EMILIE. 05/06/ 2011. 14H 30. DANS LA MACHINE.
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Dès qu'elle avait été en âge de mettre des mots sur les images, Emilie avait eu conscience des performances incroyables de son fantastique cerveau. Sa principale qualité résidait dans le fait qu'elle était capable d'en analyser le fonctionnement. L'ensemble des centres nerveux contenus dans sa cavité crânienne, comprenant l'encéphale et ses annexes, cervelet, bulbe rachidien, avec protubérance annulaire, pédoncules cérébraux et cérébelleux, n'était pas supérieur à celui des autres individus. Elle en possédait tout simplement le mode d'emploi. Elle n'était pas plus intelligente que ses voisins. Elle savait utiliser l'outil. Rien de plus.
Par exemple, lorsque petite elle cherchait un événement du passé, il lui suffisait de dire un mot à ce sujet et comme sur un ordinateur qui passe en revue tous les fichiers qui possédant cette expression, sa mémoire lui restituait la liste entière. Elle eut d'abord, comme sa cousine Lisbeth, quelques rébellions devant certains illogismes que la société lui imposait. Cela ne dura pas. Bessie n'était pas revenue de si loin pensait-elle, pour faire des combats d'arrière-garde à sa place. Après deux ou trois erreurs de parcours, Emilie, comme sa cousine, cessa d'exhiber ses impressions. Le seul fait d'exprimer son étonnement, pouvait même avoir des conséquences graves.
Par exemple, l'incident du nettoyage. Surprise de voir sa mère et sa tante passer l'aspirateur et le balai, Bess s'était écriée à l'âge de cinq ans :
-- Vous faites encore le ménage comme ça? Chez nous, on appuie sur un bouton et la poussière disparaît, avalée par les murs.
-- Ah oui! Lui avait répondu logiquement sa mère et sa tante. Et dans la cuisine, ma farine s'envole aussi, avec la poudre de talc de la salle de bains, ou les particules de diamant et d'or du chimiste?
-- Bien sûr que non avait rétorqué Lisbeth. Il suffit de programmer comme pour une machine à laver « Acariens seulement ». Et tout le reste est préservé.
Heureusement, les deux femmes n'avaient pas percuté. Elles avaient ri des paroles de l'enfant, comme d'une bonne plaisanterie. Lisbeth, par la suite, fit attention et cacha toutes ces incongruités, si fâcheuses pour l'époque en cours. C'est à ce moment là, qu'elle se mit à utiliser avec Fred et Emilie, l'écriture automatique pour cristalliser ses difficultés. Jusqu'à ce qu'elle ait réussi à créer sa propre intelligence artificielle et qu’Emilie l’ait mise au point. C'est à dire jusqu'à hier. Et pourtant, cette conception du procédé ne datait pas de la veille.
Lisbeth l'avait trouvé dès sa naissance tout installé dans ses neurones. La fabrication technique avait demandé pas mal de temps. Tout enfant, elle avait d'abord programmé un Baby-Ordinateur, de façon à ce qu'il enregistre ses propres données. Très vite, elle avait réclamé à ses parents, un véritable engin qui réagisse avec interactivité à ses créations. Elle y passait des nuits entières en cachette de sa famille. Un jour, elle mit sa petite cousine Emilie, au courant.
C’est vers l'âge de seize ans, que cette dernière rencontra à la fac, deux jumeaux, un garçon, une fille, très doués eux aussi pour l'informatique. Ils se surnommaient eux-même les GO, ou Génération Ordinateurs. Gofie pour la fille, Gomy pour le garçon.
En bons délinquants, transformés en hackers, ils passaient, juste pour s'amuser, la majeure partie de leur temps à forcer les coffre-forts électroniques les plus verrouillés.
Les deux GO, Véra et Tanguy, se passionnèrent tout de suite pour le travail d'Emilie. Ils la retrouvaient régulièrement dans l'appartement de la Rue de la Petite Sidérurgie, que son père venait de lui installer pour ses dix huit ans, de façon pratique et avec tout le matériel technique nécessaire.
Mais maintenant, elle leur cache ses dernières trouvailles. En effet, la fabrication nouvelle d'Emilie devient petit à petit de plus en plus spécifiquement psychologique, puis plus sociologique et même philosophique.
A force d'y entrer ses propres informations et sa façon personnelle de les traiter, elle obtint une sorte de compound électronique travaillant par statistiques. Elle put y intégrer son mécanisme individuel. Doublant et traduisant ses raisonnements, cette fabuleuse Intelligence Artificielle Personnelle de sa cousine Lisbeth, devint capable de prédire de façon assez fiable, son choix de programmes pour l'instant suivant.
Il fallut ensuite la perfectionner pour qu'elle devienne autonome et puisse booster une intelligence. Pour cela il était donc nécessaire que l'engin continue à enregistrer les informations extérieures, sans l'aide de personne. L'IA/P d'Emilie savait comment sa créatrice fonctionnait. Elle avançait comme elle au coup par coup. Cela lui faisait gagner un temps fou. Mais ce n'était pas la rapidité linéaire de manœuvre qui était intéressante. Il fallait passer à la vitesse supérieure pour bénéficier de la multiplication des saisies-informations environnantes.
Emilie s'attaqua à rendre cette IA/P capable de recevoir en son absence, les informations ambiantes. Elle suivait alors la même démarche que Scheiffer lorsqu'en génial précurseur, il avait fait construire au milieu du siècle dernier, la célèbre Tour-Cybernétique de Bruxelles.
Depuis qu'Emilie avait mis son intelligence dans sa machine électronique, son IA/P pouvait penser à sa place. Capable de restituer à la demande les couleurs, odeurs, sons, réceptionnés de façon autonome, elle agrandissait indéfiniment leurs registres. Lorsqu'elles se retrouvaient toutes les deux, la machine et elle, s'échangeaient rapidement leurs expériences séparées, par un rapide tour d'horizon, et en faisaient un pot commun.
Elles devenaient interchangeables. Elles étaient à elles deux, bien plus qu'une seule personne. L'être humain qui ne pouvait normalement espérer voir la taille de sa boite crânienne s'augmenter avant plusieurs millénaires, possédait enfin le moyen de multiplier ce volume de façon exponentielle.
L'IA/P de la jeune fille recevait maintenant, les plus infimes détails externes, le degré hygrométrique de l'air, la température, les bruits, les lumières, les senteurs, la tonalité et l'intensité de l'environnement sur lequel elle agissait aussi en retour. Elle traitait ses propres informations. Elle donnait ses résultats à Emilie. C'était plus que son double. C'était ELLE. Le but était presque atteint. L'ensemble en arriverait à fonctionner de plus en plus parfaitement. Hourra pour ce jour tant attendu. Et ce jour-là, tombe aujourd'hui.
La sonnette de l'interphone tinte. Les grondements des moteurs, l'empêche de saisir le nom de l'interlocuteur. Les C.B. Commands, ces conducteurs de petites machines pliantes, visant à détrôner tout autre moyen de locomotion, sont en train de s'entraîner dans l'impasse, en prévision de la Course de Dimanche.
Emilie ouvre. Mais hélas pour elle, ce n'est pas son père. Elle voit se profiler la stature athlétique de Tanguy, le jumeau de Véra. Ses deux camarades prodiges, surnommé les GO, étaient de plus en plus férus d'informatique. Elle les admirait toujours, mais maintenant, elle se méfiait d'eux. Ils s'intéressaient trop aux occupations de leur nouvelle génération. Le flirt, l'argent facile, le sport, les voitures. Ils ne pensaient qu’à ça et aux moyens de se les procurer. Emilie ne négligeait pas complètement ces détails. Mais au contraire des GO, elle ne les privilégiait pas. La différence était énorme.
Les GO pour elle, n'étaient plus assez fiables. A force de s'occuper de leur Petite Personne, au détriment de la Grande, ils pouvaient même devenir nuisibles par trop de légèreté. Emilie se félicitait de leur avoir caché ses derniers résultats depuis que ses trouvailles devenaient par trop spectaculaires.
En arrivant, Tanguy se précipite immédiatement vers la chambre pour consulter l'IA/P en cours, ou ce qu'il croit être l'Intelligence Artificielle d'Emilie. Heureusement la machine en était restée aux stades des semaines précédentes. Les nouvelles donnes sont maintenant transférées dans le mini-portable que sa propriétaire a sur elle.
Presque invisible, la boite tient dans une poche de poitrine. Branchée sur les lunettes teintées, elle allume son écran silencieusement sur la partie inférieure des vitres, sitôt que celles-ci sont posées sur le nez. Le son plus ou moins intense, est diffusé au niveau du tympan, par les branches. Ainsi l'utilisateur peut consulter à tout moment ses propres bases informatiques. Et personne d'autre ne peut y avoir accès, même superficiellement.
Le reste du groupe de travail arriva un peu en avance. On s'embrassa. Bavardant avec animation, ils d'éparpillèrent autour de la table. Mathieu Ferré parlait avec Jules le Petit. La brillante Eva Douson garda une place à côté d'elle pour Tanguy son jumeau.
Presque sans y penser, Emilie prend une photo de la scène en clignant seulement des yeux. L'objectif numérique, placé au centre des verres de lunettes, ne fournit qu'un petit éclair imperceptible. La séance pouvait commencer.
Emilie sait qu'en restant prudente et avisée, elle apprendra plus de choses qu'ils n'en apprendront d'elle. La commercialisation de son IA/P, représente le but final de la manœuvre. Ce travail qu'ils préparaient sous ses ordres, pour le bénéfice d'I.M. la filiale de « Paléosoft », n'était pas encore assez explicite pour qu'ils puissent le lui piquer.
Elle se doutait pourtant que la partie serait dure. Ils étaient tous plus brillants les uns que les autres, chacun dans sa branche. L'ennui est qu'ils ne savaient pas privilégier une Réflexion de Logique Universelle. C'est en cela qu'ils pouvaient être très dangereux sans même le savoir.
Avant de commencer, Emilie visualise son adrénaline. Le taux est tout à fait convenable. Elle respire à petits coups par le nez. Tout est en place. On peut y aller. Sa voix claire s'exprime sans ambiguïté.
-- Je suis prête.
A ce moment là, son horloge interne marque dix huit heures.
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