L\\\'Enfant qui venait du futur

1 L'Enfant qui venait du Futur

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1 L'Enfant qui venait du futur

L'ENFANT  QUI  VENAIT 

                DU  FUTUR                                          

 

Un jour vous vous souviendrez de moi.

 

 

Quand quelqu'un ne comprend pas,

Ce n'est pas la peine de lui expliquer, il ne comprendra jamais.

Quand quelqu'un comprend

Ce n'est pas la peine non plus. Il a déjà tout compris. 

Moralité : CELA  NE SERT  A  RIEN  DE  PARLER.

                                Proverbe Fataliste.

 

 

 Elisabeth. Samedi 20 Décembre 2008. 10 heures du matin.

 

Le quartier du Centre Culturel fête déjà  «  Christmas  »  dans une ambiance sinistre.  La Mairie s'illuminant par intermittence, escalier, toit et cave compris, ressemble à un sapin de Noël bon marché. La boulangerie du coin, sous une avalanche de boules et de guirlandes brille de mille feux scintillants. Mais pour ne pas faire mentir le dicton « Pas de vraie beauté sans contraste », il fait un temps de chien. Les passants, tête basse, résignés au pire, car c'est surtout lorsqu'il fait beau que l'on a peur qu'il pleuve, piétinent une boue gluante et glaciale.

 

Monsieur Tracchi, l'irascible droguiste-mercier, au bord d'une retraite qui verra disparaître son petit commerce, donne des coups de balai, à des chiens qui arrosent d'une urine jaunâtre, son pas de porte. Du premier étage, le turc de l'immeuble d'en face, regarde avec concupiscence, la petite boutique qui sera bientôt son chiche kebab.

 

Un groupe de Pères Noël, passablement éméchés, discutent le bout de gras, comptant entre deux rots à l'ail, la maigre recette matinale.  L'un d'eux, sa perruque sur l'oreille laissant passer des mèches grasses, grises et frisées, lutine mamans et fillettes en chantant « Mon beau sapin », d'une voix de fausset, sur l'air d' « Il est né le Divin Enfant ». Soutenu physiquement et vocalement par ses compagnons en robes et bonnets rouges sales, il fait peur à voir.

 

Trois clodos, entourés de chiens - loups galeux, cherchent à dévoyer les tristes fidèles   de l'Armée du Salut que les trompettes protestantes n'arrivent pas à dérider. Le petit Maurice troisième fils de Monsieur Lévi cherche, jusque sous l'étalage de melons sa kipa, perdue devant l'échoppe de l'épicier arabe. Une forte musique raï, sortie du soupirail, perce les tympans des passants. L'ambiance musicale étincelante de cacophonies religieuses et autres, ne laisse pas de surprendre dans cette époque laïque. C'est la fête.

                                                                                                                                               La vue en enfilade que j'ai depuis la fenêtre du rez-de-chaussée de ma cuisine est consternante. Pourtant, les éclairages de la Salle des Fêtes classée Monument Historique, font un petit halo au dessus du square.

 

J'aime bien ce quartier en temps normal. Mais il faut avouer que la journée s'annonce exécrable. J'ai renversé de la tisane dans mon jean. Je me suis éclaté le doigt sur la grille du jardin et cerise sur le gâteau, des amis voulaient passer dans la soirée pour faire le point sur un projet qui depuis trois ans n'avance pas. Heureusement d'ailleurs, vu sa nullité. Je les avais envoyés promener sans ménagement.

                                                                                                                                                   

Pourtant, cet ensemble de faits n'est pas suffisant pour justifier une baisse de tonus sur un moral qui, d'ordinaire est bon. Je mis donc ma mauvaise humeur sur le compte des veilles de fêtes. Je hais les consécrations, quelles qu'elles soient en général et Noël en particulier. Je sais de quoi je parle. Pour me remonter le moral, je pensais faire un petit feu dans la cheminée, mais j'y renonçais par flemme.

  

          Je ne sais si vous avez déjà broyé du noir sans raison suffisante ? Oui, sans doute.  Ou alors vous êtes immatériel. Personne ne peut y échapper complètement. Dans ce cas, la seule chose à faire  serait de se lamenter copieusement. Pour moi, en tous cas. Mais seul ou seule. Il faut surtout éviter par dessus TOUT, « et  faites-moi confiance je sais de quoi je cause », de faire part à quiconque de ses ennuis. Particulièrement à ses proches. Même, et SURTOUT si c'est grave.

                                                                                                                                                 

Je me souviens d'un décès survenu brutalement dans ma famille. Je sais, je m'écarte du sujet. Mais ça fait du bien. Et cela ne sera pas la dernière fois. Le proche parent en question était arrivé à cette dernière extrémité, en tombant malencontreusement dans l'escalier, un soir d'orage. A parti de  «  CET  INSTANT  », il fallut, pour ne pas raviver les chagrins de tout un chacun, parler de tout et de rien, avec une extrême prudence.

 

Tout ce qui se rapprochait, même vaguement de loin, des mots : « Marche. En avant.  Rampe. Glisser », et naturellement :  trébucher, tomber, tombe, funérailles, ainsi que douze, mardi, juillet, dix sept heures, orage, tempête, météo et autres rapprochements de même nature, furent à proscrire.

 

J'avais acquis une grande habileté de langage dans ce domaine. Un jour pourtant, je  me   laissais piéger, hélas, par une amie très chère qui pratiquait à mon égard, de la sympathie au lieu d'empathie. Cela veut dire qu'elle ressentait avec une très grande violence, tous les malheurs qui pouvaient m'arriver. Je lui parlais inconsidérément de mon deuil et du chagrin qui en découlait. J'allais bêtement jusqu'à verser, au travers du téléphone, quelques larmes réprimées par force et par ailleurs.

 

Dix minutes après, elle me rappelait en sanglotant. Je dus passer un grand moment à essayer de la consoler. Mon épreuve l'avait affectée au plus haut point et j'eus un mal de chien à remettre sur pied cette acharnée partageuse. Dès que  lui demandais délicatement de changer de conversation, cette bonne copine pleurait de plus belle en se traitant de maladroite. Cela n'en finissait pas. Cette maudite race de sympathisants refuse de comprendre à quel point un attendrissement ravageur est capable de démolir le plus coriace des indifférents.

                                                                                                                                                               Je garde dorénavant mes malheurs pour moi. C'est assez triste d'être triste, s'il faut,   en   plus, consoler les autres du chagrin qu'on leur fait en leur parlant du notre… La solution est donc de ne se plaindre qu'à soi-même, si l'on veut vivre « Au mieux », en société.

  

En effet, quel est le but premier de l'existence ? Vivre ? Sauf si l'on a décidé de mourir. Mais si l'on a choisi la première solution, essayons tant qu'à faire de vivre le moins mal possible. C'est à dire sans emmerder les voisins, afin d'éviter les conflits. Sans marcher sur la queue du doberman qui risque de emporter   un mollet en retour, ni frapper un flic qui peut toujours en cacher un autre.

 

Dans l'ensemble, cela signifie « faire attention à son environnement » dans son «propre» intérêt. C'est plus efficace, pour éviter les guerres, que de respecter l'ordre d'aimer son prochain, « comme soi-même ». Ce dont tout le monde se fout.

                                                                                                                                                

Finalement, être responsable de soi-même est la meilleure garantie de protection que peut avoir l'individu. L'ouvrier qui ne fait pas gaffe à sa machine risque d'y laisser trois doigts et ce n'est pas son contre-maître, son patron, les syndicats, le Président de la République ou le Pape qui sont les garants de sa bonne santé.

 

Si tout le monde faisait pareil, il n'y aurait plus, de proche en proche, d'affrontement meurtrier, de lutte fratricide, de divorce, ni de conflits de générations, de classes, de politique et le reste. Ce ne serait plus le plus costaud, ni le plus futé qui gagnerait les batailles, mais le plus prudent.

 

Pour bien appliquer cette leçon, en cette pré-avant-veille de Noël, je choisis donc de récapituler. J'ai très envie de prendre quelques notes, afin de juguler le stress montant. Je regarde la montre. Il est dix heures cinq. Le vent glacé souffle fort contre la véranda. Je me pose une question. Certaines personnes se trouve souvent à un tournant de leur vie. Je ne     suis pas de celles-là d'habitude. Mais aujourd'hui, il devient urgent que je fasse vraiment  le point de la situation. Vous allez voir, ce n'est pas triste.

 

Je ne sais pas très bien à qui je m'adresse en disant « vous ». Je pourrais tout aussi bien dire « tu ». Ce n'est qu'une façon de parler en définitive. Mais revenons à nos moutons. (Qu'est-ce que les moutons viennent faire ici ?)

 

Donc le grave problème que je cache soigneusement, déclenche d'habitude, dès que je l'aborde, des tempêtes de fous rires ou des hauts le cœur. Je m'explique :

 

.--  « Je voudrais bien savoir pourquoi je suis revenue de l'année 3012, pour m'incarner en 1980, dans le corps d'une petite fille aux cheveux blonds frisés et aux yeux clairs ? Lorsque j'ai quitté la Ville Bulle du Futur dans laquelle je vivais, j'étais un jeune garçon de douze ans, aux raides mèches sombres et aux prunelles noires comme la nuit ».

 

 

            Voilà, c'est dit. Pensez en ce que vous voudrez. Quant à moi, je suis sûre qu'il doit y avoir     là dessous, un bon motif, « une raison primordiale ». Je suis peut-être revenue du futur, tout  simplement pour vous raconter ce qui se passe dans l'avenir, afin que les individus vivant dans  cette époque-ci puissent mettre en route une installation de sauvegarde. 

                                                                                                                                                              Je ne suis pourtant,  ni médium, ni gourou. Je peux tout juste raconter ce dont je me souviens de ces années 3000. A cette époque, j'avais découvert que nous pouvions raisonner autrement qu'en sauvages. Il est temps désormais de renoncer à penser de façon arriérée, pour enfin construire le moyen de survivre, sur une terre en pleine décomposition.

                                                                                                                                                                  

            En même temps je sais bien que tous mes discours ne serviront à rien. Tant que l'humanité ne sera pas en train de manquer d'air et d'eau, elle ne bougera pas. A ce moment là, ce sera trop tard. Il reste peu de temps pour préparer une nouvelle vie sur terre. Certains ont plus tôt envie     de partir vers une autre planète qu'ils mettront deux cents ans à pourrir comme celle-ci, grâce à notre impossibilité de vivre en positif.

                                                                                                                                                        

            Je vais avoir du mal à m'expliquer, car depuis mon enfance je me sers du langage limité d'ici pour raconter les visions illimitées de là-bas. Je suis obligée de faire comprendre aux singes que nous sommes toujours actuellement et dont je fais partie, que ce n'est pas en changeant de comportement    que nous changerons de manière de pensée. C'est en changeant de façon de raisonner, que notre façon  de vivre deviendra harmonieuse et équilibrée. Cela va être très dur et je ne sais pas vraiment comment m'y prendre. Depuis 1980, date de mon actuelle naissance, tous mes essais se sont avérés totalement   inutiles. Il serait temps que je réussisse.

                                                                                                                                                                

En me réveillant ce matin, j'ai décidé d'écrire sur un blog et sans détours ce que j'ai        vécu dans ce Futur magique et à la fois si terrible pour nos cervelles du vingt et unième siècle.   C'est bien maintenant ou jamais. J'ai vingt neuf ans aujourd'hui. Cela me fait peur, car mes anniversaires ont toujours été une épreuve et non des moindres.

 

            Je dois essayer de raconter les choses le plus clairement possible. Je vais donc noter très soigneusement les détails de mes deux enfances, celle de Tomas, placée dans le futur et celle de Bess    que je viens de vivre. Je les ferais parler à la troisième personne. Mille ans les séparent et bizarrement,   ils ont les mêmes souvenirs dans leur tête et dans la mienne.

 

Je connais par cœur leurs deux existences puisque c'est moi qui les ai vécues. Pourtant ils ne sont déjà plus moi-même. Faire le bilan de leur aventure m'expliquera peut-être ces contradictions et mettra en lumière les différentes façons de vivre des deux époques.

 

            En étudiant leurs comportement de l'extérieur, en faisant comme si ce n'était pas de moi dont je parle, ce survol de la situation va peut-être m'aider à comprendre ce qui m'est arrivé.

 

            La neige commence à tomber. Le prunus rouge que j'adore, a perdu ses feuilles. Devenu blanc, comme les autres arbres du jardin, il scintille illuminé par les spots de la Salle des Fêtes.  

Je ferme les yeux pour rentrer dans ma tête, me mettre au travail et commencer à parler de la malheureuse petite Bess, cette enfant qui a vécu l'enfance de ma vie d'aujourd'hui. Vous pouvez suivre ?

 

            Je me souhaite, ainsi qu'à vous, lecteur improbable,  bien du courage.

 

 

                                                                                                                      Elisabeth Aragan



20/12/2008
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