Bess 20 Novembre 1987
Bess. 20 Novembre. 1987.
Les problèmes de Bess avec la société atteignirent leur paroxysme à l’âge de sept ans, au moment de la préparation de sa première communion qui, au Couvent des Oliviers, se faisait en grandes pompes. Papa et maman, s’appuyant sur leur foi catholique avaient pensé qu’une demi-pension dans un internat religieux dirigerait l’esprit révolté de la fillette, vers la conscience de ses devoirs moraux. Erreur.
Aucune compromission ne pouvait la réduire. Son goût de la logique l’entraînait toujours à défendre à l’extrême toutes sortes d’injustice, ou même de simple illogisme. Elle n’avait pourtant pas encore lu le célèbre « Non Aristotelian Systems and General Semantic » de Korzybski.
En attendant de découvrir la corrélation entre le créateur de la Sémantique Générale, et le Non-Dualisme, elle nageait dans le brouillard, ne pouvant jamais s’empêcher de partir en guerre à tout bout de champs, pour elle-même ou pour des « victimes » qui, la plupart du temps ne le lui demandaient rien. Bien au contraire.
Ce Don Quichottisme atteignait généralement son maximum, pendant le cours de catéchisme pur et dur du vendredi, dans la classe de préparation pour le Grand Jour. C’est à ce moment là que son envie de partager un amour innocent avec la terre entière se brisait.
Avant même que l’épreuve ne débute, elle le savait et chaque vendredi elle se préparait au désastre, en frissonnant.
En effet, la classe de catéchisme commence toujours brutalement par une prière réservée aux « catholiques, uniquement ». Gênée, la petite fille guette de l’oeil, les camarades exclues. Il y en a un paquet. L’Ecole chic et de haut niveau est très recherchée. Beaucoup d’enfants de bonne famille, faisant partie de religion diverses, musulmanes, bouddhistes, juives, protestantes, ont été acceptées par faveur.
Parquées au fond de la salle, elles se tassent et cherchent à se faire oublier dans la masse des uniformes, pour passer inaperçues.
Elles espèrent, confusément sans doute, qu’abusé par la tenue, Dieu leur accordera par mégarde, l’entrée « réservée » de son Paradis. Car, et c’est là le problème, il est bien précisé ici, dans ce lieu béni, que SEULS les baptisés peuvent prétendre au privilège d’être assis, après leur mort, à la droite de « l’Unique et Seul Véridique Tout Puissant Authentique Père Catholique ».
La Loi sévère n’est pas discutable. Même les nouveaux-nés, morts avant l’ondoiement, sont forcés de flotter éternellement dans les Limbes, lieu redoutable, puisque présenté par Soeur Angélique de la Force du Sacré Coeur, comme indésirable.
-- Pourtant, ce n’est pas de leur faute ! S’indigne immédiatement Bess devant ce terrible ostracisme arbitraire. Les bébés décédés avant d’être baptisés ne sont pas du tout responsables de leur mort prématurée. Le ciel est à tous ! Surtout à ces innocents qui n’ont rien fait de mal !
-- Le Ciel est réservé à l’élite, répond la Sœur d’une voix acide. Ne peuvent en faire partie que ceux et celles qui sont baptisés dans les règles, ou qui se sont convertis à temps. D’ailleurs, il ne leur est donné qu’une SEULE chance. S’ils ne se repentent pas, alors qu’ils bénéficient de l’enseignement de la Vraie Parole, ils se verront d’autant plus refuser l’accès au Ciel, qu’ils auront reçu l’instruction nécessaire pour reconnaître leurs erreurs.
La violence de la Religieuse qui par son discours, vise les pauvres hérétiques présentes, la rend autant emphatique qu’antipathique. Bess, stupéfaite devant ces embrouillaminis illogiques, insiste maladroitement :
-- Mais si ceux qui, (bien qu’étant tout à fait renseignés), refusent de se convertir, dès l’instant où ils ne peuvent pas entrer « du tout » au Ciel, quoiqu’il arrive… à quoi cela sert-il qu’ils en soient chassés, « PLUSSE » que s’ils n’étaient pas au courant ?
-- La fausseté n’a point de témoin pour la soutenir, continue Sœur Angélique d’une vois pointue en ignorant l’insolente. Alors que la « Vraie Religion » possède ses évidences éblouissantes. Dieu défie les autres dieux, qui ne sont que des idoles d’argile, de produire des marques d’une telle force. La faiblesse des raisons, de toutes les autres religions, se retourne contre elles.
Ces énormes allusions visent les petites camarades de confessions diverses et variées, ou même athées, que leurs parents ont placées là, parce qu’il n’y a pas d’autre pensionnat valable aux alentours. Ce sont des filles d’Emirs, de Ministres et autres sommités d’obédiences diverses, hindouistes, juives, protestantes, etc.
Ce manque de tact révolte Bess. Pourtant la soeur l’entraîne encore plus loin. Avec l’arrogance mise en place par la terrible violence occidentale, traduite dans la version cruelle de l’Evangile selon Saint Mathieu elle enfonce le clou :
-- Au Jugement dernier, les anges viendront séparer les bons d’avec les méchants. Il y aura des pleurs et des grincements de dents. Car il y aura beaucoup d’appelés et très peu d’élus. Les exclus seront condamnés à brûler en Enfer.
-- Même les méchants ne méritent pas ça, s’exclame Bess déchirée. Il y en a qui ne font pas exprès, ou alors pas tout le temps, pas partout, pas avec tout le monde. Je ne PEUX pas croire que le Bon Dieu soit si cruel.
Puisque rien ne change depuis des siècles et que cette religion décide d’être une secte raciste pour les morts, je n’en veux pas. Je renonce à votre paradis ségrégationniste. Rayez-moi de la liste. Je retire ma carte du parti.
Elle répète là, les diatribes de son cousin Gervais Guénolet qui, par bravade et pour énerver la famille, anime les desserts des repas dominicaux. Complètement remontée, elle en appelle alors au « peuple » de ses malheureuses camarades dissidentes, exclues du festin.
Celles-ci savent bien, dans leur fort intérieur, (alors que leur « défenderesse » l’ignore encore), que chaque religion, dans sa partie extrémiste, rend la pareille aux autres… tout en clamant son ouverture. Dans son innocence, Bess les exhorte à une lutte vaine sinon dangereuse.
-- Révoltez-vous donc, contre cet apartheid religieux, pauvres imbéciles…
Gênées, honteuses, écrasées et morfondues par le brutal sans-gêne de la grossière iconoclaste étalant à voix haute leurs tares, en plein soleil, elles baissent la tête.
Elles la haïssent aux tripes. Elles la détestent plus encore que ne le fait Soeur Angélique.
Elles sont même disposées à prendre le parti de la religieuse et à partager sa haine pour cette copie réduite du diable qui excite tant, les molécules de la croyance opiniâtre de celle-ci.
L’affrontement se termine par une course houleuse dans les couloirs, emmenant le démon, en direction de la chapelle, vers le confessionnal du Père Tancrède, investi pour l’occasion de son double pouvoir de prêtre et de mâle. Pendant que la Sœur traîne par l’oreille le suppôt de Satan, celui-ci réplique par des coups de pieds dans les tibias. Le flambeau de la victoire passe de l’une à l’autre, jusqu’à l’essai de reprise en main de la rebelle par l’ecclésiastique.
Bess se retrouve finalement au milieu de ses sœurs pécheresses, dans l’odeur douceâtre de l’encens. La chapelle est illuminée des mille cierges adressés au ciel en guise de suppliques. La fumée des bougies monte vers la voûte en un symbole de prières. La fillette attend, au milieu des va-et-vient incessants, dans un état d’esprit mitigé, adouci par l’environnement feutré de paix, que son tour de confessionnal arrive.
Petit à petit, face à cette humilité ambiante, ces dos courbés, ces fronts baissés d’esclaves, l’insurgée reprend sa vindicte habituelle. Sous prétexte qu’ils sont des milliers à combattre sa pensée, devrait-elle baisser les bras ? C’est trop facile. Ses convictions ne concernent qu’elle.
« Personne », jusqu’ici n’a pu la faire changer d’avis. Ce n’est donc pas aujourd’hui qu’elle va commencer ! Pourtant, lucidement, elle juge la situation désespérée. Inutile de faire l’autruche, de se raconter des histoires. Seul un miracle peut la sauver.
-- La suivante, réclame le curé du fond de sa boîte, comme s’il était un simple dentiste appelant ses patients. Bess trouve que cela manque de brio à côté du décor somptueux de la chapelle et de la mise en scène impressionnante, étalant une suprématie irréfutable.
Le rite est immuable. Elle entre dans l’étroit réduit sombre. Elle s’agenouille. Elle relâche le rideau brun derrière elle et attend dans l’obscurité profonde que le portillon, placé sur sa gauche, s’ouvre pour indiquer que son tour est venu.
Tout d’abord, elle ne voit rien. Insensiblement, ses yeux s’habituant à la pénombre commencent à distinguer l’image sainte placée au dessus de sa tête et les rainures de la tablette de bois, sur laquelle elle s’appuie. Elle met à profit ces quelques secondes de solitude, pour revoir, par la pensée, avec hargne et colère, mais aussi avec minutie, les fautes à avouer et le scénario prévu. Lorsque la petite trappe s’ouvre enfin, la bagarre commence.
-- Bénissez-moi mon père, parce que j’ai péché, anone-t-elle selon la formule consacrée.
Elle semble admettre sa culpabilité. Sans se l’avouer, elle aime bien cette phrase solennelle, par laquelle le fautif est reconnu digne d’être béni entre tous.
Puis elle ajoute rapidement : « Mais, vous « DEVEZ » me refuser l’absolution, parce que je « SAIS » que je recommencerai. La phrase résonne intensément. Immédiatement, le conflit démarre sur les chapeaux de roues.
-- Ah ! Voilà Bess, soupire l’abbé. Il sent sa colère monter. ALORS ?
Crie-t-il sans le vouloir. Si tu reconnais avoir péché, tu n’as plus qu’à promettre de devenir sage. Ainsi je te donne tout de suite l’absolution et Dieu te pardonne !
Bess s’énerve aussitôt. Le Révérend n’a rien compris, ou quoi ?! Ce serait se mettre un bandeau sur les yeux que de penser qu’elle va devenir parfaite ! C’est impossible ! Faire semblant de le croire ne servirait à rien. Elle sait bien qu’elle refusera toujours, d’obéir à ces ordres stupides. Les éclats de voix sortent du confessionnal et montent amplifiés jusqu’à la voûte.
Debout, au milieu de l’allée qui sépare la chapelle en deux groupes de rangées de bancs, celui des absoutes de celui des pécheresses, Mère Amélie jette par dessus son livre de prières, un regard sévère sur les petites grilles quadrillées de la porte centrale derrière laquelle se tient le pauvre confesseur. Le rideau de velours rouge désigne, par ses soubresauts répétés, la présence récalcitrante de l’enfant rebelle.
La même comédie se reproduit à chaque confession. Deux classes assistent à ces débats.
Celle de Bess se reconnaît à ses ceintures et rubans verts vifs se détachant sur le bleu marine des robes d’uniforme et celles des terminales à ses cordons bleu roi. De la plus petite à la plus grande, toutes les élèves jurent chaque fois d’être parfaites à l’avenir. Sauf elle. L’évènement intéresse l’assistance toute entière. La semaine dernière, l’incident lui a valu trois heures de colle.
La vingtaine d’élèves déjà absoute est parquée dans la partie basse, la plus éloignée du confessionnal. La lumière tombant des vitraux les pare d’un limbe lumineux de pureté. Le reste, massé de part et d’autre de la boîte, fait semblant de ne pas entendre les voix fortes qui s’en échappent. Mais un certain mouvement curieux des têtes montre bien qu’il n’en est rien.
La misérable Bess se trouble. Elle est assez humble, intelligente et logique, pour savoir qu’elle ne pourra dorénavant, passer TOUTE sa vie, sans plus jamais faire UNE seule bêtise ! Or, il est dit, expressément que, si on a l’intention de recommencer, dans ce cas là, on DOIT refuser l’absolution.
Elle ne peut pas affirmer qu’elle a la FERME intention de désobéir… mais d’une part, c’est tout comme, puisque par avance elle accepte sa faiblesse. Et d’autre part, elle est tout à fait décidée à ne jamais obéir bêtement à n’importe quel ordre, d’où qu’il vienne, si elle n’est pas d’accord.
Bess déroutée, essaye alors de noyer le poisson en parlant de la classe de tricot. Le péché véniel vient à la suite d’une litanie de fautes diverses :
-- Dimanche, je n’ai pas écouté la messe parce qu’elle était hyper rasoir, pire que d’habitude. Tout le monde marmonne. Rien n’est clair. Le sermon était tout à fait idiot.
Et de plus, j’ai refusé de céder à Mère Amélie qui veut que je perde mon temps à tricoter des trucs horribles pour les pauvres et en rentrant, je n’ai pas demandé pardon à mon cousin Nicky pour lui avoir cassé la souris de son ordinateur.
-- Tout cela n’est pas bien grave avait répondu le Père. Regrettes-tu ce que tu as fait ?
-- Certainement non ! Si c’était à refaire, je le referais.
-- Enfin, grogna le Père en train de perdre patience. Tu as fait de la peine autour de toi
-- Oui. Je sais.
-- Es-tu contente de faire mal ? Fais-tu exprès de désobéir pour chagriner ceux qui t’entourent et qui t’aiment ?
-- Non. Je ne fais pas de peine aux autres, par plaisir, mais par obligation. Lorsque je peux obéir, je le fais. Mais c’est malhonnête de céder, contre sa conscience en se forçant à se vendre pour plaire à n’importe qui…
-- Pourquoi ta conscience t’interdirait-elle, par exemple, de tricoter pour les pauvres ?
-- Nous crochetons d’horribles carrés de laine de toutes les couleurs, pour faire des couvertures. Nous les assemblons n’importe comment. Les duvets, une fois finis, sont hideux. Je trouve que c’est se moquer des malheureux, que de leur donner de si vilains dessus de lit. J’ai dit à Sœur Amélie que je refusais de travailler ainsi.
-- Alors les miséreux auront froid ? Le but de l’opération est de les réchauffer, non de leur plaire…
-- J’ai proposé d’arranger les carrés de tricot pour que cela moins laid.
Mais Mère Amélie refuse parce que cela me prendrait trop de temps. Du coup je ne fais plus rien. Le voilà le résultat. Mais elle s’entête !
-- Bien sûr ! Pendant que tu fais de l’art, tu ne tricotes pas et tu prives ces pauvres gens de ton travail.
-- Si je ne travaille plus du tout ce sera pire ! Et puis c’est plus utile si c’est joli. C’est comme pour un tableau, ou composer de la musique. C’est important que ce soit beau.
-- Ce qui est beau ne réchauffe pas.
-- Mais ce n’est pas possible ! Vous faites exprès de ne pas comprendre. Vous êtes trop bête ! Vous êtes comme Soeur Amélie… Bess cherche à se contrôler. Elle fait un terrible effort de conciliation :
-- Je veux bien tricoter pendant la récréation pour rattraper le temps perdu, si on me laisse arranger les carrés. Quoique ce soit tout à fait ridicule, ajoute- t- elle après réflexion… Si on en est à trois carrés près, alors faites moi bosser pendant le déjeuner, l’étude, les cours de musique, la classe de géo, et même la nuit ?
-- Bon, c’est très bien mon enfant, annonce le Père épuisé. Tu es une belle âme. Je vais te donner l’absolution.
-- Mais c’est absolument pas possible. Je « sais » que je recommencerai. C’est « obligé ». Il faut pas rêver. Mère Amélie dit qu’on ne peut pas recevoir l’absolution si l’on n’a pas le ferme regret de ses fautes et la ferme intention de ne plus recommencer.
-- Admettons. Le Père est à bout de forces. Tout cela n’est pas bien grave. Ne sois pas trop orgueilleuse…
-- Si ! C’est moi qui sais si c’est grave ou non. Et puis, en plus, aujourd’hui, j’ai donné des coups de pieds à Soeur Angélique, résume-telle en raccourci, l’histoire incompréhensible.
Elle est en effet incapable, de refaire la genèse exacte de l’incident, tant la situation et ses termes adéquats lui échappent. Et je le referai si elle me pince encore, rajoute-t-elle. L’abbé est sidéré. Lui aussi, sent que la situation lui échappe. Il louvoie :
-- Lui as-tu fait mal ?
-- Oui, jubile Bess en repensant aux sauts de sa tortionnaire dans le corridor.
-- Mais tu ne regrettes pas de lui avoir fait mal ? Insiste l’Abbé. En dissociant de son contexte, l’image délicieuse des bleus probables de la Soeur, Bess reconnaît pourtant qu’elle n’aime pas blesser par plaisir.
-- Pourtant je SAIS que je recommencerai tout de même, murmure-telle désorientée, hésitant sur la conduite à tenir.
-- Tu es trop orgueilleuse, entêtée, obstinée. Tu crois avoir raison.
Mais essaye, s’il te plait, pour une fois… que quelques fois tu peux avoir tort ? Tu peux te tromper ? Oui ? D’accord ? Alors je vais te donner l’absolution.
-- Je regrette beaucoup mon père, mais je SAIS que je recommencerai. J’y serai obligée. Les autres veulent me forcer à penser de travers. On n’a pas à me forcer. Ou alors qu’on me dise pourquoi. On ne me dit jamais rien. Cela me fait mal. Et après je crie quand j’ai mal, parce que personne ne veut m’écouter.
-- Tu demanderas à Dieu de t’aider.
-- « Il » ne me répond jamais. Il ne m’empêche pas de me mettre en colère « LUI » ! Ou bien ça se saurait. On sent qu’IL s’en fiche. Si ça l’embêtait, IL me le dirait !
-- Tu ne devrais pas me crier dans les oreilles. C’est mal ! Nous sommes dans une Eglise, hurle le Père.
-- Qui a dit que c’est mal ? Hurle Bess…
-- C’est Dieu ! Hurle le Père…
-- Qu’IL vienne me le dire ! J’en ai marre de tous ces chichis, ces intermédiaires, ces gans qui parlent pour LUI, de façon ridicule et injuste, en disant que SEULS les élus iront au Ciel et pas les autres… tous ces pauvres athées, musulmans, protestants, évangélistes, juifs, boudhistes, païens, patin, coufin… et autres !
J’en ai assez d’entendre tous ces pontifes raconter qu’il y a des guerres saintes et que les femmes ne pourront jamais dire la Messe.
Pourquoi, elles ne le peuvent pas ?
-- Tu es une belle âme, grince une fois de plus l’Abbé fermement excédé, qui pense qu’elle est à tuer. Cela suffit maintenant ! Y en a assez ! Je vais donc te donner l’absolution et après « basta » !
-- Je n’en veux pas ! Je ne la mérite PAS !! Les rideaux s’agitent dans tous les sens.
Elle se déchire en cris de protestation. Une sorte d’horreur l’étouffe. Les rideaux du réduit s’agitent en tous sens.
-- Ne crie pas, hurle le père. Tais-toi.
-- Non ! Je ne me tairai pas…
-- Allez-en paix, brame le confesseur d’une voix de stentor, trop forte pour le sanctuaire. Puis, un ton en dessous, en prenant sur lui, il gronde moins fortement : « IN NOMINE PATRE. AMEN ! » Et en refermant le trappon, il exclue définitivement et très fermement, l’encombrante discutailleuse, en la privant de son droit de réponse.
-- C’est un comble, braille l’entêtée ratiocineuse. Elle bondit de colère, sort en courant, tapant du pied, dans un jaillissement de jupe plissée, entortillée, dans les rideaux collants du confessionnal, qui la taquinent par malice trop chrétienne. Sa voix tonne de façon impie dans le lieu saint, devant l’assemblée suffoquée :
-- Il m’a ENCORE donné l’absolution de force !
L’enfant s’enroue à force de désespoir. Elle en appelle aux autres, à la société, à Dieu ! Où est la liberté de pensée ? Elle exige le libre échange des péchés, l’entière latitude de garder ses fautes, la suppression de la culpabilité monnayée par les autres… A bas cette absoute arbitraire… Où sont les responsables ?
Elle répète les imprécations de son cousin, lorsqu’il joue les révoltés politiques.
-- Ne vous croyez pas quittes à si bon compte ! C’est une dictature, une ingérence qui ne moque de mes interrogations, de mes angoisses. Je ne me laisserai pas faire…Je me plaindrai !
Elle se tait déroutée. A QUI ?
Et bien la réponse lui arriva dans les semaines suivantes. Elle trouva son interlocuteur, situé parmi les plus hautes « sommités », et même classé « Premier ».
C’était le plus connu, le plus en vue, surtout dans le Pensionnat ! Bref, un Personnage de poids et non des moindres. Celui que l’on considère comme le «Tout Puissant et Infaillible Number One» : Dieu lui-même.
La petite fille va se souvenir, pour toujours, de ce moment-là. L’événement marquant s’est passé, ce fameux jour de la « Communion Solennelle » du Couvent des Oliviers. Jour béni entre tous, pour la quarantaine d’enfants en âge de connaître enfin l’osmose, avec le Fils de Dieu, Jésus Christ Lui-même, reçu en chacune sous forme d’hostie. Déjà, cette représentation imagée est en elle-même un problème.
L’histoire de l’hostie « personnalisée » en est un exemple type. Pendant la Retraite précédant le « Grand Jour », dans cette période privilégiée de préparation à la Communion Solennelle, il était demandé aux postulantes, de mettre dans une tirelire, après chaque bonne action, un grain de blé. Les BA de la récolte devaient servir à fabriquer la rondelle de pain azyme de chacune.
Bess, dès le départ fut très inquiète. Sa copine Emilie en avait déjà rempli deux boites, quand elle n’avait toujours que trois grains dans sa tirelire. Elle interrogea Soeur Angélique.
-- Je vais avoir une hostie minuscule. C’est vexant. Mais comment va faire Emilie pour avaler cette grosse galette en une seule bouchée ? Ou alors le prêtre sera obligé de la lui faire manger par morceaux ? Et comment le boulanger va-t-il se débrouiller pour séparer les farines et me pétrir une toute petite pastille ? Il va numéroter les paquets ?
Ce n’est pas tout, continue la ratiocineuse, comment se fait-il que vous disiez que l’hostie qui représente le corps du Seigneur va dans notre cœur ? Je croyais que ce que l’on avale va dans l’estomac ? Et après dans l’intestin ?
Les questions avaient mené la Sœur, au bord de la crise de nerf. Mais finalement, tant bien que mal et cahin-caha, le Grand Jour est arrivé. En transes depuis la veille, réveillée à l’aube, elle s’était préparée pour l’événement, avec une acuité intellectuelle exacerbée.
Tout, dans l’enceinte du couvent, fleuri copieusement pour la circonstance, est devenu allégorie : La lumière douce du matin, les prières bourdonnantes, jetées dans la mer compacte des jeunes participantes frémissantes… Les vagues de musique des oratorios de Bach, frappent les murailles.
Placée sur les gradins du grand parc, la foule se dresse pour mieux voir le démarrage de la procession, via la nef. Les assistants, penchés pour suivre des yeux, le groupe des vierges enrubannées, se retiennent d’applaudir les pures communiantes offertes à Dieu.
Les petites vestales semblent promises à un sacrifice rituel. Précédées des grands prêtres baignés de lumière, dans le rutilement des ors, elles sont suivies de près par un paquet de religieuses, vêtues de sombre.
Le décorum impressionne Bess. Pourtant ce déploiement lui semble inapproprié et en désaccord avec la demande de recueillement intérieur. Le contraste la gène.
Le reproche ne s’applique pas au gaspillage ostentatoire, réprouvé par ses petites amies protestantes. Un peu de luxe raffiné ne lui déplait pas. Ce sont les deux buts antinomiques qui la perturbent.
Les chaînes des encensoirs frappent le métal, d’où une fumée âcre et odorante s’échappe par jets. La cire des cierges descend en volute, glissant doucement, sur le jais des manteaux ecclésiastiques, sur les broderies de strass des draps d’autel, se rajoutant insidieusement sur les perles de leurs propres larmes.
La courte chute de dentelle des enfantines mariées, borde la soie claire dans le léger tremblement du tulle, soulignant les visages purs aux regards languides.
Et tout cela marche comme un oiseau élancé, dans un balancement arrosé de fleurs, de feuilles, de pistils. Les tulipes rayées, les pivoines, pétunias panachés s’éparpillent, jetés à pleines mains sur le sol, sous le doré du soleil clinquant.
La procession s’ébranle enfin, piétinant lentement le tapis épais, formé de pollens et de pétales. Les chevelures tressées, les bonnets brodés, les châles immaculés croisés sur la poitrine, l’impalpable douceur de la boucle qui brille, modeste et pure sur le front baissé, ne sont que beautés, calculées pour impressionner religieusement la galerie. Que viennent faire les dieux dans tout cela ?
Ce n’est que de la beauté, rien de plus…
-- Pourtant, je pense que c’est nécessaire pour les prosélytes, se dit
Bess avec simplicité. Malgré tout, elle sent que la mièvrerie paterne de l’air chaud, va l’écœurer.
Des familles entières marchent, fières et dignes dans leur pruderie distinguée. Des femmes vêtues de soie noire brillante, couvertes de bijoux d’ostentation, suivent lentement le cortège, au bras de notables, au milieu des cris d’amour extasiés du chant processionnel. Le serpent brillant, formé de la foule en liesse, se déploie en zigzags colorés, autour de la blancheur des officiantes, encadrées par le noir des voiles des cornettes religieuses.
Et cela danse avec un sourire extasié, hystériquement amoureux. Les prunelles bleu saphir ou noir de jais, sont moirées d’étouffement extatique. Les oisillons perchés sur les arbres, se mêlent à la cacophonie, accompagnant, en psalmodiant, les oraisons mélopées. Le ballet général, se balance avec parcimonie, dans la peur des gestes grossièrement présentés.
Devant le perron, l’archevêque, debout dans son long manteau de pourpre tissé d’or, porte le sceptre de la victoire. Devant l’assemblée en liesse, il se penche sur l’insignifiante fillette, Bess, ayant à peine atteint ce fameux âge de raison, choisie pour accueillir par un compliment, le représentant du Seigneur. Cet honneur n’est dû qu’à son adroite inconscience.
Elle est la seule de l’assemblée, à ne pas avoir le trac pour ces choses, considérées insignifiantes par elle. Sa propre peur, se situe bien ailleurs.
Elle se remet en mémoire le discours pompeux. Enveloppée de mousseline blanche, de linon plissé, empêtrée dans la jupe trop grande pour elle, elle s’avance avec courage. Elle renifle un bon coup. Les pavés inégaux ne la font pas trébucher. Elle s’imagine que les épées de feu des anciens Chevaliers, se dressent toutes ensemble derrière les bannières saintes.
La bise fait claquer les soies brodées de Sacrés Cœurs, transpercés de Vierges à l’enfant, et de Saints barbus, débonnaires, auréolés de cercles scintillants. Le crissement se déploie sous l’accompagnement imprévu d’un chant de criquet.
Sans trembler ou s’enfler de fierté, toute gaillarde, dans l’irréflexion de son irresponsabilité complète, la fillette se redresse. Et de façon claire, elle clame son compliment de façon fermement scandée. Les cardinaux, souriants, approuvent benoîtement. Tout le corps diocésain renchérit. Et, « Oh jour béni », l’Evêque lui effleure la joue de son doigt bagué d’améthyste, qu’il lui faut baiser.
Sur les étages de l’amphithéâtre, la multitude s’est levée pour mieux voir la frêle récitante, sortir vainqueur du combat, sous les yeux baignés de larmes de sa famille. La foule repousse, par la voix innocente de Bess, qui du moins le souhaite, les mauvais sortilèges qui pourraient s’infiltrer dans la lumière du jour.
Et finalement, les portes de la chapelle tournent lentement, pour laisser entrer, croyants et incroyants, dans le lieu saint, où tout sera consommé. L’Eglise s’illumine de flash et d’étincelles. La foule, lentement prend place sur les bancs réservés. L’office peut commencer.
Par contre, pour l’enfant, c’est l’horreur qui démarre. Il lui faut entamer maintenant la dernière bataille. Elle va devoir-même, aborder le rude combat, qu’elle s’est elle-même proposé. L’assemblée récite les prières, chante les cantiques, répand l’encens. Bess, elle, se prépare à faire la cueillette des fruits amers, aspergés par les goupillons. En effet, son histoire, que ce soit par cantate ou par antienne, n’a pas encore été résolue.
Cette nuit, elle a fait son plan. Elle a décidé de proposer un accord, une demande de paix, avec le « Gigantesque Eternel et Principal Autre, le Grand Cierge Béni de l’Immensité ». Elle veut parler, non de l’Homme Divin, appelé JC, encore abordable, mais de Son Père, le « Sans Nom », dit le Terrible.
Le fatal moment arrive déjà. Bess est prête. Au milieu des éclairs que les flashes crépitants des photographes, répercutent sous la voûte ogivale, devant la foule marbrée de reflets jaunes et mauves, elle frissonne en attente, la bouche pleine de sable et de sel.
Pour conjurer le sort, elle porte à ses lèvres un pétale de rose géante au parfum poivré, qu’elle déchire entre ses dents. Parfaitement lucide, elle attend dans l’angoisse de recevoir le verdict d’en haut.
En effet, il est dit, qu’en ce jour béni, les petites communiantes pures et absoutes, ont droit à la Toute Grande Bienveillance exceptionnelle des Cieux.
Ceux-ci ne peuvent « RIEN » leur refuser aujourd’hui. On leur a donc donné l’occasion d’écrire sur un papier, trois voeux différents. Oui…. Ce que bon leur semble… N’importe quoi…
Les autres filles ont fait des demandes terrestres : « Rendez la santé à mon père… la richesse à mon frère… Donnez-moi une longue vie… »
Bess a décidé de frapper un grand coup. Pour en terminer une bonne fois pour toutes, avec son dilemme socio - religieux, elle glisse, au moment fatal de la communion, dans l’urne à suppliques placée en bout d’autel, un libellé, délicatement transpiré, adressé au Grand Inconnu, et recopié trois fois.
Elle n’a choisi qu’un seul souhait, pour être sûre que Dieu, ne s’égare pas en faisant l’erreur de choisir, par exemple au hasard, un papier moins intéressant. Le message est concis, net, sans fioriture :
-- Cher Dieu, si vous êtes d’accord pour que j’obéisse sans comprendre, à toutes ces grandes personnes, alors tuez-moi tout de suite, parce que je n’y arriverai jamais.
Le billet disparaît dans la boite. Bess, à genoux est enfin au pied de l’autel pour le moment consacré. Elle tire la langue devant l’Evêque. L’hostie représentant le corps du Seigneur y est déposée et se colle….
Mais le coup de tonnerre de la justice, ne foudroie pas la questionneuse sur le champs. Ce sera donc pour plus tard ? Dans quelques instants, tout à l’heure, lorsque la parcelle arrivera dans l’estomac, organe que pour cette occasion, et on ne comprend pas bien pourquoi, les soeurs appellent le cœur ?
Le drame s’abattra bien assez tôt !
Revenue à sa place, elle remercie le ciel de ne pas l’avoir occise en pleine allée centrale. Elle aurait semé le désordre et la honte sur la cérémonie en général, et sur toute sa famille en particulier. Ici, elle pourra glisser discrètement son agonie sous le banc. Car il est hors de propos de songer que la mort ne viendra pas la chercher, après le marché proposé… Les gestionnaires de l’entourage sont trop nombreux, pour avoir tort tous ensemble…
Elle ferme les yeux sur l’évocation de l’effrayante minute. Que faut-il faire ? Elle ne voit partout qu’obscurité. Doit-elle croire qu’elle en est arrivée au pire ? Misère de l’être qui ne sait que dire, n’osant plus prononcer le mot qui risque de se transformer en chose. Il ne reste plus que l’attente, devant le piège prêt à se refermer.
Maintenant, le grand moment est arrivé. A genoux, au milieu des autres, abîmée dans son intense réflexion, elle s’aperçoit que, pendant son immense distraction désespérée, la salive a dilué la divine matière. Sa langue a laissé s’échapper le Seigneur vers l’oesophage. Il n’y a plus rien à faire. Sa bouche est VIDE ! L’hostie est au tréfonds de Bess. Mon Dieu !! Elle va mourir !! Meurt-elle ?!!
Et bien NON. Force est de se rendre à l’évidence. Elle a misé. Elle a risqué le tout pour le tout... « ET » elle n’est pas morte… Elle a gagné son pari. Son soulagement lui fait tourner la tête de bonheur. La couleur verte qui abîmait son visage, disparaît. L’air circule librement, rafraîchissant son front. Elle respire avec force.
Après quoi, elle se pose des questions. Que veut dire ce faux bond ? Dieu ne l’a pas supprimée ? Cela signifierait-il qu’IL lui permet de désobéir à sa Congrégation ? Du même coup elle serait donc autorisée à refuser « toutes » les autres religions ? Contraires, ou annexes ? !!
Elle peut à peine s’empêcher de pousser un Hourra fabuleux. Maintenant que le problème est réglé, elle est libre ?! Libre de leur dire non ? De les envoyer promener ?
Immédiatement, elle secoue la tête avec impertinence et envoie un pied de nez moral à la clique ! Ah oui, elle peut bien rire, les narguer. Dieu est d’accord !
D’ACCORD ! Il est d’accord avec elle. Ah, elle ne va pas se priver de le leur dire. Son affaire ne souffre aucune contestation, aucune contradiction !
Si le Ciel est avec elle, POUR elle, elle ne voit pas comment les terriens pourraient déchirer le contrat ? Malgré la pompe environnante qui laisserait supposer le contraire… « IL » l’a approuvée…. IL désapprouve donc, en toute logique, les ingérences intellectuelles et religieuses qui voudraient l’emprisonner.
Elle va désormais leur dire NON, à tous. Unique et fragile, face au Monde entier, elle a le droit de penser différemment, de refuser leur moule, de leur mettre, en quelque sorte, et en s’excusant pour la grossièreté, leurs nez dans leurs cacas.
Dignement, elle remercie Celui qui accepte de ne porter plus aucun nom, ni majuscule… Celui qui, non seulement existe, mais en plus veut bien ne plus exister. Cette déité fabuleuse dont, la qualité manquante devient un atout de plus. Enfin, IL la fascine. Elle admire qu’IL se permette la remise en question d’une foi enrichie parce que, posant à chaque instant, l’interrogation sur le doute de sa réalité.
Pas d’illusion, cependant. Elle « sait » qu’elle va commencer une autre lutte.
Déjà, le mouvement des cornettes, indique qu’elle a été repérée hors contemplation extatique. Elle n’a pas fini d’en recevoir plein la gueule. Mais finalement, c’est ce qu’elle désire… elle trouve que c’est bien fait qu’enfin tout éclate. Elle n’est pas masochiste, mais elle estime, en réaction, que c’est normal… elle le mérite…
Comment peut-elle représenter quelque chose… quand elle n’est rien de plus que rien ?
C’est-à-dire, comment peut-elle être quelque chose, lorsqu’elle ne discerne rien qui puisse lui dire : Regarde-moi, là, oui, c’est MOI ? Comment peut-elle la « ramener », alors que tant de gens meurent de faim ? On ne devrait plus sortir, ni un mot, ni le soir… tant que les guerres… les hontes bues… le travail forcé… la souffrance… Ouf ! Taisons-nous…
Mais ce n’est pas son problème, n’est-ce pas ?
Alors, c’est bien fait que, plus que jamais elle en reçoive plein la tête, jusqu’à ce que son crâne saute… On pourra enfin parler de destruction, d’égobsession, d’obsession et d’autodestruction. Pourtant, elle y réfléchit de façon positive, en projetant sa créativité vers les autres…
Bien qu’elle ne pense pas que cela puisse marcher, elle est prête à faire un bond en avant et tomber dans un piège et embrasser le front de son ennemi.
Lorsque l’on aime, on fait le saut et rien n’est dégoûtant, sauf la torture que l’on fait aux autres.
Elle songe à ces gens bien installés dans la société et elle, bien casée à côté.
Certains sont génés par le mot « Société » . D’autres le seraient plutôt par « bien casés ».
Ils préfèrent être mal, dedans, ou à côté. Question de goût. Ou de tact.
Maintenant, elle a envie de rire gaminement, en songeant que la liberté n’est pas donnée à tout le monde. On ne la reçoit pas sans douleur, ni bruit dans la tête. Il faut tout quitter, vêtements, logis, protection.. Ils préfèrent souvent crever. Ils réclament leur autonomie.. Et lorsqu’on la leur donne, ils en ont peur.
Surtout, si elle commence l’été, avec les vacances… et que l’on se dit que l’on ne reviendra jamais en arrière pour travailler… Elle prend sa naissance dans le vide d’un agenda plein que l’on jette. Il faut l’apprendre chaque jour, dans la douleur. Cela fait mal de marcher sans les dimanches… les « je dois le faire »… c’est l’heure… bonjour madame la crémière…
Ils veulent la liberté en une fois, sans l’apprendre… mais pas comme le pain quotidien qu’il faut gagner à la sueur de son front. Car, la liberté, ils ne savent pas ce que c’est…
L’indépendance, cela ressemble à de la chienlit. Ce n’est même pas le contraire de la prison, ou de la guerre. Toutes ces immondices ne font pas partie du problème. Besse n’a pas à assumer leurs obscénités. Elle refuse de voter pour quiconque.
Elle ne veut pas, elle qui vous parle, que l’on dise que c’est SA » » société qui agit ainsi et qu’elle lui fait entériner toutes ses cochonneries, pour faire croire qu’elle l’approuve… Elle n’a rien à voir avec ces vilains trocs de chacals puants, de maisons closes, d’individus traités comme du bétail. Elle n’a rien à faire avec ça, pas plus qu’avec leurs pauvres luttes de dominants/dominés.
Ils ne savent même pas qu’ils se bagarrent au nom d’une liberté dont personne ne veut, car elle est trop nue, trop folle, trop grande… comme la vérité…
Elle ferait peur si on la leur donnait. Ils n’en veulent pas, les pauvres… Surtout les pauvres… ceux qui cherchent leurs petits dieux, béquilles, papas, bâtons.
Les forts en profitent et laissent crier les minuscules minables qui rouspètent. Au moins cela distrait tout le monde, les uns… comme les autres.
Bess aimerait pouvoir « au moins », leur dire d’aller jeûner. Oui, parce que tout le monde mange toujours trop. Même ceux qui crèvent de peur ou de faim, qui ne comprennent rien, à qui on coupe un bras, une cuisse, la tête, pour faire des expériences médicales dans la lutte contre tous les cancers de la société.
Alors comment a-t-elle le culot de refuser, elle, si petite ? Ils veulent lui faire honte ? Ils cherchent à la culpabiliser ? Et bien ils en seront pour leurs frais, car elle s’en moque. Ce n’est pas son affaire, croyez-le bien. Elle aimerait que vous compreniez. Comment faire ?
Oui, que peut-elle faire pour vous faire comprendre ? Elle est là, dans le box des accusés. Face à la nef centrale, c’est l’inquisition. Les soeurs s’avancent vers elle, pour éviter un drame de la contamination. Elle va en recevoir plein la figure, sans bouger, presque sans sourciller. Et la confrérie, de l’autre côté, dira que c’estelle, la coupable.
Oh, c’est bien fait, bien fait, la tête qui s’autodestructionne… s’autostructionne… et s’égostructionne… tous les jours il faudra qu’elle encaisse, puisqu’elle refuse de mettre le petit doigt dans l’engrenage, par des suppliques, des critiques, ou en volant au secours des martyrs, ou même seulement en parlant pour expliquer qu’elle n’est pas d’accord…
Elle leur tourne le dos, faisant comme si elle ne les avait pas vues. Cette échappée fait repartir les combattants. Que peut-elle faire d’autre ? Car si elle les écoute, même par politesse ils lui diront que c’est de sa faute de ne pas en faire chaque jour davantage. Et alors, enfin, ils se réjouiront, de ce qu’elle cautionne leurs cochonneries.
Merci ! Merci ! Elle préfère encore plein la gueule et merci !
Pendant ce temps là, dehors, tout se déroule comme prévu, dans l’allégresse la plus totale. Les nombreux marchands du temple ont envahi le grand parc du Pensionnat de la Passion du jardin des Oliviers. Une immense kermesse commerciale, quoique religieuse, s’est installée avec la bénédiction de tous, car : « C’est pour les pauvres ».
Les cupides vendeuses de la Congrégation, offrent des ouvrages de tapisseries, des pétards bariolés de couleurs traditionnelles, des gâteaux faits mains, beignets, tartes aux pommes. Elles attendent, avec une grande impatience, que la Fête prenne enfin un tour plus terre à terre.
Mais personne, à mille lieux à la ronde, ne sait que Bess danse enfin et pour toujours dans sa tête. Elle, elle le sait. N’est pas vrai ce qui est vrai, est vrai ce qu’on croit… à l’heure H, au jour J, à la seconde S. Mais si elle est seule à le croire, c’est quand même moins facile à gérer, que si on est 10.000 à croire la même chose.
Et si on est des milliards, alors on en arrive à croire que l’on a raison…__
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