des géants de granit, dominant le monde.

 

 

Sans même ouvrir la bouche, ils s’imposaient. Je les définissais par ce seul terme : « SOLIDITE ».  Je les trouvais compacts comme un plat de lentilles. Je  reçois l’image. Les graines brunes amalgamées dans mon assiette et à table, placées tout autour de ma chaise, des formes homogènes ressemblant à ma pâtée.

 

 

La sensation que j’avais de moi-même était très différente. Mon enveloppe charnelle     me semblait faite de morceaux épars. Puis un jour, j’aperçus une faille dans leur consistance.

 

 

De temps en temps, ma mère, ou l’institutrice de la maternelle, et même mon père, ou mon oncle, ou toute autre idole impressionnante, craquait. C’était imperceptible, une hésitation dans le regard, un geste flou, un énervement incontrôlé, montraient la cassure. Et   parfois dans la colère de l’impuissance, l’émotion, les pleurs explosaient.

 

 

Cette agitation perpétuelle que je traînais depuis ma naissance, ne me permettait, en aucune façon, de faire progresser mon travail vers une manière simple de faire comprendre à mes interlocuteurs le fonctionnement du cerveau. Je continuais à prendre des notes de plus en plus précises. Alors que je n’avais pas encore atteint mes seize ans, l’âge de la puberté, les choses se mirent, tout de même, un petit peu en place.

 

 

Cette histoire parlant d’un individu « INSTANTIEL », mouvant et changeant  à  tout moment, venait bien de mes premières découvertes d’enfant sur la rigidité apparente mais non  stable des adultes. L’invention d’un traitement au coup par coup de l’information découlait de  cette constatation. La création des cinq Tests de l’instant de l’individu avait été évidente. La mise en place des quatre Tests suivants, face à l’Univers, s’était imposée.

 

 

Dès ce moment, je me mis à écrire quasiment jour et nuit. Je n’avais plus le temps, comme dans mon enfance, de me désespérer du manque de contact intellectuel. Les multiples nouvelles  rencontres ne comblaient pas ma solitude, mais faisaient illusion. Enfin, je voulais le croire, sinon je plongeais dans la dépression.

 

                                                                                                                                            

C’est alors qu’une sorte de salut me vint d’un de mes copains, Timothy. 

 

 

Il avait seize ans. Un an de plus que moi. Nous étions  dans la même classe. Bien qu’il ait un petit flirt régulier, c’était le seul de mes amis qui venait encore parfois, après l’étude, me retrouver à la Bastide. Tous les autres avaient abandonné la fillette inconsistante que j’étais toujours, pour préférer les formes plus généreuses de mes copines.

 

 

Finies donc les ballades sur le Faron, les cabanes au haut des peupliers ainsi que les barbotages dans le bassin. Ils couraient maintenant par groupes de douze, sur la  plage, les cheveux flottants, se balançant en cadence dans le vent, comme à Malibu.

 

 

Les filles avaient des petits maillots découpés au maximum, quand elles n’étaient pas topless. Elles montraient fièrement leurs jolies poitrines naissantes. Les mâles, mes petits copains insouciants d’autrefois, bavaient comme des malades devant tant de séductions.

 

 

Alors pour moi, finis les jeux de camp dans les rochers de la colline, les inventions théâtrales dans le grenier les jours de pluie, les confections d’affiches revanchardes, les ballades en nomades sur les sentiers de grande randonnée… Finies les galopades innocentes… Les mains dans la main des potes, FRANCK, CHOUBI, MARC, PIRA, MILA et les autres.

 

 

Timothy avait bien compris le pourquoi de cette solitude lamentable, qui venait après un succès de plus de douze années… après cette période insouciante, pendant tout ce temps où, entraînant alors la troupe de tous les gamins du quartier et des environs, j’étais le chef incontesté.

 

 

Il cherchait à me consoler très discrètement, en me demandant la permission de lire ce que j’étais alors en train d’écrire.

 

 

Assis sous la tonnelle du lierre, nous avons passé toutes les vacances de Pâques, à décrypter mes quatre romans, décrivant chacun un des quatre personnages de la Courbe de Gauss. Il reconnut mes principaux défauts et qualités, dans les caractéristiques de l’héroïne du premier individu Instantiel, qui mettait en scène Bess, la petite fille hyper active.

 

 

Dans le second, il repéra le profil de NICKY. Avec le troisième, il vit que j’avais choisi Aldo, le garagiste parisien de ma grand-tante, celui qui, sujet à des crises violentes de colère, démarrait pour un rien, prêt à la bagarre et disposé à témoigner à tout moment de sa fureur d’impuissance. Un garçon qui hurle de vouloir mourir, saisi de toutes parts par l’incertitude et       la révolte, est à surveiller de près. S’il parle ainsi à son propre patron, quel  langage ne tient-il pas  à Flossie, sa pauvre femme ? Je peaufinais mes notes pour reproduire fidèlement les mots de détresse qu’un « Pessimiste – Destructif » sait si bien clamer.

 

                 

Mais le manuscrit que Timothy préféra fut la description de cette jeune femme Charlotte, portrait craché de ma tante qui, quoique bien intégrée dans une situation sociale privilégiée, se réveillait un matin, ne retrouvant plus ses marques, ne sachant plus qui elle était, ni où elle se trouvait.

 

 

Je ne compris pas tout d’abord, pourquoi il était si « fan » de ce bouquin. Il le lisait et le  relisait indéfiniment. Il finit par me demander s’il pouvait me l’emprunter pour quelques jours. J’avais beau le questionner, cherchant à savoir ce qui le passionnait à ce point, il ne me répondait jamais clairement. Il reprenait à haute voix les mots du premier chapitre. Puis, il me demandait de  lui lire la suite en y mettant toute « l’émotion ».

 

                                                                                                                                            

Bien calés sur la première grosse branche de l’olivier, celle qui envahie de lierre fait fourche, nous regardions le soleil dessiner des ronds de lumière sur nos bras. Et je redisais les phrases désemparées que Charlotte, la jeune femme en question se posait, en se réveillant un beau matin dominical.

 

 

--  « Je ne sais pas qui je suis. Ou plutôt je ne le sais plus… Pourtant je ne suis pas amnésique. Je me souviens de toute ma vie et ce que j’ai oublié, on me l’a raconté. Je ne vis  pas seule. J’ai une famille des amies, une vie normale. Je viens de sortir d’une maison comme les autres. En réfléchissant je peux dire le numéro et le nom de la rue. Tout s’ordonne dans ma tête, sans heurt. Mais il y a ce trou écœurant qui me place sans défense, en dehors du temps. »

 

 

C’est ce quatrième tome parlant de la « Latence » que Timothy m’avait emprunté, sans que sache pourquoi. Quelques semaines plus tard, je reçus un mot des Editions Gallimard, qui     me demandaient de me mettre en rapport avec Jean PLANZAL, premier lecteur de la Maison, personnage important qui venait de recevoir le Prix Goncourt.

 

 

Et ce fut l’extase. Le conte de fée.

 

 

Le manuscrit était passé dans les mains des héritiers de Simone de Beauvoir, tante           de mon cher camarade Timothy. C’est pour ça qu’il me l’avait emprunté. Il savait que le récit      d’une personne dont l’existence se diluait, était pile dans la mouvance existentialiste. Comme la philosophie du célèbre Jean-Paul Sartre n’était plus en vogue, il pensait que mon récit pouvait séduire les derniers adeptes et relancer la vogue. C’est comme ça que mon œuvre était arrivée    chez Gallimard.

 

 

En effet, ce fut le coup de foudre. Je fus repérée tout de suite comme une jeune prodige « auteur-existentialiste » pouvant relancer le mouvement. Agée seulement de quatorze ans, je me retrouvais comme successeur du Roi, du Dieu, du chef incontesté de « l’ Existentialisme ». Ils avaient tout de suite vu que j’étais toute désignée pour reprendre le flambeau, avant le déclin total du Royaume.

 

 

Malheureusement, je détestais l’existentialisme. Je considérais cette philosophie, comme arrivant à la fin du cycle des réflexions, commencé au tout début des temps. Toutes les grandes civilisations ont connu une montée, un survol une descente destructurante, pour disparaître logiquement, d’après la fameuse Courbe de Gauss.

 

 

J’étais persuadée qu’il en était de même des philosophies. Au début de l’humanité, il n’existait aucun discours pensé, pas de réflexion, ni de prise de tête. Juste un état de latence, préfigurant les premières pensées. Puis les Grecs avaient amorcé la montée créatrice qu’Hégel, placé en haut de courbe parachevait. La dégringolade destructrice s’était réalisée avec Nietsch, avant d’arriver de nouveau en attente de la venue des Philosophie Nouvelles, ou plutôt en Latence, ou attente de rien, si bien représentée par Sartre. J’estimais que maintenant, les formes de pensée allaient totalement changer, avec une ouverture d’esprit que j’attendais impatiemment, en la vivant déjà dans ma tête.

 

 

Je  refusais donc de supprimer les passages considérés comme « hors propos », particulièrement  ceux qui, JUSTEMENT  dans mon bouquin expliquaient  que cette  soit disant  nouvelle  philosophie au rayonnement incontesté, le « Grand Existentialisme » de Sartre, n’était que la fin de la courbe de la pensée philosophique humaine, commencée au début des temps.

                                                                                                                                                        

Partie de la « Latence » des primitifs, la réflexion métaphysique était ensuite passée par une montée de « Création » développée par les Perses, les Grecs, les Romains, Platon,  Descartes. Arrivée en sommet de « Mise au Point » avec Hegel, elle avait réalisé sa « Destruction » avec Nietzsche, pour finir de nouveau en bout de Courbe, sur la partie plane de la «Latence», avec la  Mouvance Sartrienne.

 

 

Planzat ne pouvait imaginer une seule minute que je puisse refuser la gloire, pour un  simple entêtement de petite fille exaltée par ses propres phantasmes cristallisés sur une création originale du monde de la pensée « INSTANTIELLE ».  Il essaya de me séduire.

 

 

La famille, éblouie par ma gloire naissante, m’envoya chez mon arrière grand–tante, Nathalie, sœur de mon arrière grand–mère Marie, qui habitait seule depuis son veuvage, au premier étage d’un immense appartement, situé au coin du Boulevard Saint Germain et de la Rue du Bac.

      

Pendant trois mois, je passais deux heures chaque après-midi, dans le bureau directorial du premier Lecteur en luttant pied à pied. Je ne voulais pas me laisser acheter malgré ses compliments éhontés du style : «  Vous êtes le génie du siècle, mon enfant ».

 

 

A Toulon, on me voyait déjà tenant des salons littéraires telle Mesdames de Staël et Tallien. C’étaient pendant les vacances d’été... Au lieu d’aller dans la maison de campagne, en Ardèche avec toute la famille, je « montais » donc à Paris. Ma vieille tante était une grande dame excentrique et surtout très sûre d’elle. Je l’admirais. Entre deux rendez-vous, chez Gallimard, elle m’envoyait visiter les Monuments.

 

 

Je ne connaissais pas grand-chose de la capitale bien qu’y ayant vécu de l’âge de un an à l’âge de deux ans. Je ne me souvenais que du Louvre devant lequel je prenais, tous  les jours, avec ma mère, un autobus, pour aller passer l’après-midi au jardin du Luxembourg. Je m’extasiais chaque fois :

 

 

-- Quelle belle maison ! Sachant parler très tôt, j’en profitais pour faire connaître mes goûts en tout.

 

 

Tante Nathalie m’avait prise en charge avec beaucoup de sérieux. Elle en profita pour me raconter l’histoire du début de notre Saga familiale installée sur le Faron. Comme les soirées d’été étaient très chaudes cette année là, nous nous mettions sur le grand balcon avec vue sur les autobus et le trafic du Boulevard au cœur du quartier Saint-Germain.

 

 

Au départ, elle se fit un peu prier pour me décrire l’historique de notre dynastie. Une     fois lancée, elle m’en apprit beaucoup sur nos origines. Tout en sirotant un jus d’orangeade fraîche et écœurante, dans la chaleur de cet été parisien, je fermais les yeux en essayant de chercher à comprendre d’où je venais.

 

 

Les souvenirs de notre saga remontaient au 19ème siècle. Une petite orpheline de quinze ans, qui s’appelait Catherine, vivait toute seule dans une vieille masure de bergers. Née de mère et de grand-mères méridionales, elle survivait comme elle le pouvait, grâce au lait de ses chèvres, aux légumes du potager, et des œufs de ses poules. Elle menait une vie très dure dans cette pauvre masure de l’Aigle, qui allait devenir la future Bastide.

 

                                                                                                                                                         La propriété, dont elle avait hérité à la mort de ses parents, se limitait à une grande étendue de cailloux recouvrant le quart de la superficie de la colline Sud. C’était grand, mais cela ne valait rien.

 

 

Sur la colline d’en face, appelée le « Baü dé quatre heures », vivait Marco, un petit berger de seize ans, employé comme journalier chez le vieux Bertrand. Un jour, en promenant ses chèvres plus loin que d’habitude, il arrive sur le Faron et rencontre Catherine. Ils s’aiment. Les deux jeunes gens se marient. Ils ont deux filles. Marie qui naît l’année suivante et Berthe qui arrive six ans après. Encore des filles, comme à l’accoutumée et depuis la nuit des temps dans la lignée.

 

 

Marco est courageux. Il veut aller loin. Il ne veut pas rester un simple berger qui cultive  ses maigres choux. Pour vendre ses légumes, il loue à Toulon un grand couloir dans un bel immeuble, en face de l’Opéra. Cela se faisait souvent à l’époque.

 

 

Tous les jours, les deux jeunes paysans descendent à pied à la ville. Ils poussent la charrette  pleine de fruits et de légumes frais. En arrivant, ils vont chercher dans la cave, les tonneaux emplis de saumure qui conservent les olives et les anchois. A cela s’ajoutent les seaux   de pruneaux, les sacs de fruits séchés au bon air de la belle campagne, les œufs frais des poules.

 

 

Très vite, les produits savoureux de la vieille Bastide sont recherchés. Petit à petit, Catherine prépare des confitures, des plats qu’elle vend tout préparés. On vient les lui acheter de l’autre bout de la ville. Les employés arrivent aux heures des repas pour grignoter, assis sur     un pliant devant le couloir.

 

 

Bientôt Marco loue, puis acquiert un appartement au rez-de-chaussée, dans lequel il place des comptoirs achalandés, des tables et des chaises pour que les clients puissent manger confortablement. Il achète un autre local de l’autre côté de l’entrée. Puis un étage. Puis tout l’immeuble. Les deux petites filles sont mises en pension dans le plus chic établissement de la région. Elles ne reviennent dans la masure de l’Aigle que pour les vacances, apprenant ainsi pour un temps, dans un contraste étonnant, la simplicité de la vie dure de la campagne en été.

 

 

Tante Nathalie se souvient de ce qu’on lui a raconté sur ses jeunes grands parents. Lorsque Catherine et Marco meurent tous les deux de fatigue, et bizarrement la même année, à trente quatre et trente six ans, ils laissent à leurs deux héritières Marie et Berthe, une immense fortune. Elles deviennent les plus beaux partis de la région. Marie a seize ans. Elle décide d’élever elle-même,   sa petite sœur Berthe, de six ans sa cadette.

 

 

Pendant quatorze ans, la sœur aînée refuse de se marier. Elle repousse même chaque année la demande en mariage d’un officier de l’armée de terre, pourtant charmant. Et finalement lorsque Berthe est enfin casée elle accepte celui qui est devenu notre arrière, arrière grand-père.    A l’époque les honnêtes prétendants ne se bousculaient pas. A part quelques coureurs de dots et de jupon, les jeunes gens de bonne famille ne se prononçaient pas, car les deux jeunes filles avaient des origines beaucoup trop modestes.

 

 

Malgré leur parfaite éducation, la bourgeoisie n’en voulait pas et la noblesse encore moins, à part un minable petit duc fauché. A l’époque, on savait que personne n’oserait se prononcer. Sauf un militaire, et à condition que la dot de la fiancée soit suffisante, pour payer le train de vie d’un officier. Les deux jeunes filles en étaient parfaitement conscientes.

 

                                                                                                                                                         La construction de la magnifique Bastide de l’Aigle, réalisée par le petit Marco, sur l’emplacement de la vieille masure, l’énorme magot d’or et de titres placé chez le notaire, la possession d’un quart d’une montagne appelée à être de plus en plus convoitée ne suffisaient     pas, pour pousser les « jeunes gens » de bonne famille imbus de leur position « supérieure »,  à une mésalliance.

 

 

Heureusement, deux braves garçons s’étaient présentés. Ils étaient tous les deux militaires de carrière, l’un officier de terre, l’autre de marine. Marie épousa le premier après l’avoir fait attendre dix ans. Berthe épousa le deuxième, le même mois que sa sœur qui était de dix ans son aînée.

 

 

Une fois mariées convenablement, les deux riches orphelines vécurent une vie normale et  Conforme. Elles dilapidèrent raisonnablement leur fortune, de déménagement en déménagements, avec un train de vie raisonnable, imposé par leurs rôles d’épouses de militaires. Leur dure enfance qui les avait aguerries, leur avait appris l’économie.

 

 

Elles élevèrent leurs propres filles de la même façon car elles n’eurent que des filles, comme de bien entendu dans cette lignée. Et au bout de quelques générations, j’entrais dans l’histoire triomphalement. C’est bien ainsi que je le ressentis.

 

 

J’écoutais tante Nathalie raconter inlassablement les us et coutumes de ses aïeules au travers des racontars toulonnais de la fin du 19ème siècle. Elle me parlait des petits métiers… les  ramoneurs, les allumeurs de fanaux, le marchand de balais, la chercheuse de poux qui se loue à     la journée pour épouiller les enfants, ou même les adultes délicats.

 

 

J’appris que leis Gavouas sont des revendeurs de gruel ou gruyère fabriqué dans les montagnes. Le Cappo Bouas est un pauvre malheureux qui gagne son salaire en coupant le bois de chauffage que les paysans apportent à la ville.

 

 

Leis Matarassièros étaient des femmes qui exerçaient le métier de matelassières.

 

 

Lorsque la ménagère voulait faire rebattre son matelas, elle allait prévenir la  femme qui s’en occupait d’habitude. Au jour fixé, celle-ci vient de bonne heure pour dégarnir le lit. Elle emporte  la couche pour aller procéder à sa besogne sur quelque petite place comme celle de Saint-Vincent peu fréquentée par les passants et les charrettes. Là, elle découd la toile, et en enlève la laine qu’elle place par tas pour le secouer.

 

 

Lorsque tout l’intérieur du matelas a été ainsi battu et bien éparpillé, elle l’étend par couches uniformes sur l’étoffe neuve qui forme l’enveloppe du matelas. Alors enfin, elle la recoud avec de loin en loin, des fils qui traversent les deux tissus, maintenant ainsi la laine en place pour l’empêcher de courir d’un bord à l’autre et former des boules durs.

 

 

Grand-tante Nathalie me montrait des vieilles estampes représentant les marchands de lait appelés leis Patrès. Ils parcouraient la ville de long en large criant dès l’aube :  « Oou bouan lach frès ».

 

 

On y voyait aussi les femmes qui vendent les délicieux oursins fraîchement péchés qu’elles ont ouverts et nettoyés, achalandant le passant en chantant :

 

 

          --  An lou couraou eis Ooussins dé Baraguié !

                                                                                                                                            

 

Lorsqu’ils ne déambulaient pas, tous ces petits marchands s’étalaient sur des Places Appropriées. Le Pavé d’Amour par exemple, était gratuit pour les femmes de la campagne, ces fameuses Bastidanos qui étaient nos aïeules, comme la Petite Place aux Œufs, située près de la caserne de  gendarmerie « aux Trois Mulets ». Ils s’installaient surtout Place Puget qui s’appelait précédemment la Place au Foin, puis la Place des Trois Dauphins.

 

 

Grand-tante Nathalie me décrivit aussi la Foire du Cours Lafayette. Elle me parla de la Taste au Vin, des employées chargées de la fabrication des cigares. Elle me mimait la vivacité de langue de la Peissounièro ou poissonnière. Il y en avait tellement… Le marchand d’appeaux, la  rempailleuse de chaises, les vendeuses de « Pan Négré », pain noir ou pain de munition… les cueilleuses de Fraisos de la Valetto… c’est à dire les ramasseuses de fraises de la Valette, ce quartier chic de la ville.

 

 

Nichée sur le balcon du deuxième étage, je voyais le Boulevard Saint-Germain en enfilade. Les yeux rivés sur les étoiles qui me semblaient différentes de celles de mon Midi j’écoutais inlassablement la conteuse. Dans la journée, je courrais les rues parisiennes. Je descendais la Seine en péniche. Je visitais la Tour  Montparnasse, le Louvre, la Tour Eiffel, Notre-Dame et le Sacré-Cœur toujours venté.

 

 

A cinq heures, je me pointais chez Gallimard, et Edmond Planzat me recevait dans son bureau. Je trouvais, en marge de mon manuscrit, des centaines de notes écrites de son écriture minuscule, détaillant le pourquoi de ce qui ne lui convenait pas.

 

 

Or, il n’y avait finalement pas grand-chose à couper. Juste les cinq passages étalant en  quelques paragraphes la démonstration de la futilité de l’existentialisme en tant que philosophie nouvelle. Mais Planzat, au contraire, prenait un soin extrême à vouloir me convaincre d’encenser  la « religion sartrienne » en cours.

 

 

Pour moi, ce n’était toujours que la fin de la « Courbe » de la pensée humaine toujours placée sur l’obscurantisme, arriérée depuis le début des temps. J’étais comme d’habitude toujours farouchement allergique à toutes les religions. Je résistais énergiquement. Je n’avais pas envie de renier ma théorie, si difficile à mettre au point depuis ma naissance et si difficile à être acceptée.

 

 

Pour finir, début septembre, Gallimard abandonna la partie. Planzat lui, ne se résignait pas.  Il m’écrivait des lettres indignées, des télégrammes hachurés. Il me promettait le Goncourt, le Femina, pourquoi pas le Nobel ? J’étais le petit prodige de la mouvance existentialisme, le petit génie de Saint-Germain-des-Prés.

 

 

Insensible, enterrée dans mon inconscience parfaite,  je disais non, non, non  et  non.

 

 

C’était tout ou rien.

 

 

Je revins à Toulon. La gentry me tourna le dos, vexée d’avoir osé croire en moi. Je les avais bernés une fois de plus finalement. J’avais abusé de leur crédulité. Je n’étais qu’un bidon.   Ils l’avaient toujours su…



28/06/2011
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