Lisbeth. 24/11/2011 Suite du Café Philo.
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Rien que de repenser à hier après-midi, j’ai des frissons. Alors qu’au tout début de ce Café Philo axée sur mon thème « Puis-je dire ce que je pense ? », j’étais en train de rêver à une rencontre possible entre ces brillants cerveaux et ma pauvre cervelle, claire pour moi, mais empêtrée dans un langage qui n’est pas le mien et que je n’arrive pas à maîtriser, Mireille recevait les réflexions érudites des uns et des autres.
Les citations de Platon, Socrate, Boudha débattaient du langage et de ses pièges, plus que de son utilisation. Elles étaient suivies d’une encolure par celles d’Hugo, copié par Bigard dans son fameux sketch de la chauve-souris enragée illustrant la rumeur non fondée. Camus, Maupassant se mélangeaient avec Marc Aurèle pour montrer que la langue est une alliée bien difficile.
Je rosis de plaisir en voyant paragraphe 5, dans le texte poétique offert par Mireille, ma phrase préférée : « N’est pas vrai ce qui est vrai, est vrai ce que l’on croit ». Bref, je buvais du petit lait. Cela ne dura pas.
Une fois le débat commencé, je voulus expliquer le pourquoi de quelques unes de mes définitions exposées dans mon propre document, celui que chacun des participants avait dans les mains. Ce fut un tollé général. Aucun des seize mots clés ne trouva grâce à leurs yeux.
Les arguments visant à abattre ma façon de penser, pleuvaient de façon tellement dualiste que je n’arrivais pas à en réfuter un seul. Les formules du genre : « C’est vrai, et pas vrai en même temps ». Ou « Ni j’y crois, ni je n’y crois pas » et « J’y pense en n’y pensant pas », ne passaient pas la rampe. J’étais atterrée.
En face de moi, de l’autre côté de la salle, mes « chers » amis Marco et Clara, faisaient des avions avec mon « cher » document, en mimant un décollage dans ma direction. Cela me semblait si drôle qu’un papier d’une telle lourdeur puisse s’envoler, que je leur fis signe de me le lancer.
En même temps, je pensais que j’allais le récupérer pour pouvoir le redonner à d’autres arrivants potentiels. Mais au moment où je vis arriver les projectiles dans ma direction, j’eus la sensation, en me précipitant au milieu de la salle, pour les ramasser, qu’en quelque sorte ils me les avaient jetés à la gueule.
J’allais me rasseoir à côté de Frank, avec ces trois sensations mélangées. Elles faisaient partie d’un tout indissociable et multidimensionnel. C’était drôle de voir mon papier indigeste devenir deux légers avions… en même temps c’était pratique et économique de récupérer ces deux exemplaires… mais je voyais aussi se dresser devant moi, l’impression que j’étais bafouée et que mon lourd cadeau refusé m’arrivait dans la figure.
Surprise par cet amas de sensations multiples, je ne réalisais pas tout de suite que Frank était en train d’engueuler Marco qui pourtant est un de ses meilleurs amis, qu’i apprécie pour sa délicatesse ! Il le traitait carrément de grossier personnage, malpoli, méprisant le travail des autres, mes efforts, mes quarante euros de photocopies, mes heures passées sur ordinateur.
Marco essayait de se défendre maladroitement. Mireille bouche ouverte, tournait la tête de droite et de gauche pour essayer de suivre les moulinets d’épées verbales du duel. L’assistance igée assistait au combat sans rien dire. Je ne savais plus où donner de la réflexion. Finalement le bruit s’estompa. Le thème «Peut-on dire ce qu’on pense ?» repartit incident clos, comme si de rien n’était.
Et bien, vous me croirez si vous voulez ? En sortant Frank et Marco étaient plus amis que jamais. Je n’en revenais pas. Ils restaient plantés avec Clara, tous les trois, sur la petite place devant le café, entourés des assistants de l’incident, tous plus excités de joie les uns que les autres.
De là, les uns entraînant les autres, on passa à un autre Café Philo situé de l’autre côté de l’Avenue pour retrouver d’autres penseurs en train de débattre d’Alain Badiou, génie lumineux pour les uns, et pour les autres une sinistre ordure ayant déclaré en 79 que les massacres de Pol Pot et des Khmers Rouges n’avaient jamais existé. Les premiers disaient qu’ils ne l’avaient pas dit. Les seconds montraient, livres édités à l’appui, qu’il l’avait écrit.
Je crus qu’on allait en venir aux mains. Passionnée comme toujours par l’instant en cours, j’en profitais pour oublier le fond de ma pensée au sujet de la non violence et le fait que je ne peux jamais dire ce que je pense, tellement les batailles excitent tous les esprits.
A la fin de la discussion proche de la bagarre, et juste avant l’empoignade finale, l’heure de clore le débat ayant sonné, les dissidents bras dessus, bras dessous, descendirent comme un seul homme dans la salle de restaurant.
Agglutinés autours d’une même table, ils commandèrent dans la plus parfaite euphorie, un repas d’amitié, oubliant Badiou et son mépris pour les Cafés Philo qu’il traite de philosophie de comptoir, pour ne pas dire de bazar.
Mireille, Gillou, Frank et moi accoudés au bar, restèrent un peu à l’écart, assommés de fatigue. Gillou parla de son enfance malheureuse, Mireille de la sienne qui semblait guère mieux, moi de la mienne quasiment du même genre. Seul Frank avait eu une jeunesse normale….
On se quitta bons amis, mais si fatigués que nous étions presque inexistants. Je rentrais me coucher si énervée que, sentant à peine mon désespoir glacé courir autours de mon crâne, je ne pus dormir de la nuit. Quelques minutes de sommeil entre cinq et dix heures me permirent de me réveiller la tête lourde mais présente.
En descendant l’escalier de ma mezzanine, je découvris que Frank était entré subrepticement chez moi pour s’occuper encore d’une fuite sous mon évier, qui s’était déclarée au mois de Juillet...
Avec élégance, il ne souleva pas le problème de la déception qu’il avait décelée chez moi la veille, lorsque j’avais baissé les bras devant l’impossibilité de partager mon univers avec les autres. Au contraire, il ne me parla que de choses positives, de l’Atelier du soir qui allait traiter de la possibilité d’une Société sans brutalité et du fait qu’ils avaient décidé avec Patrick de diriger toute cette affaire, puisque j’en étais incapable.
Son discours ne m’a pas vraiment revigorée, mais il m’a rassurée en quelque sorte. Ma Petite Personne elle au moins, allait être prise en charge concrètement. Ses états d’âme confus seraient pris en compte par ma Grande Personne. Pour l’instant et pour l’instant au moins, je n’avais plus qu’à la boucler, respirer un grand coup et boire un verre d’eau. Alors, en attendant la lutte suivante, voici quelques phrases du merveilleux texte de Mireille :
« D’abord j’avais classé en deux roides colonnes quand on peut et quand on ne peut pas exposer le fond de sa pensée, et quand on peut oser, et quand la cloche sonne ».
« Et puis j’ai bifurqué, un peu grâce à Molière : Alceste est quelqu’un qui se trouve confronté au drame quotidien de la sincérité, contre la Cour entière ».
« Je fis donc appeler les arguments divers : ils vinrent présenter chacun leur point de vue, et c’est toute une armée que je passe en revue et que je mets en vers ».
« JE NE PEUX PAS PARLER SI CA FAIT DE LA PEINE. » C’est un argument fort. Mais c’est moins sur le fond que sur la forme, la manière et la façon, que l’esprit nous dit : «Freine».
Moi Lisbeth, je cesse de recopier le texte qui comporte six pages pour ne retranscrire que le dernier paragraphe, en conseillant de commander l’ensemble, qui comprend entre autre, les alinéas comportant des éléments d’explications complémentaires. Voici la belle conclusion de Mireille :
« Et la psyché brisée désormais balayable ne freina plus mon cœur pour parler avec vous : Osez en faire autant ! Vous verrez qu’il est doux d’être à la même table, nous parler cœur à cœur, évitant de blesser, chacun étant compris puisque restant soi-même, heureux de partager nos joies et nos « Je t’aime », partager nos pensées…. ».
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