Lisbeth. Dimanche 24/07/2011. Neptune, géant des mers.
Quelques temps plus tard, la voix de l’immense robot, résonnait de nouveau dans la salle des interrogations du Château de Tourssy.
-- Allo. Ici Hermelin. Je suis avec Aldo et les C.B.Commands, sur la plage de Fougerolles, cinq cents mètres à vol d'oiseau, de la Crique du Tourssy. Seule une falaise très élevée nous sépare. Heureusement, car sans cela nous risquerions de nous faire remarquer. La descente à travers la dune et les rochers de la colline a été périlleuse. Le camion a failli verser trois fois.
Enfin à pied d'œuvre, je vais, hors de vue du château, entrer dans la mer. J'arriverai par l'eau, comme convenu. Je serai invisible puisque immergé. Je passerai sous le grillage qui empêche les bateaux d'arriver par la « baie privée », jusqu'au port de la forteresse. Lisbeth se prépare maintenant, à entrer dans mon torse.
De la salle du Q.G.Lurien, les spectateurs pour la plupart médusés, voyaient Cybor relayé par Mimi, présenter sur son écran les préparatifs de la grosse machine. Lisbeth pénétra par un interstice situé sous l'épaule droite d'Hermelin. Mais au moment où la porte minuscule allait se refermer, le chat de la concierge bondit, et se précipita à l'intérieur.
Le périscope aérateur se dressait au dessus du grille pain servant de tête à l'engin. Le « Cyber – Outil » se met en marche et entre dans l'eau, pendant qu'une mélodie planante, faisant partie des créations de Lisbeth, se déclenche.
-- Oh, Herm ! S'écrie celle-ci qui regarde par le hublot du torse. Je vois une tortue géante.
-- C'est une Carette-trionyx de mer. La voix grave se détache sur le fond musical. Ce Tartarica est un des rares reptiles parfaitement adapté à la vie dans l'eau. Ses pattes se sont aplaties et presque transformées en nageoires. Ainsi, elle navigue beaucoup mieux que ses consœurs vivant dans les marais, et qui se servent de leurs appendices à la manière de rames. La Carette les utilise comme si c'étaient des ailes. Ses qualités de nageuse feraient pâlir un champion olympique de brasse coulée.
-- Mais elle est énorme !
-- Elle fait un mètre cinquante et pèse cent cinquante kilos.
-- Elle bouge plus vite qu'un poisson.
-- C'est un des tétrapodes les plus rapides qui soit. Mais elle est très flemmarde. Lorsque, pour une petite sieste, elle flotte à la surface, elle ne voit même pas venir les pêcheurs et leurs bateaux. Ils arrivent souvent à la capturer avant même qu'elle ne soit sortie de sa torpeur.
-- Comment sais-tu tout ça ?
-- Je me suis branché sur le programme océanographique du Commandant Cousteau. Ce marin a vécu au vingtième siècle. Il a inventé la plongée sous-marine à Toulon, en méditerranée, pas très loin de la maison de vacances de ta famille. Sa documentation très remarquable est adaptée ici, aux CtM.
Je peux encore te dire que cette Infernale Tartare Chélonienne pond environ, de cent à cent soixante œufs. Elle confie au soleil le soin de les couver. Cuirassée comme un sous-marin, elle n'a pas d'ennemi, sauf les squales et l'homme. Sa grande sœur, la tortue Luth, mesure trois mètres et pèse de six à sept quintaux. Sa cousine la Cistude imbriquée tire son nom de ses écailles disposées comme des ardoises sur un toit. Quand à la Verte, elle est considérée comme étant la meilleure pour faire la célèbre soupe chinoise Chi Yu.
-- Quelle horrible chose, s’exclame Lisbeth. Mais son chagrin s'efface devant le spectacle grandiose qui s'offre à sa vue.
Au dessus de l'étrange sous-marin, des oiseaux rendus curieux par cette bizarre mécanique inconnue, tournent en poussant des cris incessants. Extrêmement comiques, ils se saisissent par l'aile ou par la patte, comme pour jouer.
Ils se bousculent et voltigent sans se lâcher. Tout en se battant, ils tombent tels des pierres vers la falaise, ne se séparant qu'à la dernière seconde. Leur enchevêtrement éclate alors, et s'éparpille, juste avant de toucher les rochers ou la mer. Les grognements et vociférations semblent représenter des scènes de ménage interminables. Lisbeth voit que certains d'entre eux possèdent sur le bec une petite trompe jaune.
-- Qu'est-ce que c'est que ces petits rhinocéros volants?
-- Ce sont des macareux Cormis, renseigne tranquillement l'érudite machine. Je les filme actuellement avec ma webcame. J'ajuste l'image sur le logiciel approprié, qui me retransmet toutes les données concernant le sujet visé. Je n'ai plus qu'à faire un tri et choisir le langage adapté à la scène en cours.
Par exemple si nous nous trouvions tout à coup, sans préavis, dans une situation très urgente, le programme, quel qu'il soit, se brancherait automatiquement sur le signal d'alarme. Immédiatement il laisserait tomber complètement mon cours d'ornithologie. Nous, IA/P, nous agissons exactement comme vous les humains.
A cette différence près, que nous avons accès à une documentation plus grande que tout ce que vous pourriez espérer apprendre en toute une vie, ou connaître informatiquement en une seconde. Nous savons classer, trier et choisir la bonne info en une seconde. Voilà à quoi entre autre, nous pouvons vous servir.
Le Net d'une part, et d'autre part, les divers commentaires que les entreprises, ou les ministères font circuler, accumulent en mon disque dur, plus de matières qu'une bibliothèque nationale ne pourrait engranger. Je peux par exemple, te dire en un clin d’œil, que le Macareux à aigrette qui passe à ma droite, au dessus de nous, est le plus gros de son espèce.
-- Il est ridicule avec ses plumes en forme de cornes recourbées de chaque côté de sa tête. On dirait un bélier, ou un cerf. J'avais vu son image en classe, dans un livre d'histoire naturelle. Il se tenait à côté du Guillemot à Miroir. Celui qui n'aime pas les voyages, et qui reste avec ses petites mitaines, indéfiniment sur les mêmes glaces, toute sa vie.
Tout en écoutant sa passagère, Hermelin s'est enfoncé dans la mer. Il marche sur un sol de fins galets. La pente descend abruptement. Sa tête est devenue invisible. Transformée en timonerie, elle recueille les informations nécessaires à sa navigation momentanée. Il ne perd presque pas pied et flotte seulement à cinquante centimètres au dessus des cailloux. Mais il a besoin de savoir à tout moment, où il se trouve et dans quelle direction il doit aller.
Devant son tableau de bord minuscule, se trouvent en modèles réduits, tous les instruments nécessaires à ses déplacements. Le Sonar, le Decca, le Radar, la Boussole, le Compte Tour, et même une carte du fond océanique répondent à toutes ses questions.
Si le système de radio et le Decca ne lui servent pas à grand chose, en revanche, le Sonar lui indique la distance entre ses pieds, qui représente en l'occurrence, la coque du bateau, et le fond. Mais l'appareil le renseigne aussi sur la nature du terrain et les mouvements des différents bancs de poissons. Le Radar prévient de ce qui se trouve autour de lui, et à la surface. Le rayon qu'il émet est réfléchi par tous les objets qu'il rencontre et l'image qui en résulte se dessine sur un écran de surveillance. On croirait découvrir l'intérieur d'un aquarium, filmé derrière sa vitre.
-- Je vois des poissons ! On dirait des dalmatiens. Ils sont blancs à pois noirs, s’écrie Lisbeth avec admiration. En regardant par la fenêtre située sur la poitrine d'Hermelin. Elle manque de glisser de la barre en fer qui lui sert de siège.
-- Ce sont des Coris Formosa. Et à côté d'eux, ressemblant à une grosse lune bleue qui se serait mit une auréole claire tout autour des écailles, se tient l'Acanthurus Leucosternon, dit Poisson Chirurgien à gorge blanche. Son frère, l'Acanthurus Linéatus, qui est le même en rayé, nage avec fidélité à ses côtés.
-- On croirait qu'il s'est mis un tee-shirt beige à rayures mauves, chacune soulignée d'un fine ligne noire. Et cette grosse chose ? Oh, attention, Herm, c’est un monstre !
En effet, une énorme bête de trois à quatre mètres de long, fonce sur eux. Elle tape sur la ferraille et semble furieuse. En sous marin impassible, le Superobot poursuit sa route sans sourciller. Sa carcasse est à peine secouée par les coups de butoir. Le périscope aérateur se tient hors de l'eau, et hors de portée de l'animal.
-- C'est un thon rouge de la famille des Thunnidès, explique-t-il soigneusement. Il possède une vraie carène de chaque côté de la queue et un corps sombre recouvert d'écailles. Il vit dans l'Atlantique et la Méditerranée. Il aime les mers chaudes. On ne le rencontre occasionnellement que sur les côtes du nord de l'Europe, et sur celles des îles britanniques. Il peut peser jusqu'à mille deux cents kilos. La bête qui est en train de nous rentrer dedans doit faire entre huit et neuf cents kilos. Ce prédateur, est l'un des plus gros poissons de mer. On le pèche pour sa chair grasse, succulente et très nourrissante. Les Thunniformes sont très voisins des Scombridès. Ils possèdent deux nageoires dorsales et une membrane anale, divisées en nombreuses pinnules. On date ces poissons de l'Eocène inférieur. On en capture six cent cinquante mille tonnes chaque année.
Lisbeth se laisse distraire par une de ses nombreuses compositions symphoniques.
La vue marine est baignée de vert émeraude. Elle aimerait peindre le paysage fabuleux qu’elle aperçoit. La marée montante balance tout un ballet de mulets brillants, en formation de marche. Le groupe dessine des formes sphériques, des ballons de rugby, des triangles qui se forment et se déforment. Tout à coup, les voici installés en position verticale. Dirigés vers le ciel, ils aspirent le plancton par leurs bouches dépourvues de dents.
Puis, ils reprennent leurs rangs serrés. Il leur suffit d'un rien, un rayon de lumière, un bruit de bulle, pour que le banc des mulets change soudain de cap. Obéissant à un capitaine invisible, ils se déplacent alors dans l'ordre parfait d'une troupe de soldats au défilé. On dirait des Horse Guards en parade devant la Queen Mummy. Le chat, nez collé à la vitre, est saisi de tremblements violents. Ses désirs se confondent avec ses phantasmes.
Hermelin s'est baissé au maximum pour passer sous le grillage de protection de la plage de Tourssy. Dans son dos, le soleil encore haut, se prépare à rentrer lui aussi sous la mer de l'horizon. Il est plus de vingt heures. Le périscope qui permettait à l'air d'entrer, se bouche, le temps de la brève plongée.
Lisbeth, cramponnée aux tubulures intérieures, résiste difficilement aux secousses. Le chat lui enfonce ses griffes dans l'épaule pour ne pas tomber au fond, entre les jambes métalliques. La grosse Cybermachine se secoue. Elle se redresse lentement, et sort de la mer dans le cri aigu des mouettes bousculées et des éclaboussures d'écume.
La musique qui l'entoure se fait plus douce. Tel Neptune, il sort majestueusement de l'eau, en rejetant les poissons qui se sont accrochés à son armature. Le sol devenu sable se prolonge en pelouse. Le corps titanesque s'est immobilisé pour laisser son radar sonder les alentours.
Puis avec une lenteur inexorable, il se dirige vers les bâtiments inondés de lumière rasante, dans lesquels se trouvent Emilie et sa première IA/P. Ses deux sœurs jumelles, en quelque sorte….
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