Emilie. Dimanche 19/06/2011. La petite personne
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-- Allo ! C'est Véra…
Emilie se réveille en sursaut, pour la deuxième fois de la nuit. La voix de Véra résonne dans toute la chambre. Elle insiste.
-- Emilie ! Réponds-moi, s'il te plaît. Si tu n'es pas là, ou si tu dors, rappelle-moi dès que tu le peux ! Avant qu'Emilie ait eu le temps de prendre le combiné, l'appel avait été interrompu.
-- Oh! Zut, Mimi ! Pourquoi m'avais-tu branché le haut-parleur pour, tout de suite après, me couper la communication demande-t-elle à sa machine ?
-- Je voulais te laisser le temps de réfléchir à froid. Réveillée en plein sommeil, tu risquais de dire des bêtises. Nous avons maintenant la preuve que Véra est dans le coup du casse de tout à l'heure.
-- Comment cela?
-- Elle est très angoissée, reprend la Cyber-machine. Elle se fait du souci. Elle est au courant du vol. C'est évident. Cela s'est passé à minuit. Il est 2 h. Tanguy et un complice ont fait le coup. Mais au lieu de retourner voir Véra, comme convenu, ils sont quelque part en train de planquer leur butin.
Il faudrait savoir si Ferré est de la partie, avec ou sans la Paléosoft derrière. La prochaine question sera de découvrir qui fait cavalier seul.
-- Mais comment sais-tu tout cela? Emilie est ahurie.
-- Simple déduction. Véra s'est trahie. Maintenant que tu le sais, rappelle-la, tout de suite. Surtout ne lui laisse pas deviner que le cambriolage n'a ramassé que des broutilles ! Prends une voix « super » angoissée. Courage petit.
-- Qu'est-ce qui te prend ? Tu deviens maternelle ? Ce n'est pas prévu dans le contrat. Tu es MON Intelligence Artificielle, MON Cerveau Virtuel, MA propre Machine. Pas ma maman.
-- Mais si, justement. Dès l'instant où tu m'as programmée, tu as prévu que je serai complète et surtout autonome. L'ensemble comprend tous tes rouages, avec la subtilité de ta Petite Personne et de ta Grande Personne. Tu es en train de privilégier la Petite en t'occupant uniquement de ton petit confort…. Heureusement, d'ailleurs. Je ne te le reproche pas. Car, si tu te négligeais, tu nous ferais des crises de nerfs que la Grande Personne serait obligée de gérer. Je préfère prendre les devants, te materner et te garder lucide pour t'empêcher d'en arriver à la déprime. De là, tu serais capable d'aller jusqu'à l'effacement total ! En nous privant de ton précieux « moi ». C’est à dire « toi ». Tu arrives à suivre ?
En ce moment, je me sers de ta Grande Vision transcendant le Futur. Je m'identifie à ta Grande Personne. Ainsi, dans le cas présent, je te rappelle Véra au téléphone, pour qu'illico tu reprennes en main notre situation.
-- Un jour, tu pourras parler à ma place, soupire Emilie. Je ne sais pas si ce sera plus agréable, ou si je me sentirai mise au rancart et dépossédée de quelque chose de ma vie ? Cela a beau sonner, Véra ne répond pas ? Enfin, elle décroche.
-- Ici Véra à l'appareil. Ah, enfin c'est toi Emilie. Tu vas bien?
-- Oui. Pourquoi me réveilles-tu au milieu de la nuit pour me demander de mes nouvelles?
-- Oh ! Véra parut surprise. Ne sachant trop quoi dire, elle bredouilla : C'est que moi, en ce moment, j'ai des cauchemars et j'ai rêvé que tu avais besoin de moi. Je suis un peu énervée à l'idée de me faire faire un blocage utérin, ajouta-t-elle, comme pour s'excuser.
-- Tu vas réaliser un « B.U », s'écrie Emilie abasourdie.
-- Oui. J'ai trouvé quelqu'un de remarquable acceptant que je me prépare à avoir un enfant de lui, me laissant libre de le mettre au monde, seulement lorsque je m'en sentirai capable.
Emilie trouvait le truc stupide, sans pouvoir dire vraiment pourquoi. Un « B.U » était pour une femme, une solution de facilité. Cela signifiait une fécondation in vitro, sans rapport sexuel perturbant, impliquant un résultat immédiat de grossesse. De cette façon, la femme reste seule maîtresse de la date choisie pour sa maternité. C'était un progrès bien sûr. Mais psychologiquement le procédé n'avait pas fait complètement ses preuves. Naturellement, il avait ses détracteurs. C’est pourquoi la méthode était confidentielle. Même les médias n’en parlaient pas.
Une fois l'ovule prélevé, fécondé en éprouvette et réimplanté sur la future mère, le fœtus était bloqué dans sa croissance, à trois jours. Lorsque la mère porteuse, se sentait prête, deux ans, cinq ans après, à poursuivre sa gestation, l'évolution était remise en marche et poursuivie jusqu'à la naissance.
L'opération avait pourtant quelques avantages. La femme n'avait plus du tout besoin de contraceptif. Sa grossesse maintenue en stand by, la rendait plus belle. Elle pouvait se préparer psychiquement pour le moment idéal prévu pour la venue du bébé.
Elle pouvait choisir la date la plus favorable, le lieu adéquat pour l'accouchement. Et naturellement, le fœtus était contrôlé dès le départ, avec la sélection des spermatozoïdes. On les choisissait sans tare, sans maladie génétique, choix du sexe compris.
-- Je sais que tu me trouves idiote, continuait Véra. Mais attends d'avoir trente trois ans, comme moi, et nous verrons alors de quelle façon tu réagiras.
-- Tu vas demander au père de renoncer au partage familial? Emilie sentit que Véra hésitait avant de répondre.
-- Je ne lui ai pas encore parlé des formalités.
-- C'est pourtant ce que tu souhaites?
-- Je ne sais pas. Véra se racla la gorge. Il était évident que le futur participant était Ferré. Les termes dans lesquels elle en parlait étaient éloquents ! Personnage remarquable… très compréhensif… qui accepte la préparation… La déférence désignait tout de suite le MAITRE. Mais Ferré était marié. Quelle salade. Emilie revint à ses propres soucis.
-- Je comprends que tu cauchemardes. Mais figures-toi que moi aussi, j'ai eu une angoisse. Je viens d'être cambriolée.
-- Alors? La respiration de Véra devint plus rapide. Tu n'as pas eu de mal? J'avais peur, sans nouvelle… Je veux dire que dans mon cauchemar… Qu'est-ce qu'ILS t'ont pris. Elle avait dit « ils » au pluriel.
-- Moi, je n'ai rien. Mais ils m'ont piraté Cybor et pas d'autre dégât. Tu ne trouves pas ça curieux?
-- Si. C'est drôle. Ah, on sonne. Cela doit être Tanguy. Je raccroche. Au revoir.
-- « Tut, tut, tut ». Emilie regarda machinalement le boîtier de Mimi, devenu doré. Elle comprit qu'une couleur riche, l'or particulièrement, signifiait pour Mimi, le contentement. Elle se demandait même si, parfois, elle ne l'avait pas entendue ronronner de plaisir. Peut-être n'était-ce que de simples expériences en vue de se reconnaître de nouvelles capacités. Mimi lui avait donné une fois l'illusion d'images tridimensionnelles, posées en relief sur son couvercle.
Emilie se demanda si sa machine ne serait pas capable un jour, de se transformer en objet signifiant. Peut-être en chien, ou en enfant, sorcière, fantôme dématérialisable et rematérialisable à l'autre bout de la planète. Et de quel volume? Emilie se voyait en pleine science fiction. Où Mimi pourrait-elle prendre les matériaux nécessaires à ses transformations?
Mais bien sûr que si ! C'était bien possible ! Elle les avait sous la main finalement, avec les rideaux, le pain dans la cuisine, la boite à chaussures, le COUTEAU !
Elle était déjà capable d'enregistrer les couleurs, les odeurs, les sons. Elle pouvait les engranger, les traduire en paroles. Elle savait changer d'allure, devenant bleutée, rose, orangée pour exprimer son humeur. Elle grinçait, crachotait, faisait du bruit. Elle CHANTAIT.
Elle arrivait aussi à diffuser des odeurs bizarres, à partir des particules de parfums qu'elle emmagasinait, copiant tout simplement son Modèle, la fameuse « Tour Sensitive » du savant Scheiffer, à Bruxelles.
Pourquoi alors, ne pas doter un double, de roues, de leviers, de poulies? Il lui serait possible de se déplacer, comme la tortue que Grey Walter avait créée dans les années 20, au siècle dernier. La bestiole circulait dans les pièces.
Elle évitait les obstacles. Lorsqu'elle avait faim, elle allait se brancher sur la prise électrique pour recharger sa batterie. On avait poussé le luxe jusqu'à lui donner l'allure d'un vrai Trionyx, avec une véritable carapace. Elle couinait même, lorsqu'elle était contrariée.
Mais pourquoi pas? Cela faisait longtemps que les poupées dialoguaient avec les fillettes, pleurnichant mécaniquement pour avoir un biberon. Par contre, pour Mimi, les choses seraient plus complexes, puisqu'elle PENSAIT ? Serait-il possible qu'elle puisse échapper alors, à tout contrôle?
Non, non. Emilie chasse cette idée de sa tête.
-- Je sais ce que tu penses, chantonne Mimi.
-- Ce n'est pas vrai.
-- Tu as raison. N'est pas vrai ce qui est vrai. Est vrai ce qu'on croit. Rassure-toi donc. Songe au présent. Maintenant, nous avons la confirmation de l'identité des malfaiteurs et de leur complice. Désormais il nous faut connaître le chef de la bande. Ferré? Agit-il pour son propre compte? Pour la Paléosoft? Pour d'autres intervenants extérieurs? Pour lesquels?
-- Oh, je n'en peux plus. Pitié, Mimi. Laisse-moi dormir un peu. Mes circuits fatigués ne sont pas électroniques.
-- D'accord, reconnut le Cyber-cerveau avec regret. J'éteins et je filtre les appels.
-- Je ne suis plus là pour personne, baille Emilie déjà endormie.
-- Pour PRESQUE personne, murmure la machine. Tu es là pour toi. C’est déjà beaucoup. Si un individu ne sait pas qu’il peut vivre avec lui-même, rire de tout, s’amuser avec les autres, jouer comme un enfant, il ne sait pas qu’il est immortel.
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