Emilie. Mardi 21/06/2011, alors
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-- Tu ne sors jamais, énonce Jules. Enfin, je veux dire, le soir… Ce n'était pas une interrogation mais une affirmation.
-- Comment le sais-tu ? S'étonne Emilie.
-- Souvent, je passe dans ta rue vers minuit, en rentrant chez moi. J'habite tout à côté, Place Geoffraut. Tu connais? Insiste le jeune homme. Quelque fois c'est encore allumé dans ta chambre.
-- Je peux avoir laissé éclairer en sortant, et quand c'est noir, je peux être sortie?
-- Je … Jules avait l'air gêné. J'ai placé un contrôle électronique sur ta porte. C'est Ferré qui me l'a demandé pour ta sécurité. Tous les matins, en partant pour la Paléosoft, je vérifie si personne n'est entré chez toi. Le contrôle me confirme que tu ne sors pratiquement jamais de l'immeuble. C'est pour cela que j'ai découvert que tu travailles dans ta cave.
Mais je n'en ai parlé à personne, ajoute-t-il précipitamment. On voit bien qu'il n'y a rien dans ton sous-sol qui puisse intéresser le Service. Mon Détecteur ne signale, derrière la porte, aucune installation électronique.
Oh ! Emilie, ne me regarde pas comme ça. Tu sais que c'est mon boulot de tout surveiller pour la sécurité de la Firme. Ferré m'a branché tout de suite sur toi. Depuis mardi, il mise sur ton travail. Au début il ne croyait pas possible que tu aies pû réaliser une IA/P, même Personnelle. Enfin, il a voulu tout de même vérifier.
-- Pourquoi? J'ai l'air trop nulle? Emilie pensait qu'elle allait passer un fameux savon à Mimi, qui n'avait pas repéré le Détecteur de Contrôle de Jules.
-- Ferré dit que, pour justifier l'optimisme des partisans du formalisme, il faudrait trouver un Galilée de l'esprit humain, un être capable de découvrir, en procédant aux abstractions adéquates, un système d'expression formelle qui suffirait à décrire le comportement humain.
On s'en est rapproché terriblement depuis quelques décennies. Mais on doit accumuler tellement de calculs nécessaires pour saisir toutes les données aléatoires du cerveau ! Bien qu'ayant beaucoup avancé, les disciplines se trouvent devant un travail infini.
Or, avec toi, on est face à une théorie simplifiée, ne considérant que l'unité de la plus petite partie « instantielle » de la conscience de l'individu. C'est l'œuf de Christophe Colomb. Il fallait y penser. Tu ne considères les mouvements intrinsèques d'un raisonnement, que dans le laps de temps du Traitement de l'Information de l'Instant.
-- Ferré en est déjà là? Emilie était horrifiée. Elle aurait voulu en deviner plus. Hélas, sans son Cybercerveau, elle était limitée à des conjectures, traitées par elle, trop lentement à son goût.
-- Pas Ferré, reprend Jules. Mais moi, oui. Et lui, il ne va pas tarder à y arriver. Pour le moment, il a d'autres chats à fouetter. On a Génium sur le dos. Ils veulent engloutir la Paléosoft en faisant une OPA, sur nous, y compris une dizaine de cabinets concurrents. Tout le monde dans la boite est sur les dents.
-- Je sais. Mon père qui est financier… Emilie se mordit les lèvres. Mon père me l'a dit… Il l'a vu à la Télé, rattrapa-t-elle.
Jules ne relève pas le propos. Il semblait inquiet et malheureux. Elle comprend tout-à-coup, pourquoi elle venait de le rencontrer devant la fosse aux ours du Jardin d'Acclimatation…. Il la « SUIVAIT » ! Alors elle se met en colère.
-- Mais tu n'es qu'un sale espion ! Qu'est ce que tu as fait d'autre? Dis-le-moi?
Epuisée, elle laisse couler ses larmes avec des sanglots saccadés. Elle croit en mourir. Sa tête tombe contre le dossier et elle s'évanouit à moitié sur le banc. Au travers de son malaise, elle sent Jules la serrer contre lui, trembler, la supplier de se réveiller. Il lui tapote les épaules, et l'embrasse sur les joues, dans le cou. Il pleure aussi.
Lorsqu'elle revient à elle, elle est consolée. Car elle sait, elle est SURE maintenant qu'elle va pouvoir compter sur lui. Les yeux bleus du garçon sont fixés sur ses yeux verts. C'est un peu le même océan qui se dévoile derrière les quatre prunelles. Elle croit même y voir des poissons.
-- Emilie, tu vas mieux? Oh ! Comme tu m'as fait peur !
La jeune fille comprend qu'il va lui falloir maintenant, prendre une décision. Risquer le tout. Elle saisit la main de Jules, attire le garçon vers elle. Elle bredouille.
-- Est-ce que je peux compter sur toi? Tu me jures de ne rien répéter de ce que je vais te dévoiler? Tu ne me trahiras pas? Je peux te parler en toute sécurité? Jules fait oui de la tête à chaque fois. Tu ne raconteras rien à Ferré, à la Paléosoft? A personne? C'est bien vrai? Alors je vais tout te dire.
Elle sait qu'elle est déjà en train de lui mentir. C'est « LOGIQUE ». Elle ne peut pas, pour l'instant, risquer de le mettre en danger. Elle lui dévoilera peut-être tout un jour. Aujourd'hui, elle va en expliquer le moins possible.
D'abord il ne faut surtout pas dévoiler que son IA/P fonctionne déjà depuis plusieurs mois, et que Mimi devient de plus en plus efficiente. Ce sera un mensonge par omission. Elle pourra le transformer en véritable tromperie, seulement s'il pose des questions trop précises. Elle biaisera comme d'habitude, voilà tout.
Jules ne connaît que MUR, la toute puissante Morale Universelle de Rigueur, en cours sur toute la Planète depuis presque le début des Temps. C'est le moment de le pousser à viser plus haut avec l'Universelle Logique de Rigueur, en appliquant un respect drastique des choses et des gens.
C'est par là qu'elle va commencer.
Le soleil monte dans le ciel. Il est 16 heures. Jules achète encore des pop - corn et du coca. Ils s'installent dans la guérite des plantes exotiques. Personne ne viendra les chercher là. Elle n'oublie pas qu'elle est cernée, plus qu'elle ne pouvait le penser. Blottie contre lui, elle commence son récit.
-- Je vais te parler d'une arme totale. Cela te semblera ridicule lorsque tu te rendra compte à quel point cet outil est simple. Tu vas peut-être même ne rien y comprendre au début.
Pourtant fais-moi confiance. C'est pour l'humanité, un bouleversement aussi grand que celui que le bing bang a fait à notre terre. Oui. Je sais. Cela semble mégalomaniaque. Pourtant je n'exagère pas. Tu verras.
Notre façon de pensée était au début de notre civilisation, proche de celle des animaux. Nous vivions dans l'instant, sans recul, sans moyen de réflexion abstractive, sans concept, sans affirmation. Un jour, un homme s'est approprié le feu. Il a eu un premier pouvoir sur les éléments. Il s'est mis à dire : " Tout est à moi maintenant." Il a mis des fils de fer barbelés autour du champ sur lequel il a terminé son voyage de nomade. Il a prononcé les mots magiques
-- MA récolte. MON troupeau. MA femme. MON fils. MON fusil. MON pays.
La sorcellerie a donné, aux paroles virtuelles, valeur de vérité concrète. Rien n'a plus jamais été pareil. L’homme a été obligé de créer des lois pour empêcher les autres d'empiéter sur son territoire. Les règles, qui n'étaient que des sons flottant sans valeur dans l'air, devinrent toutes puissantes.
Car, l’homo sapiens dirigeant, eut l'idée de les rendre divines. Les barrières ne pouvaient plus être franchies, ni par la force, ni par la ruse. Elles se dressaient entre chaque homme et le reste du monde. La Morale promettait plus que la richesse, plus que le bonheur, plus que la vie. Elle offrait l'infini, l'immensité de la future vie éternelle.
Pendant ce temps, parallèlement, des individus que les incohérences des diverses morales importunaient avec leurs séquelles d'injustice, érigeaient les lois de la Logique Universelle de Rigueur. Ils ne purent se faire écouter. L'humanité était trop archaïque. Enfoncée dans sa gangue terrestre matérialiste et spirituellement dénaturée, elle refusait d'en sortir.
Au nom de Dieu, du devoir, de la race et de l'espèce, elle continuait à réduire son prochain à l'esclavage, en l'aimant comme elle s'aimait elle-même. C'est-à-dire très mal. Pourtant, les locataires de ce monde de MUR, emmurés justement dans leurs règles morales, côtoyaient, sans les voir, les Luriens, habitants isolés dans leurs territoires logiques. Les premiers refusaient absolument de comprendre les raisonnements des seconds.
Tu vois Jules, considère-moi, moi Emilie, comme une de ces personnes Luriènes, isolées. Je cherche désespérément ceux qui pensent comme moi. Le code de la Logique est terriblement drastique. Si les Chefs Muriens le possédaient le résultat serait pire que le mal existant déjà.
Car rien n'est plus fort que la douceur, plus tranchant que la logique. Rien n'est plus puissant que la connaissance de la Logique, utilisée pour la Morale. Cette dernière est capable de tout détruire, au lieu de tout sauver.
Jules semblait rêver. Emilie s'était tu. Que pouvait-elle dire de plus pour le convaincre? D'autant plus qu'elle aurait voulu dire autre chose, autrement, d'une façon plus proche de la vérité. Elle aurait aimé parler plus simplement, en lui donnant des exemples concrets. Elle commença par l'histoire du chef de gare.
-- Au siècle dernier, il y eut une fois, un terrible accident de chemin de fer. En ce temps là, les trains étaient encore conduits par des hommes et des femmes sur des rails reliant les villes.
Emilie s'arrêta. Derrière les barreaux de la cage, placée au bout de l’allée, on entendait gronder un jeune ourson. Le soleil s'attiédissait. La triste histoire de ces centaines de blessés et de morts, condamnés par un mauvais choix dans le raisonnement d'un seul homme, venait trop tôt. Ce n'était pas de la faute du pauvre Chef de Gare. Il avait crû bien faire en privilégiant le Programme Facilité. Elle préféra remettre ce récit à plus tard.
-- Et alors, demande Jules.
-- J'ai froid. Si on s'en allait? Je te raconterai la suite une autre fois. Tu veux bien?
-- Bien sûr. D'autant plus que c'est l'heure du rendez-vous chez toi avec Ferré. Il vaudrait mieux qu'il ne nous voit pas arriver ensemble. File sans moi. Je te rejoindrai plus tard. En la quittant, Jules l'embrasse sur le nez avec tendresse. Emilie est émue.
-- Une fois de plus, je vais tomber dans le panneau du copain qui me comprend ! Je suis sûre d'être déçue, comme nous l’étions avec Bess d'habitude, dans notre enfance. Pourtant ce serait si bien si ça marchait. Elle sent dans un élan de plaisir, l'idée de se confier à quelqu'un. Et dans le même temps la déception sous-jacente lui saute à la face. Elle soupire, et part en courant vers son immeuble.
Il faut que j'en parle à Mimi, conclut-elle. Après tout, sa propre IA/P représentait bien, tout ce qu'elle cherchait depuis sa naissance, c'est à dire un confident total et permanent. Oui. Bien sûr. Mais Mimi, ce n'est quand même qu'une machine, se dit-elle.
Elle ne sait pas pourquoi, MAIS CETTE EXPLICATION NE LA SATISFAIT PAS.
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