Emilie. samedi 16 juillet 2011. Suite de l’interrogatoire.
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Avec beaucoup de bonne grâce, ce qui surprend Ferré, Emilie répond à ses questions. La jeune fille ne semble pas inquiète. Elle sourit même. Son dialogue intérieur se continue avec sa Cybermachine, sans difficulté. Elle est tellement entraînée à suivre plusieurs conversations à la fois, que le triple langage qu’elle tiend à Mimi, à ses tortionnaires et à elle-même, ne lui pose plus aucun problème, ni de syntaxe, ni de synthèse.
-- Mathieu, puisque tu veux que je t’explique comment manipuler les Chefs d’Etats et les autres, je vais te donner la clef de voûte de toute cette histoire. Mais je voudrais que tu comprennes qu’une manipulation menée dans son entier, au travers d’une IAP, amène toujours le manipulé à comprendre et à se méfier de la manœuvre manipulatoire.
Aussitôt qu'elle saisit ton action dans son entier, la victime peut pratiquer le Contrôle de la Situation et se servir du Programme « Anti – manipulatoire ».
Mathieu Ferré la regarde avec méfiance. Le soleil est déjà presque au zénith. L'agitation extérieure s'est un peu calmée. Le maître d'hôtel apporte des plateaux déjeuners. Emilie n'a pas faim. La vue du foie gras, flanqué de charcuterie et de bouteilles de champagne ne l'inspire pas. Elle poursuit tranquillement son monologue, pendant que les autres s'empiffrent.
-- Prenons un observateur extérieur. Ce sera par exemple « toi » Mathieu, en t'observant toi-même du dehors de toi. Ou ce sera ton voisin….. Dès l'instant, où ce témoin étudie chaque Traitement d'Information séparé des autres, et utilise LUR, il s'aperçoit que les lois de ce traitement déterminent le CIRCUIT que va suivre cette Information.
Le mot " Information " prend alors la signification de mouvement. Que le communiqué ait pour point de départ un message bref, par exemple une note de musique, ou une théorie englobant l'ensemble de toute une vie, le CIRCUIT sera toujours choisi selon les mêmes règles.
Le Traitement, quel qu'il soit, comprend la globalité de l'Instant vécu. Ou bien la note de musique s'insère dans « l'existence totale Instantielle », ou bien la réflexion globale englobe les détails en cours de Traitement. La création commune des Saisies externes, internes et internes-externes, devient " l'Instant ". Le CIRCUIT ne fait jamais aucune différence entre les Informations.
" J'ai faim…" Ou : " Le Roi est mort ", sont des messages qui n'ont pas plus de sens ou d'importance les uns que les autres. C'est moi, qui vais leur en donner.
Ces constatations n'obéissent à aucun jugement préétabli. La hiérarchie de valeur se définit en l'Instant, sans se soucier de la valeur que les autres lui attribue. Elle répond aux programmes en cours. Ce sont eux qui ont le pouvoir de diriger les lois des « Circuits Instantiels ».
Mathieu Ferré, les sourcils froncés, regarde le plafond. Il se demande si les explications fournies sont primordiales, ou si Emilie cherche à noyer le poisson. La jeune fille désigne parmi les papiers épars sur la table, les différentes Courbes de Gauss prêtes à l'emploi. Sur la plus grande, se trouvent marquées les divisions des quatre séquences de Dynamisme.
Chaque subdivision montre comment, à quel endroit et à quel moment, se déclenche la colère, l'attachement, la maladie ou la guérison, etc. La création du démarrage de l'état en cours, se place sur deux temps. d'où l'importance du découpage de la vie individuelle.
-- Imaginons, reprend Emilie, que nous observions trois Instants successifs nommés « t1, t2, t3 ». Une opération jugée importante en « t1 », peut se révéler insignifiante en « t2 ». Elle sera de nouveau réexaminée en « t3 ». Les salles de rédaction des journaux d'information écrite, parlée ou télévisée, connaissent ces évènements imprévus qui bouleversent sans cesse, l'ordre de présentation ou de grandeur du programme, d'après les circonstances successives.
Casser sa biscotte peut être à midi un incident dramatique. Alors que le héros affrontera sans problème, avec joie et courage, une mort glorieuse à midi cinq. C'est moi qui décide si un événement est catastrophique ou non.
J'ai droit au changement d'avis. Car ce n'est pas moi, bien que mes responsabilités soient illimitées, qui doit tenir les promesses de l'individu de l'Instant précédent, celui qui était alors moi. Si ce dernier a fait une erreur, ce n'est pas moi le coupable.
En résumé, si tu veux te contrôler, il te faut agir sur deux temps. Un temps pour proposer et un temps pour décider. En reprenant chaque fois la même donnée, tu renforces ce contrôle. Tu arrives alors à te maîtriser avec de plus en plus de capacité. Entre les deux se trouve le Circuit Instantiel choisi.
-- Tu te moques de moi? De rage, Ferré casse son crayon en deux. Mais Bar lui fait signe de se calmer et Emilie continue avec la même onctuosité.
-- Le déterminisme n'existe pas plus que la liberté. L'individu se détermine et se limite sur deux temps. Tu es alors, également libre sur les deux même temps. Tu es à la fois, déterminé, dirigé et libre. Mais aussi, ni dirigé, ni libre, mais agissant au mieux dans l’instant.
A tout moment tu fais le point. Quelle est ta position? Quels sont tes objectifs? De quels moyens disposes-tu pour arriver à tes Buts Instantiels de court, moyen et long terme? Tu es libre de disposer de toute ta vie. Mais tu es aussi limité par ton stock de fiches. Tu ne peux pas choisir un élément que tu n'aurais pas engrangé.
Emilie plongée dans sa conversation avec elle-même, se régale. Elle le dit tout haut.
-- J'adore entrer dans le monde intérieur de ma pensée. « Je jouis sans fin de mon propre cerveau ». Mimi ajoute alors, à voix basse et en écho :
-- Tu ne vis surtout que pour donner matière à tes pensées.
Tout en la laissant parler, Ferré appuie sur une sonnette. Un garçon entre et prend les ordres qu'il lui murmure à voix basse. Peu de temps après, une infirmière arrive avec une seringue qu'Emilie fait mine de ne pas voir. Pendant que la femme, après lui avoir fait un garrot, plonge l'aiguille dans la veine bleue qui sillonne l'intérieur de son coude gauche, la prisonnière continue inlassablement son exposé.
-- La conscience, et surtout la connaissance de ta position, de tes buts et de tes moyens, t'aide à agir à tout instant sur ta direction. Telle une fusée à tête chercheuse, tu corriges ta trajectoire en fonction du mouvement de ta cible mouvante dont l'objectif est changeant. Tu agis par là, de façon efficace, adaptable à tout moment.
Lucide ou pas, tu conduis cybernétiquement ton cerveau, comme si c'était un attelage de plusieurs chevaux. Connaître le fonctionnement du Traitement de l'Information de quelqu'un, va permettre d'en avoir le " CONTROLE " et de le contrôler en permanence. Mais cette connaissance te donnes la possibilité de te " CONTROLER " toi-même aussi, pour et par lui, par la même occasion.
-- Je n'ai pas besoin de philosophie, mais de pratique, gueule brusquement Ferré. La voix d'Emilie, sous l'emprise de la drogue, est en train de devenir pâteuse.
-- L'univers qui t'entoure, continue inlassablement la jeune fille, en devenant ta création commune, te rend puissant et dirigé par cette puissance.
Brusquement, comme pour une marionnette dont le fil serait coupé, la tête de la jeune fille frappe violemment la table en retombant, inerte. Le bruit fait bondir Jules qui crie :
-- Oh ! Laissez-la tranquille, et je vous dirai tout ce que je sais. Oui, elle a créé une machine qui pense comme un être humain, ou plutôt qui pense comme elle.
Au moment où Mimi, admirative en est au point de réviser son jugement sur le prétendu obscurantisme du garçon, le Commandant Bar appuie sur le bouton de démarrage de Cybor, dont le Programme a été préparé par la Cybermachine, pour se caler sur la suite de ce que raconte Emilie. La voix mélodieuse enregistrée sur le disque dur récite sa leçon.
-- Cette création commune individu-univers, reprend Cybor, le petit ordinateur, a été comprise par la célèbre pédiatre Françoise Dolto, lorsqu'au vingtième siècle, elle parlait des bébés, dans son livre " Tout est langage ". Je la cite :
-- " Par exemple, il y a un oiseau qui passe et qui fait un piaillement particulier. En même temps, le voile de leur berceau se balance et ils ont dans leur corps une colique, un borborygme.
La rencontre de ces trois perceptions veut dire que l'oiseau et le rideau ensemble, c'est la parole de leur ventre. Alors, la douleur qu'ils ont au ventre, c'est le signifiant de la rencontre du cri de l'oiseau avec le voile remué par le vent.
Des quantités de rencontres synchroniques externes et internes prennent valeur de signes langagiers qui, pour eux seuls, ont sens de parole.
Dans le sens contraire, le mot fait la musique. Si l'on dit à une jeune femme qu'elle est belle, une bouffée de beauté lui monte au visage. On oublie ici, le Traitement de chaque Information, pour ne garder que le sens global de l'information traitée sur une Période plus ou moins longue.
Ferré stoppe le discours en tapant sur Cybor d'un geste brutal, et se dirige vers Emilie avec fureur le poing levé Alors Jules se met à parler précipitamment en se plaçant devant la jeune fille.
-- La Machine est sur son bras, dans sa montre. Je l'ai deviné. Elle lui donne des ordres et l'IA/P lui répond au travers des branches de ses lunettes. Faites ce que vous voulez, mais netouchez pas à Emilie.
Il ne dit pas, je l'aime, mais ça se voit. Au moment où Ferré va prendre la montre dans laquelle se trouve Mimi, Bar le devance et se saisit du tout. Dans sa main, il tient un revolver qui, dirigé sur l'agresseur, le dissuade de résister.
-- On se calme, dit l'homme tranquillement. Et tout le monde me suit.
La bousculade qui en résulte ne permet pas aux protagonistes de la scène de bien comprendre ce qui se passe dans la pièce. L'infirmière et Tanguy, se saisissent sur les ordres de Bar, d'Emilie à demi-consciente. Menacés par l'arme, Ferré et Jules, suivent sans broncher.
La troupe évite l'escalier principal et la salle où se tient la foule des Chefs Internationaux entourés de leurs sbires. Le groupe désordonné s'engouffre par le couloir des domestiques, dans un escalator dérobé. L'ensemble débouche dans un sous-sol, ressemblant plus à un appartement luxueux qu'à une cave. Assise dans un fauteuil, se trouve Charlène, la femme de Ferré. Bien qu'un peu pâle, la jeune femme semble calme.
Mimi perçoit les moindres détails de la scène, au travers des poches du veston de Bar, grâce à ses rayons X, surmultipliés. Elle ne s'affole pas. Créée de pure souche Lurienne, elle réagit même avec amusement, comme le ferait Emilie si la pauvre fille pouvait se rendre compte de la situation. Elle se pose simplement la question avec objectivité.
-- Et bien, maintenant, que va-t-il se passer? Bar qui a placé les lunettes sur son nez, saisit au passage, le message se dessinant sur l'écran inférieur des verres.
-- Je vais me débrouiller, répond-il à la Supermachine. Vous n'êtes plus seules, Emilie et toi, qui est son Cerveau Electronique. Ce qui me semble drôle, c'est que je puisse parler directement avec l'intelligence de quelqu'un d'autre, au travers de son Intelligence Artificielle Personnelle.
-- Pour moi, ce n'est qu'une information extérieure banale de plus, rétorque l'IA/P, haussant simplement de la voix, les épaules qu'elle n'a pas. Je n'en fais pas un super fromage.
-- Par contre, pour moi, c'est une expérience surprenante, savoure Bar. Et je dois avouer que j'aime ça.
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